Le transport public urbain exige une grande qualité de service
Le transport public urbain, service à la clientèle et outil privilégié de l’urbanisme, exige qualité de service, maîtrise des coûts, stratégie d’investissement, expérience internationale. L’histoire de la RATP, liée à celle des hommes qui en ont fait la grandeur, illustre son rôle fondamental au sein de l’agglomération parisienne.
Le transport public urbain est à la fois un service à la clientèle, avec ses concepts de marketing de service et de qualité de service élaborés dans les années quatre-vingt, mais aussi un outil privilégié de l’urbanisme et de la vie urbaine de nos métropoles. Ce rôle de « service public » a son principe fondateur dans la pénurie d’espace public urbain. Elle oblige la collectivité à adopter des politiques de déplacement, arbitrant entre le transport collectif et le transport individuel motorisé, ce dernier très consommateur d’espace et d’atmosphère. Se rajoute aujourd’hui une autre pénurie à venir, celle de l’énergie fossile, sans oublier les contraintes écologiques, telles que l’émission de CO2.
Écologie, fiabilité, confort
Il faut marier le nouveau « politiquement correct » qu’est devenu le transport collectif urbain avec les caractéristiques de confort et de liberté, qui caractérisaient auparavant des politiques plus « automobiles ». La tâche des responsables politiques en est devenue plus facile à définir sinon à mettre en œuvre : il faut développer le transport public pour le rendre à la fois porteur du message écologique du futur de la planète, et attractif pour les électeurs d’aujourd’hui, qui réclament de la fiabilité et du confort pour adopter de « bon gré » ce service que la RATP avait baptisé, il y a près de trente ans, « la deuxième voiture ».
Un marketing triangulaire
Public ou privé ?
Il n’y a pas de schéma idéal qui s’impose comme une évidence. Au début du vingtième siècle, la solution des concessions privées prévalait, comme ce fut le cas pour le métro parisien. Après 1945, la mode s’est inversée pour de multiples activités, dont le transport urbain. La création de la RATP se situe dans ce contexte. Dès les années quatre-vingt le mouvement de privatisation se développe surtout en Grande-Bretagne et en France (loi SRU). C’est pourquoi des groupes français et britanniques occupent les premières places sur le marché mondial. Ce mouvement s’est depuis ralenti, parce que trop de privatisations ont été mal préparées ou réalisées sur de mauvaises bases.
La question de l’organisation des transports publics est liée au choix « public-privé » (voir encadré). La solution qui prévaut aujourd’hui dans le monde est celle de la création d’une « Autorité organisatrice », organisme public dépendant du pouvoir politique municipal, régional, voire national. Cette autorité met en œuvre la politique de déplacement, décidée au nom de la collectivité, et attribue la responsabilité de gestion à des « entreprises exploitantes ». Cette attribution est accordée, soit à une entreprise publique ad hoc, soit, par appel d’offres, à des sociétés qualifiées. L’entreprise choisie entretient une double relation avec la clientèle (qui exprime ses attentes et ses appréciations) et avec la collectivité (qui fixe ses objectifs). C’est le marketing « triangulaire ».
Investir efficacement
L’infrastructure à la charge de la collectivité
Il n’est pas possible, dans les grandes métropoles, de répercuter le coût complet des transports urbains à leurs utilisateurs. Ce coût est donc partiellement pris en charge par la collectivité.
Le service est facturé au client selon un tarif fixé par la collectivité avec l’objectif de rendre ce service attractif par rapport à l’usage de la voiture. À Paris, avec un niveau de tarif sensiblement plus faible que la moyenne des villes (grosso modo, la moitié du prix londonien), les recettes du trafic couvrent sensiblement les coûts d’exploitation.
Nulle part dans le monde, les recettes ne permettent de couvrir les coûts d’infrastructure.
Le champ d’activité où la question de la répartition des tâches se pose, avec des réponses variables, est celui de la maîtrise d’ouvrage déléguée des investissements de transport. Si la maîtrise d’ouvrage revient naturellement à l’autorité organisatrice, sa mise en œuvre peut être très utilement confiée à l’opérateur, si celui-ci est inscrit dans la durée, comme cela est le cas d’une entreprise publique ad hoc. La connaissance de la clientèle et l’expérience de l’exploitation du réseau lui donnent des atouts-clés pour être « concepteur-réalisateur-opérateur » du système de transport avec les meilleures garanties d’adaptation et de cohérence dans l’investissement public.
Enfin, notons que là où les opérateurs ont des relations contractuelles avec les autorités organisatrices, ce qui est le cas général en France aujourd’hui, un prix de production de service est négocié et sert de base à la rémunération de l’opérateur. Celui-ci assume le risque de production et la sanction pour la qualité de service, à travers un système de bonus-malus basé sur la mesure d’indicateurs de qualité. Le plus souvent, il participe au risque de trafic, par un intéressement au niveau de la recette.
LA RATP, UN CAS SYMBOLIQUE
Un schéma directeur d’urbanisme
La RATP est créée le 1er janvier 1949 (voir historique en encadré). Le transport urbain n’était pas alors la priorité. Au début des années soixante, le général de Gaulle confie à Paul Delouvrier, superpréfet en charge de la région parisienne, la mission de développer harmonieusement l’agglomération. Il élabore le Schéma directeur d’urbanisme et des transports, avec l’ambition de mettre de l’ordre dans l’urbanisme de la Région Capitale, avec la création des villes nouvelles, mais aussi avec une couverture ferroviaire de toute l’agglomération, comme Fulgence Bienvenüe l’avait fait, pour Paris, quatre-vingts ans plus tôt.
Les origines de la RATP
La RATP prend ses racines en 1828 dans les nombreuses compagnies concurrentes d’omnibus à traction hippomobile. En 1855, un monopole de concession est attribué à la Compagnie générale des omnibus.
La réforme de 1920 donne naissance à un organisme public auquel le département de la Seine confie l’exploitation de tout le réseau de surface.
Parallèlement, deux concessions sont attribuées en 1898 par la ville de Paris pour l’exploitation du nouveau chemin de fer métropolitain (la Compagnie du Métropolitain et la Compagnie Nord-Sud), l’une absorbant l’autre en 1929.
Le gouvernement de Vichy unifie métro et autobus en 1942. La Régie autonome des transports parisiens (RATP) est créée en 1949.
La modernité publique, version années soixante
Pierre Weil est nommé à la tête de la RATP pour réveiller la belle au bois dormant et mettre en œuvre à la fois la modernisation de l’entreprise et la réalisation du RER. Des bataillons de jeunes cadres sont embauchés.
L’opérateur de transport assume systématiquement le risque de production
Pierre Weil donne de la créativité et du dynamisme aux structures de conception et d’exploitation. Il crée et développe les équipes d’études de transport et les équipes de maîtrise d’œuvre des lignes nouvelles du RER. La ligne A du RER est réalisée à grande profondeur, avec de vastes stations de correspondance, autant de défis aux lois de la mécanique des sols. Se créa ainsi une concentration sans précédent de savoir-faire en travaux souterrains et en conception de métros.
En quelques années, l’entreprise change de visage. Le métro est bouleversé : le pilotage automatique des trains permet la suppression du 2e agent embarqué, la commande centralisée des lignes facilite la régulation des trains ; les départs programmés des rames en station autorisent une réduction des intervalles et permettent donc un renforcement des lignes ; le péage automatique entraîne une réduction forte du personnel des stations et la suppression du « contrôleur des Lilas ».
Ticket chic et choc : le ticket, élément de snobisme.
Pierre Giraudet succède à Pierre Weil en 1972 et prolonge son action en développant la planification et le marketing. Il améliore les relations avec la SNCF. La création de la Carte orange, qui en résulte en 1975, dope le transport collectif, dont le trafic n’arrête plus de grimper durablement jusqu’à nos jours.
Chic et choc et temps réel
Pendant les années quatre-vingt, et malgré une situation morose à la tête de l’entreprise, deux actions se développent, sans impulsion d’en haut, mais avec un fort impact sur son avenir. D’abord, en matière de communication, par la promotion croissante du transport public par les campagnes « chic et choc », valorisant le « client » du métro et mettant en scène le symbole du ticket. Ces campagnes télévisées firent un tabac auprès du public et des professionnels et eurent un impact fort et durable sur l’image du transport public et donc sur le trafic.
Ensuite vint la création des concepts de marketing de service, si différent du marketing de grande consommation. C’est la démarche du service produit en temps réel sous le regard et avec la participation du consommateur, pas de correction possible. C’est toute la problématique de la qualité de service, largement développée depuis, et qui agit en profondeur sur l’essence du service proposé par l’entreprise.
Cette inscription de la fonction commerciale au cœur de l’exploitation des réseaux coïncide avec l’arrivée de Christian Blanc en 1989.
La modernité publique, version années quatre-vingt-dix
De grands patrons dégagés du politique
Les grands patrons qui ont fait avancer la RATP avaient des personnalités qui leur permettaient d’exister face au pouvoir politique. Ils étaient les chefs les plus capables de mettre en oeuvre des politiques ambitieuses s’inscrivant dans la durée. Ils savaient se dégager de la pression du politique pour gérer les situations sociales conflictuelles.
Au plan du management, Christian Blanc joue un rôle analogue à celui de Georges Besse chez Renault quelques années plus tôt. La direction dirige, oriente et donne le sens. L’encadrement encadre, soutient, donne les outils et l’appui qu’il faut aux agents. Ceux-ci réalisent le service en pleine responsabilité. Les syndicats représentent le personnel et défendent ses intérêts. Des lignes hiérarchiques courtes. Des directions opérationnelles décentralisées et responsabilisées par ligne de métro et par « centre bus ».
De 1960 à 1970, la capacité de transport du métro augmente de 60 % à effectif constant
Au plan de la préparation de l’avenir, c’est à Blanc et non à Dejouany que l’on doit la phrase : « La Compagnie générale des Eaux pourrait très bien exploiter les transports à la place de la RATP », préparant la révolution culturelle d’une sortie du monopole public.
Jean-Paul Bailly prolonge l’action et fait entrer la RATP dans l’ère concurrentielle. Il crée « RATP International » en 1998. Un rapprochement s’opère avec la Caisse des Dépôts pour un partenariat avec Transdev. Les capitaux de la Caisse des Dépôts et de la RATP se croiseront lors de la création de « RATP développement » après le vote sur la loi SRU en l’an 2000.
Omnibus à traction hippomobile. La concession d’un monopole dès 1855.
Défis et stratégie
Une reconnaissance par le public de la qualité du service
Deux éléments pour la stratégie future de la RATP sont à mettre en œuvre concomitamment.
Tout d’abord ne pas susciter l’envie du donneur d’ordre francilien de vouloir mettre fin au rôle historique de la RATP en région parisienne. Cela grâce à une profonde reconnaissance par sa clientèle de la qualité du service. Mais cela aussi par la conviction de l’autorité organisatrice du bon niveau de maîtrise de ses coûts et de sa compétitivité technique et commerciale.
Côté offensif, investir, comme cela est engagé depuis dix ans, pour prendre une part significative sur le marché mondial d’opérateur de transport urbain. Il faut renforcer l’alliance avec Transdev, voire envisager la fusion, lorsque la Caisse des Dépôts aura défini clairement sa stratégie dans les transports.
Il faut mener à bien, avec l’actionnaire public, un travail lourd de révision et de clarification des régimes d’investissement à la RATP, avec leurs conséquences sur l’endettement de l’entreprise. La réputation de qualité de service, de qualité de management et de maîtrise des coûts demeure les arguments clés de l’avenir.
REPÈRES
Établissement public, désigné comme opérateur par le STIF (Syndicat des transports de la région Île-de-France), la RATP (Régie autonome des transports parisiens) a été créée en 1949. Chiffre d’affaires : 3 milliards d’euros en 2006 ; résultat net 43 millions d’euros.