Le Trouvère
Placido Domingo a été un des plus grands ténors des soixante dernières années. Après avoir chanté plus de cent rôles de ténor, tous les plus grands, il a entamé depuis une dizaine d’années une seconde carrière de baryton, interprétant désormais Simon Boccanegra, Germont, Foscari, Nabucco, et ce soir le comte dans Le Trouvère. Lui qui a été un formidable Manrico, trouvère, au disque pour Karajan (le film des représentations existe), Levine, Mehta et Carlo Maria Giulini, il interprète désormais son double, frère et rival, le sévère et sombre comte de Luna, qui est un grand rôle dans cet opéra. Et le résultat est exceptionnel. Teint avec une chevelure et une barbe sombre, Domingo est méconnaissable en jeune baryton, et parfaitement crédible. Que ce soit dans ses airs ou ses duos avec la soprano, il est même inoubliable.
On ne sera pas surpris que je vante dans ces colonnes la soprano Anna Netrebko. Mais il faut reconnaître qu’une fois de plus elle est formidable.
Dans une mise en scène onirique et fantasmagorique, principalement en noir et blanc pour mieux faire ressortir le rouge du sang, Netrebko pour une fois blond platine et le teint blafard pâli artificiellement est saisissante également par son apparence, hallucinée. Ambiance cauchemardesque, à la Hoffmann ou Edgar Poe. Cette histoire de sorcière, d’enfant volé, d’amour impossible et de jalousie prend toute sa force dans ces conditions.
Verdi sera le compositeur d’opéra qui aura le plus puisé dans la grande littérature, deux fois Hugo, trois fois Shakespeare (sans compter Le Roi Lear, que Verdi n’arrivera jamais à réaliser), quatre fois Schiller, deux fois Lord Byron… Mais pour Le Trouvère, Verdi s’inspire d’un drame de l’obscur dramaturge espagnol Gutiérrez, qui lui doit sa notoriété. Reconnaissons toutefois que les ressorts dramatiques du livret sont nombreux et poignants.
L’orchestre de la Staatskapelle de Berlin est le second orchestre de Berlin, que Daniel Barenboïm dirige désormais depuis vingt-cinq ans (succédant à Spontini, Meyerbeer, Richard Strauss, Kleiber, Karajan…), sur les scènes de concert et dans la fosse d’opéra. Très beau, et surtout très bien enregistré, l’orchestre est un acteur du drame à part entière, comme dans les deux autres opéras de la fameuse trilogie populaire de Verdi, La Traviata et Rigoletto. Cette production de 2013, célébrant le bicentenaire de la naissance de Verdi, nous permet d’approfondir un opéra très souvent représenté, avec un orchestre mémorable, une Leonora et un comte d’anthologie, dans des décors et costumes qui remettent en question et originaux.