Le terroir, un garant de qualité
Les terroirs viticoles ont été définis, par exemple par les Cisterciens en Bourgogne, du point de vue de leur singularité, de leur capacité à produire des vins d’une certaine qualité. Ils ne sont délimités administrativement, par exemple dans le système des AOC, qu’en raison de leur vocation à produire certains types de crus. Il est souvent fait référence aux usages « loyaux et constants » qui sont presque immémoriaux et remontent souvent à l’Ancien Régime. Le terroir est plus un constat qu’une vérité démontrable scientifiquement. Les limites d’un terroir ont été définies en fonction de sa qualité. C’est toujours le cas des plus grands. Au XXe siècle, certains terroirs ont été érigés en AOC pour des raisons politiques, mais les experts et les grands dégustateurs savent toujours parfaitement hiérarchiser les terroirs.
Beaucoup de produits alimentaires ont un goût et une qualité différents en fonction de leur origine. C’est vrai, par exemple, des fruits et des fromages, notamment les fromages au lait cru, dont le goût varie beaucoup en fonction de la nourriture des animaux dont on a utilisé le lait, et donc de leur environnement. C’est aussi vrai pour le vin : la qualité d’un vin provient avant tout de la qualité des raisins qui ont été utilisés, et donc de leur origine, de leur terroir. Intraduisible dans beaucoup de langues, ce mot français désigne une étendue de terre associant un sol et un micro-climat particuliers, dont l’expérience a montré qu’ils réalisaient une combinaison optimale pour la culture de certains types de raisins (cépages) destinés à faire du vin.
Repères
La notion d’appellation d’origine a une double utilité : elle est protectrice du consommateur, assuré de se procurer un produit de qualité (ou ‑au moins- dont la typicité correspond à son attente); protectrice aussi du producteur, qui n’est plus exposé à une concurrence frauduleuse, et peut tirer de son activité des revenus suffisants.
Les vignobles ont-ils inspiré Madame de Sévigné à Grignan ?
L “adéquation optimale entre le terroir et le cépage est trouvée après une période plus ou moins longue d’essais et d’expérimentations. De ce point de vue, les pays dont les meilleurs terroirs ont été identifiés depuis longtemps (comme la France) bénéficient d’un avantage compétitif, mais les plus grands vins des nouvelles nations viticoles se développent aussi à partir de terroirs identifiés comme particulièrement propices à la culture de certains cépages.
Les trois piliers de l’AOC
En France, la définition des terroirs est majoritairement liée au système des appellations d’origine contrôlée.
L’INAO
Cet établissement public à caractère administratif est placé sous la tutelle des ministères des finances et de l’agriculture. Les ministères de tutelle acceptent ou refusent les projets de décret transmis par l’I.N.A.O mais ne peuvent en aucun cas les modifier. Ces projets sont élaborés sur la base des décisions de professionnels siègent au Comité national, structure délibérative centrale de l’Institut.
Selon l’école française de pensée, la qualité d’un vin est non seulement liée à son terroir, mais aussi au cépage utilisé, aux pratiques de culture de la vigne et aux modes de vinification. C’est cet ensemble de choix que codifie le système français des AOC, qui repose sur trois piliers : la notion de terroir, la notion d’usages locaux, loyaux et constants et enfin la cogestion État-profession. La notion d’usages locaux, loyaux et constants, fixe des contraintes de production en termes d’encépagement (on ne peut pas faire du bordeaux avec du pinot noir, ni du bourgogne avec du cabernet-sauvignon), de plantations, de rendement à l’hectare, de titre alcoolique minimum naturel ainsi que de pratiques culturales (taille) et de vinification. Ajoutons que toutes les A.O.C. passent devant une commission de dégustation avant d’être mises sur le marché.
Pas de Bordeaux avec du pinot noir, ni de Bourgogne avec du cabernet ‑sauvignon
La troisième caractéristique importante du système français des A.O.C. est sa nature quasi-autogestionnaire. Les producteurs sont eux-mêmes responsables de leur A.O.C. : ils en fixent les règles de production et les assument collectivement. Leurs décisions sont formalisées dans le cadre de l’Institut National des Appellations d’Origine (I.N.A.O.), qui est la clef de voûte du système. L’AOC fonctionne d’autant mieux que l’appellation protégée est prestigieuse. Elle fonctionne moins bien dans les appellations les moins connues. Dans la pratique, on peut dire que le système français des appellations d’origine contrôlée est devenue la victime de son propre succès. Destiné à l’origine (dans les années trente) à protéger les grands vignobles, il a depuis été étendu de façon hasardeuse et irréfléchie à une vaste majorité de la production nationale (plus de 60% de la production),ce qui n’a pas manqué de créer des effets pervers.
Une démocratisation funeste
Un produit facile à comprendre
Les vins du nouveau Monde répondent bien à cette attente d’un produit facile à comprendre, mais pas les vins des petites appellations françaises avec leurs étiquettes illisibles et leur contenu souvent décevant. Pour se battre sur ce type de marché, il faut en effet avoir beaucoup de liberté en terme de marketing et de production (choix des cépages, assemblages, pratiques onologiques) alors même que nos petites AOC se trouvent corsetées dans un réseau de règles qui les désavantage face à la concurrence et ne leur permet pas de produire à un coût raisonnable.
La » démocratisation » de la notion de terroir par le système des AOC a atteint le but opposé à celui qui était poursuivi par les politiques qui en sont à l’origine. Nous voyons en effet aujourd’hui les funestes résultats du travail de ce que Hegel appelle, dans la Phénoménologie de l’Esprit, une » ruse de la Raison » : l’événement qui se produit est en totale contradiction avec les intentions de ses promoteurs. La démocratisation des AOC avait pour but (avoué ou caché sous d’autres arguments) » d’ennoblir » un certain nombre de vignobles pour augmenter et protéger le revenu d’un grand nombre de viticulteurs / électeurs. Le système a effectivement fonctionné pendant quelques années, mais il n’a pas résisté à la concurrence des vins du Nouveau Monde. On s’est alors aperçu que le consommateur avait une fâcheuse tendance à acheter un vin dont il appréciait le contenu plutôt qu’un vin dont l’étiquette semblait promettre une qualité qui ne se retrouvait pas toujours dans la bouteille.
L’étiquette promet une qualité qui ne se retrouve pas toujours dans la bouteille
En fait, les grands vins prospèrent dans le système français des AOC alors que les petits vins souffrent. Jamais le prix de nos grands crus n’a été aussi élevé. Jamais les petits vins ne se sont aussi mal vendus. Il faut comprendre que les grands crus ne peuvent être gênés par les règles des AOC : ils s’appliquent à eux-mêmes des règles très sévères, souvent beaucoup plus sévères que celles de l’appellation, notamment en termes de rendement, car, à terme, la seule garantie d’un maintien de prix élevés est l’extrême qualité des vins. Sur la durée, le marché ne se trompe en effet jamais : le prix est toujours fonction de la qualité reconnue par le consensus des critiques et des professionnels. L’incitation à bien faire a une forte base économique qui rend les règles administratives superflues. Les petits vins en revanche se battent sur un segment d’entrée de gamme où le facteur prix est déterminant. Le technicien de Dortmund ou le plombier polonais qui investissent quelques euros ou quelques zlotys dans une bouteille de vin veulent acheter un produit facile à comprendre et qui les satisfasse.
Les grands vins prospèrent dans le système des AOC (vignoble chablisien).
Une notion de haut de gamme
La bénédiction du Pharaon
Des terroirs à grand vin ont été identifiés dès l’Antiquité et même en Egypte : la provenance des crus composant la cave retrouvée dans le tombeau funéraire de Toutânkhamon est soigneusement indiquée sur chaque amphore.Les grands crus actuels de Bourgogne ont tous été parfaitement identifiés dès le Moyen-Age par les moines bénédictins et cisterciens. On conviendra qu’à ces époques, la science ne disposait pas des moyens d’investigation dont elle dispose aujourd’hui.
Les problèmes auxquels se trouve confronté le système français des appellations contrôlées ne remettent pas en cause la pertinence de la constante référence au terroir dans la vente des vins français. Tout indique, en effet, que la référence à la notion de terroir est bien adaptée à la production et à la commercialisation de vins de haut de gamme relativement chers, alors qu’elle est moins pertinente dès lors qu’il s’agit de produire et de vendre des vins d’entrée de gamme. Ce que les responsables de l’extension à tout va des appellations d’origine contrôlée n’ont pas voulu voir est que la notion de terroir est forcément hiérarchique, voire même – horresco referens – élitiste. Il s’agit en effet de déterminer quel est le lieu qui va produire un cru d’exception. Ce n’est manifestement pas le cas de tous les vignobles.
L’analyse scientifique ne permet pas de rendre compte de la supériorité d’un terroir
Le sens commun accepte facilement l’idée que les sols sont inégalement propres aux différentes cultures : c’est ainsi que chacun admettra que les plaines de la Beauce sont plus adaptées à une production céréalière à haut rendement que les contreforts du Massif Central. Il est plus difficile de comprendre pourquoi et comment certaines vignes, séparées d’autres vignes par quelques mètres seulement sont aptes à produire des grands crus alors que leurs voisines ne le sont pas. Ceci est d’autant plus difficile à comprendre que l’analyse scientifique ne permet pas de rendre compte de la supériorité d’un terroir car dans toutes les régions, les affleurements géologiques (appelés roches-mères) qui constituent les assises des grands vignobles sont d’une grande diversité. Il n’existe donc pas une seule formation géologique qui permette d’identifier un grand terroir.
Un certain mystère
La notion de terroir incorpore donc une certaine dose de mystère : un terroir se constate par une observation sans défaillance basée sur plusieurs facteurs (dont la dégustation), mais il ne peut jamais se présumer. Cette part de mystère est favorable à la communication des grands vins qui se vendent comme des produits de luxe et doivent donc incorporer une dimension qui fait rêver. Elle est moins favorable aux ventes des vins qui se battent en bas de gamme sur la notion de rapport qualité-prix. Un président de l’INAO a proposé récemment de distinguer des » AOC d’excellence » qui seraient soumises à des règles très strictes et de simples AOC qui seraient grosso modo des indications d’origine avec peu de règles. Cette évolution irait dans le sens des réformes déjà adoptées par nos voisins espagnols et italiens. C’est manifestement l’intérêt de la viticulture française que de faire une distinction entre les règles qui s’appliquent aux grands vins et les autres. D’une manière ou d’une autre, il faudra bien reconnaître l’évidence, à savoir que tous les terroirs ne sont pas égaux et ne peuvent donc pas être soumis à la même réglementation. Laisser comme aujourd’hui le soin au seul marché de faire cette distinction est contraire à l’intérêt des producteurs les plus modestes, pour lesquels le système des AOC » pures et dures » à la française est un miroir aux alouettes.