Le tour du monde des énergies : Agrocarburant en Inde
Printemps indien – Delhi en rickshaw
Trois semaines en Inde ne suffisent pas à s’imprégner de la diversité d’initiatives qui fleurissent dans ce pays bigarré. Nous avons néanmoins tenté d’en attraper quelques impressions, que nous souhaitons ici partager avec vous.
Les rickshaws de Delhi roulent au gaz depuis que la Cour suprême en a imposé l’usage aux professionnels du transport de personne pour pallier la pollution urbaine.
Arrivées à Delhi le 25 avril, nous y rencontrons certains des officiels cherchant à promouvoir l’investissement dans les énergies renouvelables (IREDA), les économies d’énergie (Bureau d’efficacité énergétique1), ou la mise en place de structures permettant d’améliorer le niveau de vie des communautés rurales en mettant à leur disposition des sources d’énergies renouvelables locales (ministère de l’Énergie). Ce sera aussi l’occasion de discuter éducation des chauffeurs de poids lourds et des ménagères avec les membres de PCRA2, d’apprécier le design de la Mighty Lamp3 commercialisée par Cosmos Ignite, de visiter le centre de conférences de l’Energy and Resource Institute (TERI) construit pour minimiser ses consommations d’énergie et d’eau, et d’ouvrir les yeux sur les enjeux énergétiques des campagnes en rencontrant le fondateur de Development Alternatives qui propose l’installation de centres de génération d’électricité d’origine renouvelable (essentiellement à base de biomasse, mais aussi biogaz et énergie solaire).
Cette ONG a pour credo de fournir plus que de l’énergie à ceux qui en ont besoin. Il s’agit en effet de vendre un service énergétique tarifé en fonction de son utilité pour les utilisateurs finaux (irrigation, entraînement d’un moteur pour activités artisanales, éclairage, recharge de batteries…), plutôt que de simples kilowattheures. Ces services sont proposés par une coopérative montée au sein des communautés concernées. Assurant la maintenance et donc la durabilité du système installé, elles perçoivent les bénéfices de la vente des services qu’elle assure, ainsi qu’une partie des fonds qui seront obtenus, espère le président de Development Alternatives, par la vente de crédits carbone dans le cadre des mécanismes de développement propre prévus par le protocole de Kyoto. Il ambitionne en effet de renouveler la mutualisation réussie des crédits obtenus par la mise en œuvre d’actions d’efficacité énergétique dans 126 fours à briques.
Ce regroupement permet de présenter aux acheteurs potentiels des quantités de crédits qui se vendent d’autant mieux qu’elles sont importantes. Le village dans lequel un premier montage de ce type a été testé en fait usage depuis bientôt cinq ans. 10 (fin 2007) puis 100 autres (fin 2009) doivent emboîter le pas à cette expérience réussie, dont la Banque Mondiale a assuré le financement via l’octroi d’un » Development Marketplace Award « .
Focus sur le monde rural – le biodiésel
Prototype d’usine rurale de transestérification des huiles végétales pour en faire du biodiésel.
Après une escapade culturelle à Agra, où nous nous lavons les yeux de la blancheur du Taj Mahal, cap sur Mumbay, la cité affairée. Là, nous nous initions aux ambitions indiennes ès agro-carburants. Ici, l’accent n’est pas mis sur l’impact environnemental de ces substituts aux hydrocarbures dans les transports : l’objectif est d’augmenter le niveau de vie des campagnes en créant des sources de revenus supplémentaires. À l’Institut de technologie (IIT Bombay), nous nous faisons expliquer le fonctionnement d’une petite usine de transestérification qui pourrait être installée dans les campagnes.
Ses différents modules permettent de transformer les huiles obtenues de la presse de différentes sortes d’oléagineux en esters et glycérine. Les premiers pourront servir de carburant, la seconde est un sous-produit – dont le marché pourrait être vite saturé par une production massive de ces biodiésels. Nombreuses sont les graines candidates à la production d’huiles végétales et de biodiésel.
Parmi celles-ci, jatropha curcas. Originaire du Nicaragua, elle éveille les intérêts agricoles de la Zambie à l’Inde, sous couvert d’adaptation facile aux terrains les moins favorables. Néanmoins, des voix s’élèvent pour contester un choix jugé trop rapide, fait au détriment d’espèces endogènes et sans prise en compte de la toxicité de la plante retenue4.
Économies d’énergie dans le textile
Usine textile où ont été mis en oeuvre les perfectionnements recommandés par BTRA.
Si les manufactures textiles ont quitté Mumbay au foncier devenu trop coûteux, elles n’ont pas filé bien loin et se regroupent en zones industrielles dans tout le Maharashtra. À Solapur, nous rencontrons un ingénieur du Bombay Textile Research Association, centre de recherche et de contrôle qualité privé mutualisant les efforts de plusieurs fabricants. Il nous conduit dans deux usines du cru où ont été mis en place d’ingénieux systèmes permettant de diminuer les consommations de lubrifiants et d’électricité des machines à tisser. Le bruit régulier est assourdissant. Les machines ont parfois plus de cent ans. Les aiguilles des jacquards passent et repassent dans le papier troué qui joue une musique cadencée. On rafraîchit l’air en arrosant l’unique ventilateur de l’atelier. » Hôpitaux de Paris » lit-on sur les draps blancs brodés de bleu…
Les machines qu’on nous présente, aux navettes de bois propulsées d’un bout à l’autre de la pièce à tisser par le coup que leur assène une latte de bois activée par un petit moteur à chaque extrémité de leur parcours, passent près d’un tiers de leur temps à tourner à vide.
Un interrupteur automatique pour économiser l’énergie – il suffisait d’y penser !
En effet, quand le fil se casse, que l’écheveau s’embrouille ou que la navette se vide alors que l’opérateur est occupé à un autre ouvrage, les battants cesseront de s’activer, mais le moteur continuera à tourner, découplé. L’innovation proposée par BTRA avec le soutien de PCRA consistera simplement à installer un interrupteur automatique de courant. Et les économies escomptées sont bien réalisées : un succès ! Ce système, simple, peine pourtant à faire des adeptes. Il souffre en effet de tarifs énergétiques trop bas accordés par des gouvernements soucieux de préserver l’emploi industriel de leurs régions – à défaut d’encourager la modernisation de ces ateliers étonnants d’anachronisme.
Gaz de synthèse et biogaz : sus aux campagnes !
À Bangalore, nous rencontrons le fondateur et président indo-suisse de DESAG Renewable Energy, de NETPRO et de DESI power. Les premières commercialisent des brûleurs producteurs de gaz de synthèse qui, consommés à leur tour dans de petits générateurs électriques, permettent la mise en place de miniréseaux. La seconde les installe en milieu rural, en s’attachant à développer autour d’eux des activités économiques qui bénéficient à tout le village et permettent d’amortir l’investissement initial.
Ce gaz de synthèse provient de la combustion incomplète de bois ou résidus agricoles (et bientôt, peut-être, d’algues…). En contrôlant la quantité d’air introduite à la combustion et après filtration des goudrons des fumées, on obtient un mélange d’hydrogène, de monoxyde de carbone et de chaînes carbonées qui sont encore suffisamment calorifiques pour faire tourner de petits générateurs électriques. L’entreprise est florissante, et commercialise sa technologie en Europe : intéressant transfert Sud-Nord !
Construire autrement
Bangalore, métropole de l’information au développement lancé par celui des centres d’appels anglophones, n’a pas fini de s’étendre et d’attirer les populations désireuses de partager le gâteau de sa prospérité. Cette urbanisation rapide a pris de court la planification – la circulation ne s’y qualifie que de congestionnée, les distances à parcourir quotidiennement semblent démesurées et les centres de vie, introuvables alors que la ville grignote l’espace qui la sépare de ce qui vite rejoindra son sein. M. Hariharan a imaginé qu’il pouvait en être autrement. Il a fondé BCIL (Bioconservation India Limited), dont les équipes proposent à la classe moyenne nourrie par le boom économique d’habiter des appartements » à empreinte écologique réduite « .
Mur de latérite, roche remplaçant avantageusement la brique en climat tropical (T‑ZED, Bangalore).
Une fois la surface disponible à la construction décidée, des études hydrologiques sont effectuées pour évaluer le nombre d’habitants dont les précipitations suffiront à couvrir les besoins en eau. Les eaux de pluie seront en effet collectées, puis purifiées pour fournir l’eau nécessaire aux usages domestiques. Les eaux usées seront ensuite traitées sur place et utilisées pour irriguer les jardinets proposés en terrasse de nombreuses habitations et des zones communes.
La population maximale ainsi définie, il est entrepris d’étudier les matériaux de construction disponibles dans la région, dont la mise au point est peu consommatrice d’énergie et respectueuse de l’environnement tant physique que social (« briques » non cuites, bois de forêts gérées de façon durable, artisans locaux spécialisés dans la taille du marbre ou la pose de ferrociment…).
Objectif : minimiser l’énergie consommée par leur fabrication et leur transport jusqu’au lieu retenu pour la construction. Pour minimiser la consommation énergétique quotidienne du bâtiment, la conception des habitations est étudiée avec soin : l’orientation de la masse n’est pas laissée au hasard, l’électricité du complexe est produite par une unité brûlant de la biomasse couplée à quelques panneaux photovoltaïques, des capteurs thermiques trônent sur les toits et la climatisation est gérée de façon centrale. Différents ensembles ont ainsi vu le jour, aux atmosphères et modes de vie différents ; la demande pour cet habitat d’un nouveau genre continue de croître !
Expériences aurovilliennes
C’est dans le Tamil Nadu que nous écarquillerons les yeux devant la diversité possible d’habitations conçues pour y mieux vivre, en y consommant moins. Auroville est une expérience vivante pour l’avènement d’une communauté alternative et indépendante, sur fond de culte du travail et de respect des préceptes de son inspirateur : le philosophe Sri Aurobindo. Parmi les 2 000 habitants que compte cette ville idéale, on trouve près de 1 200 Français… et plus que de moyenne, des artistes enthousiastes et des créatifs passionnés. Les idées ne font jamais défaut dans cet univers étonnant !
La maison verte de Dhanya, construite au milieu de la forêt plantée par les Aurovilliens.
Dhanya nous fait visiter la maison qu’il a construite en gardant à l’esprit les sept dimensions suivantes : considération des matériaux de construction, efficacité de l’utilisation et du recyclage de l’eau, indépendance énergétique (énergie solaire), circulation de l’air, attention aux qualités acoustiques, élimination de l’éclairage artificiel en journée, prise en compte des relations entre les différents espaces de vie. Si les explications holistiques dont il accompagne la visite nous laissent dubitatives, nous ne manquons pas d’admirer le résultat de ses réflexions, et l’intégration de la bâtisse dans son environnement physique.
À Auroville, les panneaux solaires croisés à chaque coin de rue se déclinent en d’intéressantes variantes : suivi de la course solaire automatisée ou manuelle, variations sur le type de batteries utilisées, » voiture » solaire, études de conception de boîtiers pour éclairage solaire public adaptés aux températures indiennes, accroissement des rendements de conversion thermique des geysers par l’ajout de surfaces réfléchissantes, et, probablement la plus impressionnante de toutes, concentration par une parabole de miroirs (construits sur place) des rayons solaires sur un serpentin de cuivre recouvert d’alumine dans lequel circule l’eau permettant d’alimenter en vapeur la cuisine communautaire.
Les ingénieurs du centre scientifique d’Auroville ne laissent jamais une idée, même d’apparence saugrenue, échapper au radar de leur attention. Ainsi d’un projet malaisien de pyramide solaire, dont les parois chaufferaient l’air aspiré à sa base par la dépression alors créée, au point que son ascension puisse entraîner la rotation de turbines génératrices d’électricité. Les détails de cet étonnant projet n’étaient pas encore connus – mais il est probable qu’il fonctionne suivant un principe analogue à celui des cheminées solaires.
Pondichéry – et les idées de Brahmanand Mohanty
Miroir parabolique et serpentin chauffant (cuisine solaire d’Auroville).
Brahmanand Mohanty a tout pour nous séduire : enjoué, accueillant, ce professeur à l’Institut de technologie asiatique de Bangkok a plus d’un tour dans son sac – et plus d’une idée brevetable à la minute. Dans son caddie électrique avec lequel il sillonne les rues de l’ancien comptoir français, il nous présente quelques-uns des projets qu’il a contribué à faire naître.
C’est ici l’atelier de vermicompostage qui a pris pied sur une ancienne décharge, là un stand de recharge » au soleil » de batteries utilisées par quelques minibus électriques, ailleurs l’explication d’un projet thaïlandais de mise au point d’une lampe solaire à faible coût multiusage. Son agenda chargé nous prive de sa compagnie, mais il aura tant oeuvré à occuper le nôtre que nous n’avons aucune peine à l’imaginer à nos côtés quand nous partirons à la découverte des projets de l’Agence pour le développement des énergies renouvelables de Pondichéry, mettant à l’honneur biogaz et économies d’énergie.
Il eut fallu voir tant encore : s’intéresser aux grands barrages combattus par Arundhati Roy, discuter politiques de transport, interroger sur les technologies nucléaires au thorium… et arpenter plus longuement ce vaste sous-continent, pour espérer en saisir le pouls. Si le Pendjab traverse la frontière pour étancher de ses plaines fertiles les faims tant indiennes que pakistanaises, nous aurons été frappées du contraste entre les deux pays qui en partagent les cinq rivières. Le sixième pays le plus peuplé au monde peine à développer l’engouement et l’expertise locale qui permettraient à des sources alternatives d’énergie – pourtant nécessaires – de percer sur des marchés dominés par les ressources fossiles importées. Son voisin-continent fait, lui, le pari de l’initiative privée encouragée par de généreux programmes d’équipement des campagnes pour réaliser les promesses de ces sources non-conventionnelles. L’incertitude institutionnelle du premier qui se répand dans l’actualité internationale accentue la renommée de stabilité de son voisin, dont le pendant critiquable est une inertie décisionnelle liée à l’inaccessibilité des responsabilités politiques aux plus jeunes.
Si la croissance des dernières années bénéficie aux deux pays, elle est inégalement convertie en réserves de dynamisme – dont nous allions découvrir une nouvelle variante à l’étape suivante de notre voyage, qui, après ceux d’Alexandre, nous fit emboîter les pas de Marco Polo. Drôles d’impressions que celles qui vous parviennent décantées deux mois après notre retour ? De plus fraîches vous attendent sur www.promethee-energie.org !
Remerciements
C’est l’entregent de M. Brahmanand Mohanty (Pondichéry, Inde) et le carnet d’adresses d’ERAI (Entreprises Rhône-Alpes International) qui nous ont ouvert les portes des administrations et entrepreneurs qui ont accepté de nous recevoir. Mille mercis ! 1. Dont le directeur nous enthousiasmera par son charisme et sa connaissance de « son » sujet
auquel il souhaite donner plus de visibilité.
2. Association d’industriels à la tête d’une campagne de rationalisation de l’usage des hydrocarbures.
3. Lampe de poche rechargeable en journée grâce à un petit module photovoltaïque, la Mighty Lamp bénéficie d’un design robuste adapté aux usages ruraux auxquels elle se destine : différentes focalisations du signal lumineux, possibilité de suspension au plafond ou d’utilisation comme torche, autonomie permettant la tenue d’activités artisanales et agricoles dans la pénombre – ensemble de qualités permettant aux utilisateurs de s’affranchir du cycle solaire pour mener à bien leurs activités. Son prix reste aux yeux des professionnels du développement un obstacle à une commercialisation qui se nourrirait d’un marché spontané, et nombreuses sont les initiatives pour mettre au point un système analogue à coût réduit.
4. Qui rend impossible l’utilisation des résidus de presse et de coupe pour nourrir le bétail.