Le trafic des passagers devrait doubler en vingt ans

Dossier : Le transport aérienMagazine N°645 Mai 2009
Par François COLLET (69)

L’a­via­tion est une prouesse tech­nique de l’homme et un rêve. Mais c’est aus­si, depuis plu­sieurs décen­nies, une acti­vi­té éco­no­mique à part entière, avec ses lois éco­no­miques, ses évo­lu­tions ins­ti­tu­tion­nelles, ses crises et ses ques­tions sur l’a­ve­nir. Le trans­port de pas­sa­gers consti­tue 85 % du tra­fic total. Au-delà de la crise, il devrait dou­bler d’i­ci vingt ans.

REPÈRES
Le trans­port aérien est une acti­vi­té peu ren­table. Cette situa­tion s’explique par trois causes : le faible pou­voir de négo­cia­tion des com­pa­gnies sur leurs four­nis­seurs (construc­teurs d’avions, pétro­liers, aéro­ports) ; la fai­blesse des bar­rières à l’entrée, il suf­fit de peu de capi­tal pour louer des avions et embau­cher des pilotes, dont les qua­li­fi­ca­tions sont stan­dar­di­sées, de même d’ailleurs que les pro­ces­sus de main­te­nance, qui peut elle-même être sous-trai­tée par le trans­por­teur à une entre­prise qua­li­fiée ; le déca­lage entre la frag­men­ta­tion poli­ti­co régle­men­taire du mar­ché issue de l’histoire et ses dimen­sions pure­ment économiques.

L’in­dus­trie mon­diale du trans­port aérien a été constam­ment défi­ci­taire de 2001 à 2006, puis à nou­veau en 2008, l’an­née 2007 consti­tuant la seule année béné­fi­ciaire de la période. Cette situa­tion s’ex­plique par dif­fé­rents évé­ne­ments sur­ve­nus depuis le tour­nant du siècle : le trau­ma­tisme du 11 sep­tembre 2001, la ten­sion géo­po­li­tique de 2003, année de l’at­taque amé­ri­caine en Irak, l’é­pi­dé­mie du SRAS la même année, la hausse du prix du pétrole qui a culmi­né à l’é­té 2008, puis l’é­cla­te­ment de la crise finan­cière glo­bale dont les effets se pour­suivent aujourd’­hui. Au cours de cette période, les trois pre­mières com­pa­gnies amé­ri­caines, qui sont par­mi les pre­mières du monde par les volumes trans­por­tés et le chiffre d’af­faires, se sont retrou­vées, à un moment ou à un autre, sous le cha­pitre 11 de la légis­la­tion amé­ri­caine sur les faillites, l’é­qui­valent du régime fran­çais de redres­se­ment judi­ciaire. En Europe, la situa­tion a été moins dra­ma­tique au plan finan­cier, mais des com­pa­gnies naguère natio­nales comme Sabe­na, Swis­sair, et plus récem­ment Ali­ta­lia ou Aus­trian Air­lines ont, dans le même temps, dis­pa­ru ou ont été rache­tées après avoir fait faillite.

CHIFFRES

Un trafic doublé en quinze ans

Deux mil­liards de passagers
Pour l’an­née 2007, les chiffres sont les sui­vants : 4 400 mil­liards de pas­sa­gers-kilo­mètres ; envi­ron 2,3 mil­liards de pas­sa­gers trans­por­tés par les com­pa­gnies (soit une étape moyenne d’un peu moins de 1 900 km) ; 4,8 mil­liards de pas­sa­gers comp­ta­bi­li­sés par les aéroports.

Le trans­port aérien a connu une crois­sance très sou­te­nue, pas­sant d’en­vi­ron 500 mil­liards de pas­sa­gers-kilo­mètres trans­por­tés en 1970 à 4 400 mil­liards en 2007. Il a seule­ment connu sur la période deux années de baisse cor­res­pon­dant à des évé­ne­ments géo­po­li­tiques majeurs, pre­mière guerre du Golfe en 1991 et atten­tats du 11 sep­tembre en 2001.

Il a notam­ment plus que dou­blé au cours des quinze der­nières années.

Le trans­port aérien de pas­sa­gers peut se mesu­rer en volume par trois chiffres : les pas­sa­gers trans­por­tés par les com­pa­gnies aériennes, les pas­sa­gers-kilo­mètres trans­por­tés par celles-ci ; les pas­sa­gers comp­ta­bi­li­sés sur les aéro­ports. Le chiffre des aéro­ports est d’un peu plus du double du chiffre des com­pa­gnies car chaque pas­sa­ger est comp­ta­bi­li­sé une fois à l’at­ter­ris­sage et une fois au décol­lage, y com­pris lors des escales inter­mé­diaires. Dans la durée, le chiffre des pas­sa­gers-kilo­mètres trans­por­tés aug­mente un peu plus vite que celui des pas­sa­gers car la lon­gueur moyenne des étapes aug­mente petit à petit ; elle était d’en­vi­ron 1 300 km il y a trente ans, 1 500 km il y a vingt ans et 1 700 km il y a dix ans.

Les aéro­ports comptent chaque pas­sa­ger deux fois, à l’atterrissage et au décollage

Sur 4 400 mil­liards de pas­sa­gers-kilo­mètres trans­por­tés en 2007, près du quart l’ont été à l’in­té­rieur de l’A­mé­rique du Nord, prin­ci­pa­le­ment aux États-Unis, qui res­tent le pre­mier mar­ché du monde. Le second fais­ceau est le tra­fic inté­rieur de la région Asie-Paci­fique avec 18 % du total. Le tra­fic inté­rieur chi­nois, inclus dans ce chiffre, a repré­sen­té à lui seul plus de 200 mil­lions de pas­sa­gers-kilo­mètres trans­por­tés en 2007, soit 5 % du total (contre 2 % en 2000), ou encore la moi­tié de l’At­lan­tique Nord.

ACTEURS

Un marché mondial segmenté

Le trans­port aérien est mon­dial par excel­lence : il emploie les mêmes avions, suit les mêmes règles tech­niques sur toute la pla­nète, et ses pas­sa­gers par­courent le monde.

Cepen­dant, le doit inter­na­tio­nal sti­pule, non sans rai­son, que l’u­ti­li­sa­tion de l’es­pace aérien res­sor­tit à la sou­ve­rai­ne­té de chaque État. Le droit d’embarquer et débar­quer des pas­sa­gers repose ain­si, dans le monde entier, sur la Conven­tion inter­na­tio­nale rela­tive à l’A­via­tion civile inter­na­tio­nale signée à Chi­ca­go en 1944.

Aucune com­pa­gnie n’a libre­ment accès à l’ensemble du mar­ché mondial

Dans ce cadre, les droits de tra­fic dépendent à la base, soit d’un seul État, lors­qu’il s’a­git de son tra­fic inté­rieur, soit d’ac­cords bila­té­raux ou mul­ti­la­té­raux entre plu­sieurs États lors­qu’il s’a­git d’al­ler de l’un à l’autre.

C’est à par­tir de cette struc­ture de base qu’ont eu lieu suc­ces­si­ve­ment la libé­ra­li­sa­tion du tra­fic inté­rieur des États-Unis au début des années quatre-vingt, puis la créa­tion et la libé­ra­li­sa­tion du mar­ché inté­rieur euro­péen dans les années quatre-vingt-dix. Dans les années 2000, l’U­nion euro­péenne a pour­sui­vi sur sa lan­cée en se lan­çant dans la négo­cia­tion, au nom des États membres, d’ac­cords de ciel ouvert avec des par­te­naires exté­rieurs. Le plus impor­tant signé à ce jour est l’ac­cord entre l’Eu­rope et les États-Unis entré en vigueur en avril 2008, qui rem­place les accords bila­té­raux anté­rieurs entre chaque État membre de l’U­nion et la par­tie américaine.

Il n’en reste pas moins que le mar­ché mon­dial reste seg­men­té juri­di­que­ment ; il n’existe pas de Toyo­ta, de Micro­soft ou d’Exxon Mobil, ni même de Bouygues ou de Vin­ci du trans­port aérien car aucune com­pa­gnie n’a libre­ment accès à l’en­semble du mar­ché mondial.

Les trois alliances
Le cadre juri­dique inter­na­tio­nal explique en grande par­tie la créa­tion dans la seconde moi­tié des années quatre-vingt-dix des trois grandes alliances qui dominent le trans­port aérien inter­na­tio­nal : One World, Star Alliance et Sky Team.

Ces alliances ont voca­tion à cou­vrir le mar­ché mon­dial des vols long-cour­riers et des lignes d’ap­port qui les ali­mentent par des cor­res­pon­dances sur les hubs (terme d’u­sage cou­rant dans les trans­ports et les com­mu­ni­ca­tions élec­tro­niques, signi­fiant moyeu en anglais).

Cha­cune d’elles regroupe de dix à vingt com­pa­gnies, par­mi les­quelles : l’un des trois lea­ders amé­ri­cains, l’un des trois lea­ders euro­péens, une ou plu­sieurs com­pa­gnies asiatiques.

Leurs parts de mar­ché, en nombre de pas­sa­gers-kilo­mètres dans le monde, ont été en 2007 : Star Alliance (Uni­ted Air­lines, Luf­than­sa et leurs alliés) 23 % ; Sky Team (Del­ta Air­lines, Air France et leurs alliés) 21 % ; One World (Ame­ri­can Air­lines, Bri­tish Air­ways et leurs alliés) 18 %.

Prises indi­vi­duel­le­ment, les dix pre­mières com­pa­gnies mon­diales sont les six citées dans les alliances (voir enca­dré), aux­quelles s’a­joutent Conti­nen­tal, Nor­th­west Air­lines, Sou­th­west, toutes trois amé­ri­caines, et une seule asia­tique, Sin­ga­pore Air­lines. La pre­mière du clas­se­ment, Ame­ri­can Air­lines, ain­si que le groupe Air France-KLM, si on le consi­dère comme un seul trans­por­teur, dépassent les 200 000 pas­sa­gers-kilo­mètres trans­por­tés, soit un peu plus de 5 % du mar­ché mon­dial chacun.

PERSPECTIVES

Avions et performances

Les avions qui vole­ront dans vingt ans ne repré­sen­te­ront pas une révo­lu­tion mais une pour­suite du pro­grès par rap­port à ceux que l’on connaît aujourd’­hui, sachant que l’A-380 com­mence tout juste sa car­rière com­mer­ciale, et que le B‑787 ou l’A-350XWB n’ont pas encore com­men­cé les leurs. Dans leurs pro­jec­tions, Air­bus et Boeing dis­tinguent quatre seg­ments : les avions régio­naux, les single aisle (mono­cou­loirs), les twin aisle (doubles cou­loirs) et les très gros por­teurs. Les pro­grammes déjà lan­cés portent sur les très gros por­teurs (A‑380) et les doubles cou­loirs (B‑787 et A‑350XWB).

Énergie et environnement

Le mode de pro­pul­sion ne chan­ge­ra pas fon­da­men­ta­le­ment dans les vingt ans à venir ; le car­bu­rant sera tou­jours le kéro­sène, issu du pétrole, ou des sub­sti­tuts pos­sé­dant des pro­prié­tés équi­va­lentes, issus du char­bon ou de la bio­masse. L’a­via­tion com­mer­ciale res­te­ra donc très concer­née par sa consom­ma­tion de pétrole, par ses émis­sions de CO2, et aus­si par la maî­trise des nui­sances sonores. Dans ces dif­fé­rents domaines, des pro­grès conti­nus sont atten­dus sur la double base des efforts constants de l’in­dus­trie et de l’é­vo­lu­tion de la régle­men­ta­tion internationale.

Structure des marchés

Les dis­cus­sions inter­na­tio­nales en cours montrent que la ten­dance est d’aller vers la pour­suite de la libé­ra­li­sa­tion pro­gres­sive des dif­fé­rents seg­ments du mar­ché mon­dial. Cette ten­dance sus­cite des craintes car elle fera le jeu des grandes com­pa­gnies mon­diales par rap­port à celles des pays moyens mais elle obéit à une logique de fond, au même titre que la libé­ra­li­sa­tion du com­merce en géné­ral dans le cadre de l’OMC. Elle devrait se pour­suivre, sauf ren­ver­se­ment his­to­rique non pré­vi­sible aujourd’hui.

Plus vite que le PIB
Le déter­mi­nant le plus fon­da­men­tal de la demande de trans­port aérien réside dans la psy­cho­lo­gie humaine. Dans le monde entier, le consom­ma­teur, vu comme un agent éco­no­mique, a un désir de dépla­ce­ment, qui cor­res­pond à une exten­sion de sa liber­té et à son désir de décou­verte. L’é­las­ti­ci­té de la demande de trans­port aérien par rap­port au reve­nu dis­po­nible a tou­jours été, jus­qu’à pré­sent, supé­rieure à un. L’OACI la chiffre à 1,30 sur la base de séries longues. À coût constant, le trans­port aérien aug­mente plus vite que le PIB et cette loi ne peut que conti­nuer à se véri­fier jus­qu’à la matu­ri­té de l’ac­ti­vi­té. Celle-ci est à peu près atteinte aux États-Unis, mais est encore loin de l’être dans la plus grande par­tie du monde.

Répar­ti­tion du tra­fic mon­dial en 2007
Fais­ceaux 106PKT %
Amé­rique Nord Amé­rique Nord 1020 23%
Asie-Paci­fique Asie-Paci­fique 780 18%
Europe Europe 630 14%
Sous-total 1 55%
Amé­rique Nord Europe 420 10%
Europe Asie-Paci­fique 310 7%
Amé­rique Nord Asie-Paci­fique 250 6%
Sous-total 2 78%
Amé­rique Nord Amé­rique Latine 180 4%
Europe Amé­rique Latine 160 4%
Europe Moyen-Orient 160 4%
Europe Afrique 120 3%
Amé­rique Latine Amé­rique Latine 120 3%
Asie-Paci­fique Moyen-Orient 90 2%
Moyen-Orient Moyen-Orient 40 1%
Afrique Afrique 30 1%
Amé­rique Nord Moyen-Orient 30 1%
Afrique Moyen-Orient 20 0%
Amé­rique Nord Afrique 8 0%
Asie-Paci­fique Afrique 6 0%
Asie-Paci­fique Amé­rique Latine 5 0%
Afrique Amé­rique Latine 3 0%
TOTAL 4382 100%

Trafic

Air­bus et Boeing publient chaque année des pré­vi­sions à vingt ans, de même que d’autres orga­nismes dont Euro­con­trol (contrôle aérien en Europe).

Ame­ri­can Air­lines et Air France-KLM dépassent cha­cune 5% du mar­ché mondial

Leurs chiffres glo­baux son­tr ela­ti­ve­ment proches : ils pré­voient, année après année, une crois­sance du tra­fic mon­dial proche de 5 % par an en PKT, et de 4 % en pas­sa­gers ; la lon­gueur moyenne des vols étant sup­po­sée aug­men­ter d’en­vi­ron 1 % par an. Le nombre d’a­vions en ser­vice aug­men­te­rait, quant à lui, d’en­vi­ron 3 % par an, le nombre de sièges par avion aug­men­tant aus­si sur la période.

Le tra­fic pas­se­rait ain­si de 4 500 mil­liards de pas­sa­gers-kilo­mètres trans­por­tés en 2007 à 12 000 mil­liards en 2027.

Cette pré­vi­sion repose sur l’hy­po­thèse d’une aug­men­ta­tion du PIB mon­dial d’en­vi­ron 3 % par an, taux assez com­mu­né­ment pris en compte par les pré­vi­sions macroé­co­no­miques mon­diales, y com­pris celles de l’A­gence inter­na­tio­nale de l’énergie.

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