Le Vent des peupliers
Avant d’aller voir jouer Le Vent des peupliers au Théâtre Montparnasse – qui ne s’appelle plus Montparnasse – Gaston Baty, on se demande pourquoi – j’en avais lu le texte. Quand l’ouïe baisse, mon cas, et que l’on a la brochure sous la main, c’est la prudence même. Cette lecture ne fit pas lever en moi un enthousiasme grand. J’y subodorai comme un arrière-goût de surréalisme à tendance métaphysique qui m’inquiéta un peu. N’est pas Beckett ou Ionesco qui veut, me disais-je.
Molière écrit quelque part que, sauf à être du métier, on ne saurait juger de la qualité d’une pièce en la lisant, mais seulement aux chandelles, c’est-à-dire sur scène. N’étant pas précisément “ du métier ”, j’ai pu mesurer la justesse de cette observation et constater que, au contraire de mes sottes réserves, le texte de l’auteur, M. Gérald Sibleyras, faisait merveille sous les herses. Or M. Sibleyras est du métier, lui. Il est comédien, et il s’agit d’ailleurs là de sa première écriture dramatique. Voilà qui nous promet de bonnes heures de théâtre, s’il poursuit dans cette voie.
Sans pour autant rien ôter à son mérite, il convient pourtant d’ajouter que son texte est servi par trois grands, très grands. M. Georges Wilson ne viendrait pas chaque soir de sa lointaine forêt de Rambouillet, où il abrite ses quatre-vingt-un ans, s’il n’avait pas jugé d’emblée que le jeu en valait la chandelle, au sens propre du terme. Le jeu ? Celui d’un vieil officier bien né, atterri dans une maison de retraite pour anciens combattants, narquois, entêté et bougon, mal dans sa peau à l’idée qu’il perd ses cheveux et qui, de surcroît, doit, lui un ancien héros de la guerre de 14, avaler des potages tièdes sous la houlette d’une bonne sœur relevant de l’espèce gendarme à la charité autoritaire. Il tue le temps comme il peut en d’interminables bavardages, pour le spectateur d’une hilarante vacuité, avec deux autres éclopés de la Première Guerre mondiale.
Éclopés pour leur part joués par deux autres grands. Le cher Jacques Sereys, en l’occurrence un colonel lesté d’un éclat d’obus dans le crâne, qui le rend sujet à de fréquentes syncopes aux conséquences parfois saugrenues ; par le malicieux Maurice Chevit, moins gradé mais pétri de bon sens et prompt à l’enthousiasme malgré une patte folle qui le handicape dans ses courtes promenades autour de l’hospice, en l’empêchant de suivre comme il l’aimerait les ébats champêtres des petites filles du pensionnat voisin, et de leur jeune institutrice.
Alors pourquoi ce titre ? Au contraire de La Cantatrice chauve par exemple, cet intitulé d’apparence sibylline possède un sens. Au loin mais visible de la maison de retraite, sur la crête d’une haute colline, s’étire une rangée de peupliers qu’agite sans cesse le vent léger d’août. Ils bougent, et dans l’univers clos où nos trois malheureux retraités tournent en rond, c’est même la seule chose qui bouge.
Aussi rêvent-ils de s’évader un jour, de gravir la colline et d’aller jusqu’aux peupliers. Ils savent bien qu’avec leurs multiples handicaps, ce ne sera guère facile. S’ensuit une préparation d’une parfaite drôlerie qu’en bons militaires rodés aux coups de main et soucieux de ne rien laisser au hasard, ils mènent avec méticulosité. Et de scruter l’horizon à la jumelle, d’étudier la carte d’état-major, de rassembler des couvertures, d’apprendre à s’encorder.
Autour de ces riens, et de bien d’autres, M. Sibleyras a bâti une trame de désopilants dialogues, ponctués de trouvailles inattendues, nimbant cependant les vieux soldats décatis d’une bienveillante ironie, mêlée de cette pointe de tendresse sans quoi il n’est point de grand théâtre. Alors qu’il eût été facile, avec de tels personnages, de verser dans un antimilitarisme d’intellectuel imbibé de conscience universelle, l’auteur ne commet pas cette faute de goût et demeure toujours d’une réserve de bon aloi à cet égard.
Cet enchantement cocasse et léger, encore que pas si léger que cela à y bien songer, fut mis en scène par Jean-Luc Tardieu, venu au théâtre après la mise en scène d’opéras, difficile école à coup sûr car, pour une Callas, que de terrifiantes dondons à diriger, fringuées comme des caissières de cirque et sachant mieux placer leurs voix d’or que leurs bras. Bonne école en tout cas : on ne perçoit pas le moindre “effort de recherche” et tout coule de source sur le plateau
Aux amis lecteurs qui auraient manqué Doit-on le dire ?
Qu’ils sachent que J.-L. Cochet et son équipe la reprennent dès le mois de mars au Théâtre Tristan Bernard, 64 , rue du Rocher, 75008 Paris, tél. : 01.45.22.08.40, qu’ils la joueront au Festival de Pau le 7 juillet, puis du 9 septembre au 22 octobre à Lyon, au Théâtre Tête d’Or, 60, rue du Maréchal de Saxe, tél. : 04.78.62.96.73.
Ils la présenteront ensuite en tournée, jusqu’à la fin de l’année 2003.