Le système multi-périls du réassureur public français est le plus puissant du monde
Entreprise de réassurance publique, CCR (Caisse Centrale de Réassurance) qui bénéficie de la garantie de l’État joue un rôle central au sein du régime français d’indemnisation des catastrophes naturelles dit Cat Nat, régime quasi-unique au monde. CCR réassure les compagnies d’assurance, opère en tant que vigie des risques extrêmes et conseille les pouvoirs publics, tant au niveau national que local, afin d’aider la collectivité à s’adapter aux changements climatiques et aux autres risques émergents. Acteur incontournable de la réassurance, CCR est également reconnue pour son expertise dans la gestion des risques et pour la qualité de ses activités de recherche et d’analyse scientifique. Entretien avec Édouard Vieillefond (X90), directeur général de la Caisse Centrale de Réassurance (CCR).
Quel est le rôle de la Caisse Centrale de Réassurance ?
CCR est un réassureur public bénéficiant de la garantie de l’État pour les risques extrêmes inassurables par les assureurs privés seuls. Cette garantie permet de résolvabiliser le marché. 93 % de notre chiffre d’affaires provient des catastrophes naturelles : inondations, sécheresse, cyclones, tremblements de terre… Dès lors qu’il existe une carence de marché, l’on fait intervenir CCR. Au fil du temps, notre mission s’est élargie pour couvrir également d’autres typologies de risques tels que le nucléaire, le terrorisme, l’assurance-crédit ou à travers de fonds dédiés. Notre périmètre est devenu souple avec de nouveaux risques entrants et sortants assez régulièrement.
Comment a évolué cette entreprise ?
Durant son histoire, CCR a toujours été une entreprise à double culture public/privé. Elle est née en 1946, conçue comme d’autres institutions fondamentales de la République dans le cadre du programme du Conseil National de la Résistance, au même titre que la Sécurité sociale. Elle a connu une évolution majeure avec la création du Régime Cat Nat introduit par la loi du 13 juillet 1982, un régime d’indemnisation des catastrophes naturelles qui a permis de couvrir des risques naturels qui n’étaient que très peu assurés jusqu’alors. Une autre évolution a lieu récemment, avec la cession de notre filiale de réassurance privée CCR Re au groupe mutualiste d’assurance SMBA BTP en juillet 2023. Nous détenons encore aujourd’hui 25 % de CCR Re.
Vos missions ont-elles changé ?
Notre rôle de conseiller auprès des pouvoirs publics et des collectivités locales monte en puissance, devenant un axe fort de notre stratégie. En tant qu’entreprise publique de droit privé, nous intervenons en qualité d’expert autonome et indépendant, disposant d’une liberté de parole, à la fois dans les médias et à travers nos rapports, sur les décisions de politique publique face à l’accroissement des risques de catastrophes naturelles. Nous nous adressons également aux grands réseaux, entreprises publiques et aux assureurs, qui sont aussi nos clients.
Quels sont les risques majeurs que vous traitez ?
Sur la quinzaine de risques que nous analysons chez CCR, l’augmentation de la fréquence et de l’intensité des catastrophes naturelles due au réchauffement climatique demeure l’un des enjeux les plus forts. CCR offre un très bel outil de solvabilisation de l’assurance en France. Il n’existe pas de modèle similaire dans le monde, disposant d’un système multi-péril aussi fort et puissant. C’est, par conséquent, un régime qu’il faut pérenniser, renforcer et étendre. Les catastrophes naturelles représentent, en effet, en moyenne, 2 milliards d’euros de dommages par an. En 2050, ce chiffre atteindra les 3 milliards d’euros, voire 4 milliards d’euros si le pire scénario anticipé par le GIEC se réalise, créant un risque fort d’inassurabilité. Mais il existe évidemment d’autres risques, certains d’origine anthropique ou technologique, que nous surveillons de près (agriculture, cyber, sanitaire, émeutes, risques financiers, etc.).
Comment les territoires peuvent-ils se prémunir de ces aléas ?
En s’adaptant concrètement aux risques naturels qui augmentent de manière exponentielle et aléatoire avec le réchauffement climatique, en particulier les inondations et la sécheresse qui a connu une année historique en 2022. Le rapport sur l’assurabilité des risques climatiques remis cette année par les experts Thierry Langreney, Gonéri Le Cozannet et Myriam Mérad propose une trajectoire d’adaptation notable face au changement climatique : respect du principe d’intervention de CCR en cas de carence du marché privé, maintien de l’équilibre du régime Cat Nat, renforcement de la prévention, promotion de l’innovation, réalisation d’une cartographie des risques à l’échelle nationale.
Face à l’augmentation de la fréquence et de l’intensité des événements climatiques d’ampleur, défendre notre régime assurantiel quasi unique au monde et son principe de solidarité face aux catastrophes naturelles, pour que chacun puisse continuer à être protégé à un prix abordable est la priorité de CCR. Tout ne doit cependant pas reposer sur l’assurance ! Il faut savoir anticiper, réaliser des travaux de façon préventive et parfois faire des choix courageux en matière d’aménagement du territoire pour s’adapter à la nouvelle donne climatique et faire en sorte que l’assurance demeure pérenne.
Ce régime est-il menacé par une réduction des dépenses de l’État ?
Non, car CCR n’est pas soumise à un régime budgétaire étatique de type opérateur public, c’est une entreprise publique mais de droit privé avec sa gouvernance, son bilan, ses objets et intérêts sociaux. Il s’agit d’un régime construit sur le fondement de ressources d’origine privée et concurrentielle, CCR tirant ses recettes de primes issues de ses clients via les traités qui la lie aux assureurs dommage exerçant en France.
Ce qui est réglementaire notamment c’est le niveau de la « surprime CatNat » fixée par arrêté et surtout CCR ne peut évidemment exercer son métier que grâce à la garantie de l’Etat. Mais plus nous avons de primes et de réserves, moins nous avons statistiquement besoin de faire appel à cette garantie !
Notre chiffre d’affaires s’élève à 1,2 milliard d’euros en 2023 mais il est amené à croître avec la hausse des surprimes d’assurance pour les catastrophes naturelles.
Un arrêté du ministère des Finances publié fin 2023 a ainsi acté qu’à partir de début 2025, la surprime Cat Nat, pour les contrats multirisques habitation (MRH) et multirisques professionnels (MRP), passera de 12 % à 20 %. CCR touche 50 % de cette surprime via le mécanisme dit de « quote-part » et paye en contrepartie 50 % des sinistres… jusqu’à un certain seuil à partir duquel elle paye 100 % des sinistres (mécanisme dit « stop loss »).
L’augmentation des surprimes va assurer la pérennité du régime durant 5 à 10 ans et va nous permettre de reconstituer nos réserves. En revanche, une réduction budgétaire de l’État pourrait toucher le financement de la prévention des catastrophes naturelles en France, le fonds Barnier ou les moyens dédiés aux plans de prévention des risques naturels (PPRN) par exemple.
Quelles sont les compétences attendues dans vos métiers ?
CCR est une PME de 180 personnes qui fait tout elle-même ! Nous traitons des sujets passionnants pour les collaborateurs qui ont très souvent une double formation d’actuaires-mathématiciens-statisticiens et de physiciens-ingénieurs. Au cœur du réacteur de notre modèle, œuvrent 45 souscripteurs en réassurance, modélisateurs de risques, data-scientists et préventeurs qui ont aussi une forte expertise sur un ou deux domaines physiques. En parallèle, nous recrutons des profils financiers pour piloter nos investissements, des juristes, etc. Toutefois, nous avons de plus en plus besoin de profils plus « macro-économiques », capables d’analyser et d’être en veille à la frontière de l’assurabilité.
Utilisez-vous l’intelligence artificielle ?
Oui. Au-delà d’accroître la productivité et l’efficacité des fonctions support, l’intelligence artificielle va changer beaucoup de choses sur notre cœur de métier en apportant un degré supérieur de finesse dans la prédiction des aléas. La capacité de calcul permettant d’utiliser nettement plus de données va nous aider à modéliser plus finement des risques, des aléas, des biens et leur vulnérabilité, et nous permettre d’identifier des « patterns » autrement dit des tendances parfois insoupçonnées. En cela, le métier d’actuaire change, progressivement fondé sur de nouveaux outils nourris à l’intelligence artificielle. Le défi, pour nous, sera de capter tout le bénéfice de ces nouvelles technologies pour le calcul des dommages et aléas et l’appliquer à notre métier de modélisateur et réassureur.
Quel horizon se dessine-t-il pour le secteur de la réassurance ?
Dans nos sociétés développées, l’assurance et la réassurance devraient être une évidence. Mais dans un contexte de crise, où les prix augmentent sur tous les postes, l’assurabilité subit des pressions de toutes parts et le risque d’inassurabilité augmente. Or, il est essentiel que ce marché perdure. Une société sans assurance pour l’habitation ou la mobilité ne pourrait pas fonctionner. À l’avenir, nous anticipons que les carences de marché se multiplieront et que le rôle de CCR s’amplifiera à mesure qu’apparaîtront de nouveaux périls. Un débat resurgit nettement aujourd’hui au niveau européen, impliquant notamment la BCE et l’EIOPA, pour savoir si un système de réassurance à l’échelle européenne serait viable. Il s’agit d’un projet légitime, porté par le politique, mais évidemment d’une très grande complexité. Nous entrons dans un monde où les partenariats entre public et privé vont s’intensifier.
Quelles sont vos ambitions ?
Nous allons continuer à nous développer fortement sur la partie conseil et service mais en veillant, d’abord, à bien faire notre métier primordial de réassureur.
En 2024, CCR est en effet capable de faire face à une sinistralité de 1,8 milliard d’euros à sa charge et pourrait couvrir jusqu’à 3,5 milliards d’euros à l’échelle du marché, sans faire appel à la garantie de l’État. Il nous faut, suite à l’augmentation toute récente de la surprime, rapidement renforcer cette capacité, qui en toute logique devrait plutôt être proche de 6 Md€ – c’est notre objectif à moins de dix ans. Nul doute que notre modèle gagnerait, pour tous, à être exporté et nous en ferons naturellement la publicité d’autant que la rentabilité du régime est vraiment excellente quand on regarde le ratio couverture – prime. Même augmentée, la surprime pèse en effet 40 € annuels en moyenne par contrat d’assurance habitation…
En bref
Créée en 1946, CCR (Caisse Centrale de Réassurance) est une entreprise de réassurance. Société anonyme de droit privé. Son capital est détenu à 100 % par l’État. En 2023, le chiffre d’affaires de CCR atteint 1 228 M€.