Le véhicule électrique, projet de société
L’amélioration des moteurs conventionnels ne permettra pas de satisfaire les demandes environnementales et rend inéluctable l’électrification des véhicules. Mais il n’existe pas de solution unique pour cette évolution, beaucoup sont complémentaires, même si les solutions rechargeables deviendront incontournables dès lors que les infrastructures seront là.
Lors de la COP 21 à Paris, les États ont présenté de très nombreux plans d’action en vue de réduire leur empreinte carbone. Sans surprise, nombre de ces plans d’action concernent le transport routier, et parmi ceux-ci plus de la moitié contiennent des mesures visant à promouvoir la mobilité électrique.
REPÈRES
L’électrification peut être réalisée avec une recharge des batteries sans apport externe : c’est le cas des voitures mild hybrid qui récupèrent l’énergie au freinage (gain de consommation de 4 % à 8 %) et des voitures full hybrid, rechargées par le moteur thermique comme les Toyota Prius I et II (gain de 10 % à 15 %).
La vraie rupture visà- vis des énergies fossiles n’est toutefois actée que lorsque la recharge est assurée par le réseau électrique soit de façon exclusive comme pour la Zoé (réduction de 20 % à 90 % selon le mix énergétique), soit en association avec un moteur thermique qui peut entraîner les roues (Prius III par exemple) ou recharger les batteries, comme pour l’Opel Ampera (gain de 10 % à 80 %).
L’ÉLECTRIFICATION, ENJEU ENVIRONNEMENTAL
Pour le véhicule particulier, cela signifie une réduction des émissions des véhicules vendus en 2050 de 50 % par rapport à aujourd’hui (soit – 5,3 % par an).
L’amélioration des moteurs conventionnels ne permettant a priori qu’une réduction de 2 % à 3 % par an, l’écart ne saurait être comblé que par l’électrification des véhicules, sous toutes ses formes.
Seule l’électrification des véhicules, associée à une amélioration du mix nécessaire à la production de l’électricité, peut permettre d’atteindre de tels taux de réduction d’émissions : une Zoé n’émet en effet que 16 g de CO2 aux 100 km, à comparer aux 110 g d’une Clio Diesel.
Dans ce contexte, tous les constructeurs ont développé un quasi-continuum de concepts de véhicules électrifiés (en se limitant aux véhicules légers).
DES SOLUTIONS MAIS PAS DE PANACÉE
Il est difficile d’établir un classement dans l’absolu de ces différentes technologies, et leur diversité illustre le fait qu’il n’existe pas à ce jour de solution qui l’emporte haut la main sur toutes les autres.
Tout dépend des usages et des attentes des utilisateurs, notamment en termes d’arbitrage entre autonomie, coûts et prestations dynamiques. Chaque degré d’électrification présente ses avantages et inconvénients.
Renault a privilégié les véhicules « zéro émission ». CC – KIRILL BORISENKO
L’hybridation légère (mild hybrid) consiste à intégrer une petite batterie Lithium-ion en plus de la batterie classique au plomb, qui récupère de l’énergie au freinage. Cette énergie gratuite est réutilisée pour alimenter les auxiliaires de la voiture (chauffage, phares, start-stop s’il existe) ou apporter un complément de couple au moteur thermique au démarrage ou dans les phases d’accélération (cas des batteries de 48 V).
Ces batteries ne sont pas assez puissantes pour permettre un roulage en mode 100 % électrique, mais la récupération d’énergie se traduit par des gains significatifs de consommation à un moindre coût.
Les full hybrids, dont le représentant historique est la Toyota Prius, disposent d’une batterie plus importante et sont capables de rouler en mode 100 % électrique sur quelques kilomètres (de 1 à 5 km en général). Les gains en consommation sont de même nature que pour la catégorie mild hybrid, même s’ils peuvent être plus significatifs du fait de la taille de la batterie.
Dans les deux cas, la seule source externe d’énergie pour le véhicule reste le carburant fossile. Même si cette technologie a été précurseur, elle est maintenant plutôt en perte de vitesse, le gain de CO2 par rapport au surcoût se révélant moins compétitif que pour les alternatives (mild hybrid ou même diesel modernes), et la réduction du coût des batteries pousse les constructeurs comme Toyota à proposer des plug-in hybrids en complément ou en lieu et place.
VOITURES BRANCHÉES
On change alors de catégorie : les plug-in hybrids, comme les véhicules 100 % électriques, disposent d’un moteur électrique, d’une batterie plus importante, et surtout d’une prise leur permettant d’être alimentés directement par le réseau et donc de réellement rouler à l’électricité provenant d’une autre source que leur moteur à combustion.
Dans cette catégorie, les offres varient en fonction de la taille de la batterie, qui détermine l’autonomie électrique disponible, et de la présence ou non d’un moteur thermique en complément de ladite autonomie.
Dans certains cas, le moteur thermique peut faire rouler la voiture ; dans d’autres il ne sert qu’à recharger la batterie, la propulsion étant exclusivement électrique. À l’extrémité du spectre, on supprime le moteur thermique et on a le véhicule 100 % électrique, seul véhicule « zéro émission » (en roulage).
DES GAINS DÉPENDANT DES USAGES
Les gains en termes de consommation et de CO2, potentiellement beaucoup plus importants, dépendent en fait des usages (part de conduite 100 % électrique) ainsi que du contenu CO2 de l’électricité utilisée. Les surcoûts de ces technologies sont également plus importants, en fonction notamment de la taille de la batterie et de l’existence ou non d’une double motorisation.
Les prévisions sur le succès respectif de ces différentes technologies restent très incertaines et varient fortement selon les zones géographiques, notamment compte tenu de l’importance des politiques publiques en la matière et des réglementations.
LE GRAND FLOU DE L’ÉVOLUTION DU MARCHÉ
Aux États-Unis, les motorisations hybrides se sont développées plus rapidement qu’en Europe, en partie comme alternative aux moteurs Diesel pour améliorer l’efficacité des moteurs thermiques et respecter les règles CAFE de plus en plus contraignantes. Les véhicules hybrides ont représenté 86 % de ventes de véhicules électrifiés en 2014.
Toutefois, on assiste actuellement à un basculement net vers les technologies plug-in qui concentrent les aides financières, et sont même devenues obligatoires dans quinze États dont la Californie.
UNE SITUATION CONTRASTÉE
En Europe, la situation est comme toujours plus fragmentée et contrastée par pays, mais on observe la même tendance : les full hybrids, significatifs depuis 2010, semblent atteindre une asymptote autour de 1,5 % des ventes totales.
LE POIDS DE LA CHINE
La Chine sera dès cette année le premier marché pour les véhicules électriques. Les new energy vehicles y regroupent les véhicules rechargeables sur le réseau et les véhicules avec pile à hydrogène, avec un volume dépassant les 100 000 voitures et des taux de croissance exponentiels (les ventes de 2015 sont le triple de celles de 2014).
Dans ce marché, tiré par des politiques publiques très volontaristes à la fois au niveau national (règles CAFE qui limitent les émissions réalisées par chaque marque sur la base d’une moyenne des véhicules vendus, en fonction du poids ou des catégories de véhicules) et local (bonus, exemption de la limitation des plaques d’immatriculation), on s’attend à un basculement d’une majorité actuelle de véhicules full hybrid (plus de 50 % en 2014) vers une prédominance de véhicules rechargeables sur le réseau (plus de 80 % dès 2020 selon le BIPE).
On assiste depuis 2012 à un décollage des modèles plug-in, selon des rythmes et des mix très différents selon les pays.
À court terme, le marché des véhicules électrifiés reste très dépendant de facteurs non directement liés à la technologie elle-même, à savoir essentiellement la qualité des offres de produits mises en avant, associée aux politiques publiques et au niveau de maturité de l’écosystème (présence de bornes de recharge).
Ce n’est qu’à plus long terme, lorsque les technologies seront plus banalisées et les politiques publiques moins déterminantes dans l’équation économique, que les différentes technologies seront discriminées par leur compétitivité intrinsèque.
DES STRATÉGIES AU DÉPART DIVERGENTES
Dans ce contexte, les stratégies d’électrification des constructeurs dépendent à leur tour de deux facteurs : à court et moyen terme, le besoin de répondre aux réglementations (CAFE un peu partout, réglementation ZEV aux États-Unis, NEV en Chine, etc.) en lien avec leurs priorités géographiques et les segments de marché sur lesquels ils sont présents, et à long terme celui de se positionner sur les technologies les plus prometteuses d’un point de vue à la fois d’image de marque et de portefeuille technologique.
DES CHOIX CLIVANTS
La Prius a connu un véritable succès. © SJOERD VAN DER WAL
On a ainsi assisté à des choix initiaux clivants. Renault et Nissan ont choisi de se positionner comme les leaders du véhicule zéro émission, en introduisant entre 2010 et 2012 cinq modèles de grande série 100 % électriques, dont trois sur des plateformes dédiées, et en visant des prix comparables aux véhicules thermiques équivalents.
De fait, sur les 232 000 véhicules 100 % électriques vendus dans le monde en 2015, 36 % étaient de marque Renault ou Nissan. La Renault Zoé est le premier véhicule électrique vendu en Europe, et la Nissan Leaf le premier au niveau mondial.
Toyota a axé sa stratégie sur le full hybrid dès les années 2000 : la Prius, après des débuts laborieux, a connu un véritable succès commercial qui a forgé une image forte de Toyota dans ce domaine. Elle a contribué à populariser la technologie sur tous les marchés.
Daimler ou BMW ont pu se permettre de développer en parallèle les technologies hybrides rechargeables pour leurs modèles haut de gamme et des solutions 100 % électriques pour les plus petites voitures (Smart électrique, BMW i3).
D’autres groupes, comme Volkswagen ou le groupe Hyundai-Kia, ont eu des approches plus attentistes, focalisées dans un premier temps sur les véhicules hybrides pour concurrencer Toyota aux États-Unis, et ont fait des tests en électrifiant des modèles thermiques.
Enfin, Tesla a bâti son succès sur une approche en rupture, attaquant le marché par le très haut de gamme tout électrique et évoluant vers des véhicules plus abordables.
UNE ÉVOLUTION VERS DES PORTEFEUILLES TECHNOLOGIQUES LARGES
Compte tenu des évolutions technologiques rapides et surtout de l’émergence d’un consensus sur le fait que la réponse au défi des réductions de CO2 ne passera pas par une technologie unique, mais bien par un portefeuille de solutions d’électrification qui devront être appliquées de manière optimisées selon les segments de marché et les zones géographiques, on assiste actuellement à un rééquilibrage des stratégies des différents constructeurs, avec en définitive le développement par tous d’un portefeuille de technologies assez large.
La Tesla, symbole du très haut de gamme tout électrique. © GANGIS KHAN
Ainsi, l’Alliance Renault-Nissan dispose d’une offre full hybrid aux États-Unis et au Japon, et prépare des produits plug-in, notamment pour les marchés nord-américain et chinois.
Hyundai a développé une plateforme dédiée à l’électrique sur le segment C avec trois solutions rechargeables sur le même véhicule, pouvant ainsi couvrir tous les marchés et tous les mix de motorisation.
Volkswagen semble miser fortement sur l’hybride rechargeable mais prévoit également de proposer des versions 100 % électriques sur la plupart de ses modèles.
Toyota propose maintenant des hybrides rechargeables (Prius III) et des véhicules purement électriques au Japon et aux États-Unis, même si ces derniers ne représentent pour l’instant que 5 % de ses ventes de véhicules électrifiés.
Par ailleurs, à l’horizon 2021, date d’entrée en vigueur du prochain palier de normes CO2 en Europe, la plupart des modèles thermiques de tous les constructeurs seront équipés de technologies mild hybrid.
UN MOUVEMENT QUI S’ACCÉLÈRE
Le développement des infrastructures de recharge est un facteur essentiel d’évolution du marché. © HELENEDEVUN
On comprend donc qu’il faut observer ces stratégies en mode dynamique, et que les différentes technologies d’électrification ne sont pas tant concurrentes que complémentaires.
Les prévisions s’appuient essentiellement sur des études de coût total d’utilisation, qui elles-mêmes dépendent énormément à court terme de l’évolution des politiques publiques, et à moyen terme de l’évolution du coût des technologies (notamment le coût des batteries par kilowatt-heure).
Il s’agit là de facteurs importants, nécessaires, mais pas suffisants, comme le montre très bien la diversité des performances selon les pays européens : la vitesse d’adoption des technologies plug-in – du fait notamment de la disruption en termes d’usage qu’elles imposent (besoin de recharge au domicile ou sur l’espace public) – dépend avant tout de l’engagement coordonné de tous les acteurs de l’écosystème.
C’est ce qui a fait leur succès en Norvège, et qui explique pourquoi la France est le premier pays européen en matière de véhicule électrique à ce jour : le véhicule électrique n’est pas l’affaire des constructeurs, mais c’est bien un projet de société.
De ce point de vue, l’urgence environnementale, la multiplication des offres de véhicules électrifiés et des services associés (fort lien avec l’autopartage et le véhicule connecté et autonome à terme), le développement des infrastructures de recharge et les progrès significatifs des technologies de batteries pointent vers une accélération de cette adoption dans de nombreux pays dans les trois à cinq ans qui viennent.
Les constructeurs s’y préparent activement.