Le tour des énergies : de Bergen à Ceuta
De Paris à Rio, en passant par Bergen, Lusaka et Pékin, le Tour des Énergies s’est lancé à la rencontre des acteurs de l’énergie de demain. Après deux mois de pérégrinations, images et impressions se bousculent dans nos mémoires. Rien ne vaut un compte-rendu pour La Jaune et la Rouge pour y mettre un peu d’ordre ! C’est d’Europe qu’il s’agira aujourd’hui, de recherche et de construction.
La foudre de Thor ?
Parties le 28 janvier d’Orly, nous sommes arrivées à Bergen, ancienne capitale de la Norvège, dont le dégel et le redoux pluvieux nous ont accueillies contre toutes nos attentes d’un hiver rigoureux. L’ancienne ville hanséatique est la patrie d’Egil Lillestøl, chercheur au CERN et professeur de physique atomique à l’Université de Bergen. Après une carrière bien remplie, celui-ci a décidé de se lancer dans la promotion active d’un concept étudié dans les années quatre-vingtdix par notamment son ami et collègue, le Prix Nobel de physique Carlo Rubbia : un nouveau type de réacteur nucléaire, l’Amplificateur d’Énergie (Energy Amplifier [EA]). Il en défend la réalisation par un consortium international dont la Norvège prendrait la tête, en acceptant d’accueillir sur son sol un prototype qui prouverait sa faisabilité industrielle.
Schéma de PEACE. (Source : Dr Y. Kadi, CERN.)
Ici, un cyclotron est retenu pour accélérer de protons. Il pourrait aussi s’agir d’un accélérateur linéaire.
Réacteur nucléaire sous-critique à cycle thorium, alimenté en réactivité via une source de spallation (production de neutrons) par un accélérateur de protons, l’EA aurait le triple avantage d’utiliser une source d’énergie plus abondante que l’uranium1, de renforcer la sûreté du système d’un facteur aussi élevé que souhaité2, et de réduire significativement la toxicité et le potentiel proliférant des déchets par rapport à la filière uranium3. Ce système aurait en outre la bienséance de pouvoir incinérer les déchets produits par les réacteurs actuels.
Pour qu’un ITER du thorium voie le jour, et même au pays de sa divinité éponyme, il faut conquérir opinion publique et décideurs politiques.
L’abondance hydroélectrique a occulté la nécessité d’un débat national sur l’énergie. Suite aux récentes importations électriques du pays, l’agitation du Fremskrittspartiet (Parti du Progrès, qui, à l’extrémité droite du spectre politique norvégien, soutient ce projet de réacteur nucléaire) et du broker en électricité Bergen Energy, concernés l’un par l’indépendance énergétique du pays et l’autre par l’apport de nouvelles capacités de productions sur un marché européen sous tension, a poussé le gouvernement norvégien à décider d’une enquête sur le projet PEACE4 défendu par le professeur Lillestøl. La Norvège, qui disposerait d’au moins 15% des ressources mondiales de thorium, fera-t-elle le pari de ce nucléaire différent ?
Cette diversification des options d’un géant de l’énergie passe par l’acceptation des risques liés au développement d’une nouvelle technologie, dont le fonctionnement de chaque sous-système a certes fait l’objet d’expérimentations en particulier au CERN de Genève, mais dont il reste à assurer l’intégration, et par l’acquisition d’une expertise nucléaire aujourd’hui limitée à de petits cercles universitaires. De la physique des particules aux politiques industrielles, il n’est qu’un abîme – que le professeur Lillestøl a franchi avec confiance et détermination.
En pays d’huile et d’eau, gaz et vent sont à l’honneur
Au pied de l’une des deux éoliennes de l’île, la station de fabrication, de stockage et de combustion de l’hydrogène.
Détermination qui est aussi celle des ingénieurs d’Hydro et de Statoil, l’hydraulique et la pétrolière qui ont récemment convolé en nordiques noces. Qu’il s’agisse de la centrale électrique de Møngstad dont il est prévu que les gaz de combustion soient capturés et séquestrés, de l’hydraulienne sous-marine apprivoisée dans le grand Nord (région d’Hammefest), de la « route de l’hydrogène » HyNor entre Stavanger et Oslo, du centre de recherche Hytrec dédié à l’hydrogène à Trondheim, ou encore de la mise au point d’un système combiné hydrogène – éolien5, de nombreux sentiers innovants sont explorés pour diversifier le mix énergétique norvégien.
Le plastique peut tout faire – même du solaire !
Le 7 février, nous débarquons à Fribourg, capitale écologique de l’Europe d’après Jean-Marie Pelt6. Nous y sommes accueillies par Andreas Gombert, directeur du laboratoire de recherche en matériaux du plus grand institut de recherche solaire d’Europe, l’Institut Fraunhofer pour les systèmes d’énergie solaire (ISE). L’un de ses défis ? Mettre au monde les cellules photovoltaïques du XXIe siècle, bon marché, flexibles, légères, efficaces… à base de polymères et non plus de silicium.
Les polymères conjugués étudiés ont des propriétés similaires à celles des semi-conducteurs. Si des charges libres n’y voient pas directement le jour sous irradiation solaire, elles sont remplacées par des « excitons » qui peuvent être considérés comme la combinaison de trous et d’électrons liés. Il s’agit donc de les séparer en combinant le polymère donneur à un buckminster fullerène qui jouera le rôle d’accepteur et permettra de libérer l’électron pour en tirer du courant.
Que reste-t-il à faire avant de pouvoir fabriquer ces cellules en série ? Tout d’abord, améliorer leur efficacité de conversion de l’énergie solaire : atteignant aujourd’hui 2 % pour une cellule carrée de 3 mm de côté7, elle pourrait être accrue en augmentant l’écart entre les niveaux énergétiques des orbites moléculaires donneuses et accepteuses concernées par l’extraction de l’électron de l’exciton (afin d’atteindre un voltage plus important), ou en diminuant la largeur de la bande passante (pour capter l’énergie de rayons à plus grande longueur d’onde)8. Ensuite et surtout, leur durabilité : si le film polymère utilisé est très stable, il n’en est pas de même de son interface avec les électrodes transparentes qui récoltent les électrons. Après 4000 heures (équivalent de quatre années d’utilisation) d’irradiation hors spectre UV, une cellule sur cinq est hors d’usage.
Malgré les difficultés qui rendent encore, aux yeux du Dr Gombert, quinze années de recherche nécessaires avant que ne soit donné le feu vert pour leur production industrielle, ces cellules attirent l’attention d’un nombre croissant d’acteurs. Leur cible : produire des cellules à 50 cents/Wc9 et au moins 5% de rendement. À vos éprouvettes ? Prêts ?
Vauban, en avant vers la maison à 20 et – pourquoi pas – 0 kWh par m2 et par an
Environs de la gare centrale de Fribourg-en-Brisgau. Photo prise du « pont à vélo » jouxtant le garage à bicyclettes.
Partez pour le quartier Vauban, qui comme son nom le laisse entendre, a remplacé les casernes des militaires français de la guerre froide. Voisine de Colmar, Fribourg s’est éveillée à la maîtrise de l’énergie au milieu des années soixante-dix, quand sa population s’est mobilisée contre la construction d’une centrale nucléaire dans la région. Cela s’est traduit, outre un recours accru à la concertation et à la médiation participative dans les choix d’aménagement, par la mise en place d’une politique poussée de transports en commun (développement de plateformes intermodales comme celle de la gare centrale qui est aussi gare routière, garage à vélos, station de tramway et de bus ; aménagement de pistes cyclables, ainsi celles de ce pont où passaient autrefois les berlines et qu’empruntent aujourd’hui 9 000 vélos/jour ; mise en place dès 1983 d’un ticket mensuel de transport multimode valable d’abord dans toute la ville puis dans un rayon de 20 km autour de celleci…), la construction des quartiers économes en énergie de Vauban et plus récemment, Rieselfeld, le recours à la cogénération pour la production de 50 % de l’électricité de la ville, ainsi que l’essor d’une industrie solaire autour de l’ISE.
Aire de jeux entre deux rangées de maisons individuelles.
Pour construire Vauban, la municipalité a fait appel à plusieurs architectes soumis à un cahier des charges ambitieux en termes de normes énergétiques de construction : afin que la consommation d’énergie primaire des logements ne dépasse pas 65 kWh par m2 et par an10, il a fallu recourir à des vitrages à coefficients d’émissivité réduits, renforcer l’isolation des murs et des toitures, réinventer la maison individuelle contiguë, éliminer les ponts thermiques etc.
Ce fut l’occasion de repenser le quartier comme une aire résidentielle commune, favorisant les contacts entre habitants et limitant le recours à la voiture : de grandes travées vertes en aèrent la disposition, deux terminaux de tramway y ont été aménagés, la maison de retraite jouxte l’école, et le « bateau solaire » qui fait office de centre commercial est accessible à pied, en tram ou à vélo.
Le centre commercial à toitures PV.
À deux pas, le lotissement solaire « Schlieberg », dont les maisons « énergie plus » produisent plus d’énergie qu’elles n’en consomment. Plus loin encore, preuves que la performance énergétique concerne aussi les bâtiments tertiaires : le bâtiment de l’ISE, ou la Chambre de commerce et d’industrie qui utilise un système de climatisation solaire (thermique).
Ces réalisations démontrant l’utilisation de techniques d’éco-construction à l’échelle de quartiers entiers ne sont pas limitées à Fribourg ; elles vont de paire avec celles de l’éco-quartier anglais Bedzed11, ou du projet européen Polycity (programme Concerto) à Stuttgart, Barcelone et Turin. Elles illustrent d’ailleurs probablement les présentations faites dans le cadre de la chaire ‘science des matériaux pour la construction durable’ ouverte en 2006 à l’X !
De l’aimantation des moteurs
Le 12 février, nous arrivons à Barcelone. Un entretien avec le responsable de la cellule du réchauffement climatique de la Régionalité Autonome de Catalogne nous convainc qu’une visite à l’entreprise Ronser s’impose.
Deux retraités ont mis au point le Polarizador, un système magnétique à installer en amont de l’injection du moteur de tout véhicule roulant, quel que soit son âge, sa marque ou son carburant à condition que ce dernier soit liquide et carboné. Ils ont perfectionné l’invention du professeur italien Sergio Ronconi, ont créé leur start-up en s’appuyant sur un financier et un jeune commercial, et s’attaquent à l’immense marché des véhicules en circulation, fort des économies de carburant que leur invention leur feront réaliser.
Le Polarizador avec embouts d’entrée et de sortie de carburant. Le stylo donne l’échelle du boîtier.
Balivernes, semblables aux arnaques d’internet où des charlatans vantent les mérites magnétiques de gadgets décoratifs pour faire fortune sur le dos du chaland ? Ce n’est pas l’avis de la ville de Barcelone, dont les bus ont servi de démonstrateurs grandeur nature à l’invention récemment certifiée pouvoir économiser entre 5 et 10% de carburant. Elle a d’ailleurs passé commande pour équiper l’essentiel de son parc roulant en Polarizadors.
Comment fonctionne cet appareil ?
Il semblerait que le champ magnétique créé par deux aimants permanents montés en parallèle et autour desquels s’enroule le tube dans lequel circule le carburant avant de rejoindre le système d’injection permette d’orienter les chaînes carbonées. Celles-ci se mélangeraient alors mieux à l’oxygène disponible dans la chambre de combustion, ce qui résulterait en une combustion plus complète – et donc plus propre – du carburant. Le progrès réalisé est d’autant plus significatif que le véhicule greffé est de facture ancienne… de quoi redonner de l’air à nombre de grandes villes !
D’un continent à l’autre
Après avoir discuté politique de gestion des déchets radioactifs et innovations solaires de grande puissance (tours solaires et fermes à héliostats) au CIEMAT de Madrid, nous faisons un pied de nez à Hercule et ses colonnes en prenant le ferry pour Ceuta à Algésiras. C’est d’Afrique que nous vous écrirons le mois prochain !
PS : un avant-goût peut être trouvé sur www.promethee-energie.org12
1. Les réserves de thorium seraient au moins supérieures à trois fois celles connues pour l’uranium. Il est d’autre part envisageable d’utiliser les déchets de la filière actuelle comme combustible de l’EA.
2. Car dépendant essentiellement de la réserve de réactivité choisie par ingéniérie du coeur souscritique. La réaction de spallation engendre l’émission de plusieurs neutrons suite à collision de la cible par un proton accéléré. L’apport en protons contrôle le flux de neutrons nécessaire au maintien de la réaction en chaîne : l’arrêt de l’accélérateur stoppera ainsi la réaction nucléaire, prévenant ainsi tout emballement du réacteur.
3. Le thorium ayant un nombre de masse inférieur de 3 à 5 unités à celui de l’uranium, l’absorption des neutrons produit statistiquement moins de déchets proliférants (U235, Pu239).
4. Prototype of the Energy Amplifier for a Clean Environment.
5. Utilisant l’électricité éolienne pour produire de l’hydrogène et assurer par le biais de piles à combustibles et d’un moteur à hydrogène la continuité de l’approvisionnement électrique d’ensembles isolés comme la communauté insulaire d’Utsira.
6. C’est Vert et Ça Marche, Fayard, 2007.
7. Pour comparaison de rendement : le record mondial pour cellules silicium (Si) multicristallines est de 20.7 %, celui pour une cellule Si à bande passante simple de 24% (rendement théorique maximal ~30 %, ceux atteints par les cellules aujourd’hui sur le marché : 16 %), pour des systèmes monolithiques à bandes passantes multiples : 39%.
8. Les experts auront noté qu’il s’agit bien d’un ‘ou’ exclusif, étant donné que les deux voies proposées sont inverses l’une de l’autre. La bande passante idéale que cette double contrainte d’un voltage suffisant et de l’absorption dans une fréquence ‘utile’ du spectre solaire défini est d’1.6 eV.
9. Contre quelques 3 euros/Wc (Watt-crête) pour les produits actuels.
10. En France, la RT 2000 puis la RT 2005 imposent respectivement une consommation d’énergie primaire maximale de 100 kWh/m2/an et de 85 kWh/m2/an. L’association Effinergie estime qu’il est techniquement possible de fabriquer des logements à 20 kWh/m2/an et vise à abaisser la moyenne nationale à 50 kWh/m2/an (source : www.cler.org).
strong>11. Beddington Zero Energy Development, écoquartier neutre en carbone construit dans la banlieue de Londres.
12. Pour plus d’informations sur les projets mentionnés dans cet article :
www.hydro.com
www.statoil.com/newenergy
www.ise.fraunhofer.de
www.solarregion.freiburg.de
www.vauban.de
www.sonnenschiff-fonds.de
www.concertoplus.edu