Le transport d’électricité, garant de la qualité d’approvisionnement
Évoquer la transition énergétique, c’est examiner d’abord l’évolution du parc de production. S’agissant du nucléaire, la durée de vie d’exploitation du parc actuel constitue le principal facteur d’évolution de l’offre française à long terme.
Les énergies renouvelables ne réduisent pas les besoins de transport d’électricité
Si la longévité des groupes devait être un paramètre déterminant de l’évolution de la part du nucléaire dans le bouquet électrique français, les régions où la production nucléaire est à la fois plus ancienne et la plus concentrée seraient majoritairement concernées, vallée du Rhône et Val-de-Loire en tête.
Les conséquences en termes de flux d’électricité sur le réseau ne sont pas neutres et nécessitent une nouvelle topographie du maillage qui constitue le réseau de transport d’électricité, pour sécuriser l’approvisionnement de zones jusque-là fortement productrices et continuer de garantir l’équilibre entre offre et demande sur l’ensemble du territoire.
S’adapter aux énergies nouvelles renouvelables
Le développement des énergies renouvelables ne s’accompagne pas d’une réduction des besoins en réseau de transport d’électricité. Au contraire, il en renforce la nécessité, et cela même si la consommation d’électricité stagne ou diminue depuis plusieurs années. Les efforts de maîtrise de la consommation d’énergie n’annuleront pas ce paradoxe.
Stockage et consommation
Le besoin de stockage diffère selon que les caractéristiques de consommation régionale s’accordent plus ou moins aux régimes de production éolienne ou photovoltaïque. Ainsi, en Irlande, le régime diurne des vents se traduit par des pics de production éolienne correspondant généralement aux périodes de forte consommation. De même, dans les pays méditerranéens où la climatisation est bien plus développée qu’ailleurs en Europe, l’apogée de la production photovoltaïque correspond également à des consommations électriques élevées.
Les nouveaux sites de production, éoliens ou photovoltaïques, sont généralement situés dans des zones éloignées des centres de consommation. Le transport de l’énergie éolienne produite en mer du Nord vers les centres de consommation du Sud est un enjeu majeur en Allemagne et, en l’absence de capacités de transport suffisantes, la production renouvelable doit parfois être bridée, un gaspillage physique et économique.
Par ailleurs, les formes décentralisées de production d’électricité ne garantissent pas la couverture de la consommation au niveau local. Ainsi, l’électricité produite par des panneaux photovoltaïques installés sur les toits d’un quartier résidentiel a toutes les chances d’être perdue au moment du pic de la production, en milieu de journée, si le réseau ne permet pas de l’acheminer vers des centres de consommation. Le réseau en retour permettra de couvrir les besoins de cette même population la nuit et les jours peu ou pas ensoleillés.
Poser la question du stockage
Le recours au stockage, pour autant qu’il soit lui aussi dispersé et réparti, serait de nature à mieux concilier l’intermittence de la production renouvelable et la variabilité de la consommation d’électricité. Mais, à ce jour, les solutions techniques, efficaces et rentables, font défaut et le meilleur stockage de grande échelle est constitué aujourd’hui par les « stations de pompage hydraulique » dont le développement est limité aux zones de relief et dont la localisation nécessite aussi le renforcement de transport d’électricité.
Toujours le réseau
Les orientations européennes
La Commission européenne a parfaitement identifié le besoin de solidarité entre réseaux et, au travers du « paquet infrastructures », pousse à la simplification et à la rationalisation des procédures administratives, au moins pour les projets labélisés « projet d’intérêt commun ». Bien sûr, il ne s’agit pas de s’affranchir de procédures qui répondent à un devoir d’information et de dialogue indispensable, mais bien de réduire l’écart de temps entre décision et réalisation. Les projets de construction de site de production thermique ou renouvelable se réalisent en moyenne en quelques années. C’est loin d’être le cas pour la construction d’une ligne à haute ou très haute tension qui peut voir s’écouler près de dix ans avant qu’elle ne soit opérationnelle. Il reste à transcrire les orientations européennes dans le droit français et peut-être à imaginer dans quelle mesure d’autres projets, tout aussi importants pour la stabilité et la sécurité du réseau de transport d’électricité français, pourraient bénéficier d’un traitement similaire.
En assurant l’acheminement de l’électricité des zones de production, où qu’elles soient, vers les zones de consommation, le réseau reste donc la solution la plus adaptée à l’accueil et à la valorisation des énergies renouvelables, tant sur le plan économique qu’environnemental. Cette mise en commun permet en effet d’augmenter les différentes sources d’énergie et de diminuer les investissements, qui seraient autrement nécessaires pour pallier leur variabilité.
En mutualisant les moyens de production et en utilisant les synergies et les complémentarités des territoires, on participe au développement d’une économie sobre en carbone tout en assurant la solidarité électrique entre les territoires.
Moduler la consommation
Les modes de production « pilotables » développés jusqu’au début des années 1990 ont amené à considérer la production comme devant s’adapter à la consommation. L’opérateur de réseau devait s’assurer d’ajuster la production d’électricité aux variations de consommation afin de garantir un équilibre permanent entre production et consommation d’électricité.
Le développement de nouveaux usages de l’électricité (climatisation, multiplication des équipements électroniques, téléphonie mobile, etc.) et les transferts d’usage attendus notamment dans le secteur du transport (véhicules électriques) nécessitent de maîtriser la consommation actuelle de manière à ne pas saturer le parc de production et les réseaux électriques.
Du consommateur au « consommacteur »
RTE est particulièrement moteur dans la valorisation de tous les types d’effacement, qu’ils soient diffus dans le secteur résidentiel ou qu’ils concernent les sites industriels.
Plusieurs outils permettront de transformer le consommateur en consommacteur. Le signal tarifaire est un moyen dissuasif évident de maîtrise de la consommation d’électricité, mais il est difficile à développer dans le contexte économique actuel. Des dispositifs d’appel à la maîtrise de la consommation d’électricité ont été développés en Bretagne et dans la région PACA.
Introduire la flexibilité
La vague de froid que nous avons connue en février 2012 et les pics de consommation qu’elle a entraînés illustrent la nécessité de moduler la consommation électrique pour faire face à des situations tendues. Au total, c’est davantage de flexibilité qu’il faut introduire dans le système électrique, en particulier du côté de la consommation.
En mobilisant l’opinion pour l’inciter à différer ses consommations, notamment lors des pics de consommation hivernaux, ces démarches interactives répondent à la demande accrue d’informations de la part de certains consommateurs pour mieux maîtriser leurs consommations et constituent une première étape dans la gestion de la consommation énergétique par l’utilisateur, gestion que les nouvelles technologies de l’information et de la communication permettront d’étendre et de systématiser.
Les récents appels d’offres ont permis une forte augmentation des volumes d’effacement depuis leur apparition en 2010 (de 100 MW pour la première expérimentation à 700 MW fin 2013). Les nouveaux mécanismes de marché qui seront mis en place dans les années à venir, dont le mécanisme de capacité, devraient permettre de soutenir cette tendance et contribuer ainsi à introduire davantage de flexibilité du côté de la demande d’électricité.
L’importance de l’échelon européen
La France est un véritable carrefour d’électricité en Europe. À l’instar du réseau de transport d’électricité national, les échanges transnationaux d’électricité se sont organisés dès le début du XXe siècle. À l’origine, leur fonction essentielle était d’améliorer la sécurité d’approvisionnement des pays en appelant au secours mutuel.
Assurer la solidarité électrique entre les territoires
Si cette fonction demeure présente, et l’expérience en a été faite à de nombreuses reprises, s’ajoute aujourd’hui la nécessité d’augmenter la contribution des sources d’énergie renouvelable, l’éolien de la mer du Nord, l’hydraulique de la Scandinavie ou des Alpes, ou encore le solaire des pays méditerranéens, à une plus grande échelle.
Sur le plan européen, 80% des développements de réseau sont aujourd’hui motivés par l’essor des énergies renouvelables, que ce soit pour le raccordement des nouvelles installations ou pour le renforcement des réseaux en amont.
Une solidarité entre réseaux
L’Europe au charbon ?
L’exemplarité de l’Europe en matière de diminution des gaz à effet de serre est menacée. Le bouleversement des gaz de schiste aux États-Unis, en libérant de vastes quantités de charbon pour l’Europe, a eu pour effet une augmentation de la consommation européenne de charbon, phénomène aggravé par le faible prix de la tonne de CO2 sur le marché européen.
Sa position géographique confère à la France une responsabilité particulière puisqu’elle doit prendre en compte l’évolution des bouquets énergétiques voisins. L’arrêt programmé du nucléaire en Allemagne, l’essor des énergies renouvelables en Allemagne, Espagne et Italie et les spécificités du bouquet énergétique français accentuent le besoin d’interconnexions transfrontalières.
La solidarité entre réseaux de transport européens est plus que jamais indispensable pour à la fois répondre à une vague de froid en France, exporter vers l’Europe une production excédentaire d’éolien espagnol ou encore absorber la production de photovoltaïque des toits bavarois, productions qui, même si elles sont diffuses, impactent en volume le système électrique européen.
Couplés à la transition énergétique française, ces changements accroissent le besoin de respiration permise par les interconnexions.
Revoir l’architecture du marché de l’énergie
Le marché intérieur de l’électricité souffre aujourd’hui de plusieurs dysfonctionnements dont il faut tenir compte dès à présent. Le développement des énergies nouvelles renouvelables, plus rapide qu’anticipé et promu par des mécanismes régulés hors marché, se traduit dans certains pays, y compris en France, par l’apparition sporadique de prix négatifs sur les marchés de gros et menace la compétitivité de moyens conventionnels pourtant absolument nécessaires.
La multiplicité des annonces de fermeture de centrales thermiques à gaz partout en Europe en témoigne. Les marges de sécurité aujourd’hui disponibles, et qui ont permis le passage de la vague de froid de 2012, décroissent sur toute la période 2014–2018 avec une baisse marquée entre 2015 et 2016. Si un événement du type de la vague de froid de février 2012 venait à se reproduire sous les mêmes conditions climatiques (vent, ensoleillement, température), on pourrait approcher près de quarante heures d’interruption locale de fourniture d’électricité dès 2016.
Le marché de l’électricité peine aujourd’hui à envoyer les signaux de long terme efficaces, indispensables pour mener à bien les ambitions énergétiques et climatiques européennes. De la bonne prise en compte de l’interaction de ces enjeux dépend aussi la qualité d’approvisionnement électrique, dont les réseaux de transport constituent l’un des garants essentiels.