Le système éducatif confronté à l’allongement de la scolarité obligatoire Ne laisser personne en dehors du chemin
La loi du 28 juillet 2019 a prolongé la scolarité obligatoire jusqu’à 18 ans. Si aujourd’hui la plupart des jeunes d’une classe d’âge poursuivent leurs études bien au-delà de 18 ans en accédant à l’enseignement supérieur, il reste chaque année de l’ordre de 100 000 jeunes qui terminent leur formation initiale sans aucun diplôme, 40 % d’entre eux ayant entre 16 et 17 ans. L’importance de cette loi résulte de l’obligation qu’elle impose aux pouvoirs publics de les scolariser tous jusqu’à 18 ans.
On parlait depuis longtemps de reculer à 18 ans l’âge de la scolarité obligatoire et, depuis presque aussi longtemps, on se préoccupait de l’entrée sur le marché du travail des jeunes sortis sans qualification du système scolaire. En 1947, les auteurs du plan Langevin-Wallon proposaient de porter à 18 ans l’âge de fin de la scolarité obligatoire en se référant au Préambule de la Constitution de 1946 selon lequel « la Nation garantit l’égal accès de l’enfant et de l’adulte à l’instruction, à la formation professionnelle et à la culture ». Cependant, resté à 14 ans jusqu’en 1959, cet âge n’a ensuite été porté qu’à 16 ans.
À partir des années 1970, les jeunes sans qualification ont rencontré des difficultés croissantes pour entrer sur le marché de l’emploi et, en 1981, sur proposition de Bertrand Schwartz, furent instituées les missions locales pour l’insertion professionnelle et sociale des jeunes. Ils y trouvent des conseillers qui les aident à constituer un itinéraire d’accès à l’emploi en passant par des formations.
En 2009, les collèges, lycées et CFA (centres de formation d’apprentis) ont reçu l’instruction de transmettre aux missions locales les coordonnées des anciens élèves ou apprentis partis sans diplôme, puis, en 2013, l’Éducation nationale a mis en place le réseau des Foquale (formation, qualification, emploi) qui rassemblent, dans le périmètre d’une académie, tous les acteurs du système éducatif avec, pour objectif, de coordonner les solutions de l’Éducation nationale dans le cadre du suivi partenarial des décrocheurs scolaires, un coordonnateur assurant les relations avec les missions locales et les acteurs locaux (les agents des collectivités locales et ceux des services sociaux du département).
Une mission pour éclairer le travail législatif
Avant de promulguer la loi qui prolongeait à 18 ans l’âge de la scolarité obligatoire, le Premier ministre a mandaté Sylvie Charrière, députée de Seine-Saint-Denis, et Patrick Roger, conseiller municipal de Strasbourg et président de la mission locale, pour enquêter et faire des propositions sur ses conditions d’application. Nous avons largement utilisé ce rapport dont les propositions sont fondées sur une analyse approfondie de la situation des jeunes terminant leur scolarité sans qualification.
Dans sa lettre de mission, le Premier ministre insiste sur la recherche et l’identification des jeunes qui sont soumis à l’obligation de formation et la nécessité de les orienter vers une solution. Après un long travail de terrain, les deux élus ont remis le 13 janvier 2020 un rapport dont les propositions s’inscrivent dans le cadre d’un programme visant à prévenir et à récupérer l’échec scolaire. Ils examinent d’abord comment profiter de cet allongement pour renforcer la prévention des sorties sans qualification du système scolaire, puis ils préconisent la mise en œuvre d’une dynamique territoriale pour repérer et remettre dans le circuit les jeunes qui ne se trouvent ni en formation, ni pourvus d’un emploi (les Neets, Not in Education, Employment or Training), et ils en déduisent un plan d’action dans le cadre duquel mobiliser l’ensemble des pouvoirs publics.
1. Renforcer la prévention des sorties sans qualification du système scolaire
Pour assurer une organisation plus efficace de la lutte contre le décrochage à l’intérieur du système éducatif, le rapport propose de « clarifier le paysage de la prévention et de la lutte contre le décrochage scolaire » en intégrant au sein des réseaux Foquale de chaque académie les missions et les groupes de prévention mis en place localement pour détecter et prévenir la déscolarisation des élèves dans les collèges et les lycées.
Dans le cadre de ces réseaux, il faut se préoccuper de l’observation des signaux annonciateurs du décrochage. Parmi ces signaux, le principal est l’absentéisme, mais plusieurs académies ont mené des expérimentations d’inspiration canadienne sur la détection d’autres signaux, des signaux faibles, et elles ont assuré le suivi des jeunes parmi lesquels ces signaux étaient détectés.
Les rapporteurs soulignent que le passage du collège au lycée est un moment charnière pour le décrochage. Ils ont recueilli « de nombreux témoignages de jeunes qui font remonter leur décrochage à une première orientation frustrée, le plus souvent en lycée professionnel. Par manque de place dans la spécialité souhaitée, par incapacité à trouver un employeur pour conclure un contrat d’apprentissage, par des choix d’orientation qui n’ont pas été suffisamment éclairés ou encore par nécessité de rester dans l’établissement le plus proche de chez soi, chaque année de nombreux jeunes se trouvent affectés là où ils ne l’ont pas réellement choisi. »
2. Mettre en œuvre une dynamique territoriale pour repérer et remettre les Neets dans le circuit
L’allongement à 18 ans de l’obligation scolaire entraîne un accroissement de la population concernée par cette nouvelle obligation, dont les rapporteurs décomposent la mise en œuvre en trois phases.
Pendant la phase du repérage, il s’agit d’identifier les jeunes qui restent soumis à l’obligation de formation en utilisant des procédures de signalement qui alimentent un système d’information, une base communautaire qui permette, entre missions locales et réseaux Foquale, un travail partenarial sur un maillage de territoires. Les missions locales doivent jouer un rôle de premier plan pour recueillir des informations sur la situation des jeunes de 16–17 ans sortis du système scolaire et pour prendre contact avec eux. Elles doivent être habilitées à aller les chercher et à nouer des contacts avec les acteurs institutionnels et avec les associatifs qui connaissent les jeunes : services de prévention spécialisée du département, centres culturels et sociaux, clubs sportifs…
Pendant la phase de raccrochage, il s’agit ensuite d’entrer en contact avec les jeunes et avec leurs familles pour les convaincre d’un examen de leur situation pouvant déboucher sur une solution de formation. En admettant qu’une part significative d’entre eux pourra être ramenée sans trop de difficulté en formation initiale, il restera ceux en rupture avec toute démarche institutionnelle et il sera de la responsabilité de tous les acteurs, les missions locales en premier plan, de les convaincre d’adhérer à une formation qualifiante. À l’appui de ce rôle donné aux missions locales, les rapporteurs proposent de les faire bénéficier d’un fonds Ambition 16–18 qui leur permette de proposer des préformations engageantes ou une préparation au permis de conduire et aussi d’attribuer des aides pour régler des problèmes de logement, de mobilité, de santé…
Enfin pendant la phase d’orientation vers une solution, il s’agit de proposer aux jeunes un parcours de formation et de les accompagner jusqu’à l’obtention d’une qualification. Logiquement, la priorité est donnée à la poursuite de la formation initiale en scolarité ou en apprentissage : il y a les lycées de la seconde chance où les décrocheurs peuvent suivre des études. Mais, pour ceux qui refusent de retourner à l’école, il y a les dispositifs qui ont été créés pour remédier au chômage des jeunes, l’École de la deuxième chance, l’Épide (établissement pour l’insertion dans l’emploi) géré par l’Armée, les écoles de production, les formations de l’Afpa, celles des Greta…
3. Permettre une mise en œuvre efficace de ces trois phases grâce à un plan d’action engageant l’ensemble des pouvoirs publics
D’abord mettre à la disposition des conseillers de missions locales un système d’informations sur tout ce qu’ils pourraient proposer aux jeunes qu’ils accueillent. Les rapporteurs proposent de confier à l’Onisep (Office national d’information sur les enseignements et les professions) une mission visant à réaliser et à tenir actualisée au niveau national une base de données contenant les informations disponibles sur l’ensemble des formations ouvertes aux 16–18 ans (Éducation nationale, enseignement agricole, CFA, préformations de Pôle emploi ou des régions, stages de formation continue…), cette base restant accessible à tous en open data.
Organiser conjointement, sous l’égide des directions régionales du travail et celle des autorités académiques, des formations communes pour sensibiliser ensemble les agents des missions locales, des réseaux Foquale et aussi de Pôle emploi à la nouvelle obligation de formation et aux bonnes pratiques en matière d’accompagnement des jeunes en situation de décrochage.
Rassembler les principaux financeurs des missions locales sous l’égide des préfets de département pour qu’ils s’accordent sur le montant des moyens nécessaires pour assurer le bon fonctionnement des missions locales en adéquation avec les besoins des territoires.
Donner un large écho à ces dispositions
En conclusion, les rapporteurs soulignent la nécessité de donner une publicité à cette mesure d’allongement du temps de la scolarité obligatoire : « La consécration, écrivent-ils, de l’obligation de formation ne peut intervenir à bas bruit tant elle constitue un changement profond de paradigme (celui de la fatalité de l’échec), un défi de taille pour les pouvoirs publics et une chance pour les jeunes et leurs familles. »
Il est surtout important de suivre comment la puissance publique met en œuvre ces recommandations et d’en mesurer les effets pour adapter ces dispositions en fonction des résultats.
À cet égard, le plan « 1 jeune, 1 solution » arrêté l’été dernier par le gouvernement constitue une étape significative et il nous faudra y revenir.