Le témoignage de XMP-Entrepreneur et de 14 polytechniciens entrepreneurs
V – XMP-Entrepreneur : l’essor des entrepreneurs dans la population polytechnicienne
Tout d’abord, entendons-nous sur le mot “ entrepreneur ”. Tous les X sont (ou devraient être) entrepreneurs, en ce sens qu’ils doivent faire preuve d’esprit d’entreprise dans leur activité professionnelle, y compris dans les administrations et les grands groupes. Mais j’adopte ici la définition plus restrictive de notre association : dirigeant d’une entreprise, détenant une part significative du capital engagé.
Répondent à cette définition tous les dirigeants de PME faisant travailler, au moins pour partie, leur propre argent ; et par extension tous les indépendants susceptibles d’engager des collaborateurs.
Sont exclus par cette définition tous les salariés des grands groupes, publics ou privés, même s’ils sont P.-D.G. de filiales de la taille d’une PME.
A. TYMEN a lui-même créé et développé ses propres entreprises dans les années 1968–1989 et exercé par la suite une profession d’ingénieur conseil indépendant, centré sur les créations de sociétés.
Quelques réflexions personnelles puisées dans mes sept ans de bénévolat dans l’Association
Où en sont les X entrepreneurs ?
De tout temps certains camarades ont choisi de devenir entrepreneurs, par création de leur propre entreprise ou reprise d’une entreprise existante. À l’origine de ces décisions se situe un tempérament individualiste – au bon sens du terme – avec des motivations positives et négatives :
- d’une part le désir d’être autonome, seul maître à bord, et de tenter une belle aventure, désir souvent soutenu par un atavisme familial,
- d’autre part, la répulsion à l’égard des administrations et des grands groupes, le refus d’être un rouage et de subir les aléas de la grande entreprise (ne pas y trouver la place espérée, être à la merci d’un plan social, etc.).
Mais l’indépendance du chef d’entreprise a pour contrepartie la solitude. Celle-ci se ressent pendant toute la carrière d’entrepreneur, et plus intensivement dans les phases initiales : la décision de se lancer dans l’aventure, et les péripéties quotidiennes de la création ou de la reprise.
Ce sont les inconvénients de cette solitude qui ont conduit en 1986 à la création, dans le cadre de l’A.X., du groupe X‑Entrepreneur, à l’initiative de quelques camarades quittant eux-mêmes de grands groupes pour devenir leur propre patron (il s’agit de Chaussat, Bonnamy, et quelques autres qui m’excuseront de ne pas les citer). Par la suite le groupe a accueilli les anciens élèves de l’école des Mines et récemment de l’école des Ponts.
Ayant pris un statut d’association, loi de 1901, il est maintenant dénommé XMP-Entrepreneur.
Parmi nos camarades entrepreneurs se distinguent deux types de comportement : les uns veulent rester dans l’ombre – au moins dans le milieu polytechnicien – par exemple ils n’ont pas voulu qu’on les cite dans le présent article.
Les autres, au contraire, apprécient de se faire connaître, dans l’intérêt de leur entreprise et aussi par esprit de solidarité et d’adhésion aux objectifs de XMP-Entrepreneur (je n’ai pu en contacter que quelques-uns pour cet article, mais je sais qu’ils auraient tous accepté d’écrire quelques lignes sur leur expérience).
Pourquoi faudrait-il qu’un plus grand nombre d’X deviennent entrepreneurs ?
Outre son soutien aux volontaires actuels – y compris ceux qui ont des problèmes de carrière – XMP-Entrepreneur estime avoir vocation pour en multiplier le nombre. Car un simple regard sur l’annuaire montre qu’il y a des progrès à faire, cela pour un double motif : l’intérêt général de notre pays et l’intérêt personnel de nos camarades.
L’intérêt général ?
Dès son origine, XMP-Entrepreneur a perçu que les grandes entreprises ne seraient plus (sauf exceptions) créatrices d’emplois, du fait de leur politique de recentrage sur leur métier de base (en vue de s’internationaliser) et de l’externalisation de leurs productions annexes. Le relais devrait être pris par des entreprises petites et moyennes, avec la mission d’être de plus en plus innovantes en tous domaines (pas seulement dans les hautes technologies). Ces entreprises, qui seront les principales créatrices d’emplois dans notre pays, ont besoin de patrons de très bonne pointure.
L’intérêt personnel ?
Globalement avec des promotions plus nombreuses, la tendance est à la diminution des emplois dans le secteur public et à une certaine stabilité dans les grands groupes. En outre, il est prévisible que la permanence dans le même emploi ou la même entreprise n’existera plus. À ce jour, il n’y a pas plus d’aléas dans la création d’une entreprise que dans toute autre carrière. Et à en juger par ce qu’on entend à XMP-Entrepreneur, tous ceux qui en ont fait l’expérience pensent que le métier d’entrepreneur est passionnant et, de plus, peut être très rentable.
Alors que faire ?
Je ne reproduirai pas l’argumentaire déjà publié dans la page mensuelle de La Jaune et la Rouge réservée à XMP-Entrepreneur, mais je rappelle que cette Association est une structure ouverte à tous les camarades :
- bien sûr à ceux qui envisagent, à court, moyen, ou long terme, de devenir entrepreneur,
- mais aussi à ceux qui sont déjà entrepreneurs (ou qui l’ont été), dont l’expérience fait la richesse du groupe pour les nouveaux venus,
- et également à ceux qui sont favorables aux objectifs poursuivis par l’Association et qui peuvent apporter leurs compétences aux débats qui y ont lieu, notamment sur le point qui est essentiel, à notre avis : le développement de l’esprit d’entreprise chez les X.
Sur ce dernier point, je terminerai en saluant l’initiative prise par la Fondation de l’École polytechnique qui s’est fixé comme objectif, après l’internationalisation de l’École, de développer l’esprit d’entreprise chez les élèves et les jeunes camarades de l’X, avec la collaboration de XMP-Entrepreneur.
Le lecteur trouvera ci-après un texte de Bonnamy, lui-même créateur, sur le regain d’actualité de la création d’entreprise et le récit complet de Bernard Treps sur son aventure personnelle. Ensuite une succession de 12 témoignages de camarades entrepreneurs – très brièvement résumés – qui illustrent la diversité des chemins parcourus.
Un parcours difficile et passionnant
Bernard TREPS (61),
P.-D.G. de ADESIUM
Les raisons qui m’ont poussé à devenir entrepreneur
Première raison :
j’avais le goût d’entreprendre… et de réussir. J’avais déjà participé, à la fin des années 60, à une création d’entreprise, en association avec d’autres ; et j’avais avec moi une équipe compétente et motivée prête à saisir une nouvelle opportunité. En outre j’avais moi-même les fonds nécessaires pour être le leader.
Deuxième raison :
cette équipe avait un projet précis en vue, répondant au besoin évident que rencontraient les PME pour communiquer facilement entre elles et avec tous leurs partenaires. Un rapport du ministère de l’Industrie (rapport Lorentz) l’avait récemment mis en lumière de façon explicite. Et l’un de mes équipiers avait réalisé un prototype, de type Extranet, utilisant les langages suscités par Internet, qui permettait d’échanger avec une parfaite garantie de confidentialité tous types de fichiers.
Nous avons ainsi conçu un service aux PME en mode abonnement, sans investissement ni spécialistes informatiques chez elles, leur permettant d’expédier et recevoir tous types de messages (oraux, écrits, photos) et de fichiers ; tandis qu’un centre d’appel unique leur rendrait tous les services utiles.
Troisième raison :
L’époque actuelle est propice à la création d’entreprise
Philippe BONNAMY (61)
L’expérience du Comité des Prêts d’une grande Banque m’a beaucoup apporté. J’ai appris notamment comment après une faillite retentissante un membre de l’establishment peut rebondir à la barre d’une autre affaire, parce qu’il se comporte en homme du monde.
Cet événement m’a déterminé à quitter la banque et ses moquettes confortables pour prendre de vraies responsabilités de direction d’entreprise, sans filet.
Après trois ou quatre projets assortis de reprise d’entreprises, je me lançais dans la création ex nihilo d’une entreprise de services informatiques, avec le soutien de deux actionnaires prestigieux et la protection d’un président de très grande classe.
Pendant huit ans j’ai été un second passionné par l’aventure ; en cinq ans nous avons approché les 500 MF de chiffre d’affaires.
Cette opération réussie a été – sans me vanter – « mon bébé », mais ce n’était pas « mon affaire ». Les circonstances m’ont permis de m’en libérer et avec l’aide de mon actionnaire principal de fonder enfin ma propre entreprise. Le projet était original et motivant : une société de service pour réaliser les travaux administratifs des entreprises (commerciaux, comptables, paye, etc.), comme il en existait déjà aux États-Unis.
L’accouchement de cette entreprise a été assez sportif, et le résultat n’a pas été fulgurant, mais suffisant tout de même pour intéresser au bout de quatre ans un acquéreur mieux armé pour la deuxième phase de développement. Cette aventure m’a passionné.
Depuis lors, au sein d’X-Entrepreneur, ou à titre individuel, je ne suis pas directement créateur d’entreprise – au moins pour l’instant – mais assistant de candidats-créateurs. Et je constate que, contrairement aux idées reçues, l’époque actuelle est propice à la création d’entreprise, tant sur le plan administratif que sur celui du financement. Même si la vraie difficulté est non pas de créer mais de faire vivre, je pense que le risque est raisonnable, et certainement pas pire que celui d’une reprise, toujours fertile en mauvaises surprises. Pas pire non plus que le risque couru dans une grande entreprise où peu de jeunes trouveront une gratification de leurs efforts comparable à celle du créateur. Il y a un cercle vicieux entre la mauvaise représentation de la création d’entreprise et la difficulté de rencontrer des hommes de valeur pour les start-up. Espérons que les mentalités, comme les renommées changeront dans le bon sens au cours des prochaines années.
le moment était opportun et les délais de réalisation du projet bien accordés au délai d’ouverture du marché :
- dès aujourd’hui, on voit exploser la « Net Économie » et avec l’an 2000, les projets encore en gestation vont sortir, pour faire face à la compétition,
- les PME de l’Europe entière vont découvrir l’importance des enjeux et nous avons trois à quatre ans d’optimisme économique devant nous.
Difficultés rencontrées
Première classe de difficultés : l’originalité de notre offre.
Malgré notre confiance, il fallait reconnaître que le marché n’était pas facile à évaluer. Les cibles marketing étaient nombreuses, et l’ordre de priorité des investissements technico-commerciaux difficile à déterminer. Le rythme et la nature de nos recrutements n’étaient pas plus évidents, si nous voulions donner à nos recrues des objectifs motivants.
Deuxième classe de difficultés : la fuite des organismes financiers.
Malgré 8,5 MF de fonds propres apportés par le principal actionnaire, que nous voulions réserver aux investissements incorporels (recherche, développement, marketing), les financiers demandent la présentation de trois bilans consécutifs et la mise en gage de mes biens propres pour avancer 400 KF de prêt sur équipement matériel !
Troisième classe de difficultés : la clientèle n’a pas confiance dans une PME.
« Êtes-vous une filiale d’un grand groupe ? Netscape ? Microsoft ?… »
« Votre produit a‑t-il été testé dans la Silicon Valley ? »
Difficultés annexes :
d’abord, un partenaire commercial que nous croyions fidèle nous abandonne, ensuite, les délais de l’ANVAR et de son grand frère EUREKA sont très longs, malgré une bonne volonté et une compétence évidentes. La complexité des dossiers donne l’impression qu’ils ne sont faits que pour les grandes entreprises.
Situation actuelle
Trois ans après nos premières initiatives, nous nous estimons sur la bonne voie.
La plus grave difficulté – défiance de notre clientèle – a été surmontée grâce à une opération « taille critique ». Sous l’enseigne de la Société nouvelle, j’ai repris deux SSII qui nous donnent pignon sur rue : elles ont toutes les deux une bonne réputation, l’une dans la grande Distribution, l’autre dans la Banque et les Télécoms. Nous avons acquis de ce fait une surface rassurante à la fois pour les clients, pour les banquiers, et pour le recrutement des ingénieurs. Notre entreprise comprend maintenant deux composantes :
1) une activité SSII spécialisée sectoriellement et pointue techniquement, avec une croissance plutôt supérieure à celle du marché et une bonne rentabilité ;
2) une start-up en cours de lancement sur son marché dont le premier investissement lourd permet de faire un test en vraie grandeur de la réaction dudit marché et dont le deuxième investissement lourd est à venir, soutenu par l’ANVAR et EUREKA, avec un partenaire hollandais, EDI-TIE, pour industrialiser le produit et le service, créer les composants sectoriels et s’implanter sur le marché français, puis européen.
Conclusion
Sté ADESIUM, Services informatiques, 8, rue Germain Soufflot, 78184 Saint-Quentin-en-Yvelines (01.34.52.00.10).