Le vide sibérien face au trop-plein chinois

Dossier : Démographie, un monde de disparitésMagazine N°685 Mai 2013
Par Marc ROUSSET

Selon Vla­di­mir Pou­tine, « le pro­blème le plus grave de la Rus­sie est le pro­blème démo­gra­phique ». Son gou­ver­ne­ment a pris un cer­tain nombre de mesures pour amé­lio­rer la situation.

REPÈRES
La Chine compte 1,37 mil­liard d’habitants si l’on y inclut Hong Kong, Macao et Taï­wan. Elle n’a plus en moyenne que 1,41 enfant par femme. La popu­la­tion pro­gresse grâce aux pro­grès de l’espérance de vie. Elle est tiraillée entre deux maux : la sur­po­pu­la­tion et le vieillissement.
La Rus­sie est en déclin. Elle comp­tait 149 mil­lions d’habitants en 1988 et seule­ment 141 mil­lions en 2001. Elle a per­du cer­taines années jusqu’à 800000 habi­tants, par­tiel­le­ment com­pen­sés par l’arrivée d’environ 400 000 immi­grants russes venant des anciennes Répu­bliques sovié­tiques. On compte aus­si 9 mil­lions de non-Russes en Russie.
La Rus­sie abrite depuis des siècles des mil­lions de musul­mans russes, coha­bi­ta­tion entrée dans les mœurs qui pose moins de pro­blèmes qu’en Occi­dent, si l’on met de côté le cas par­ti­cu­lier de la Tchétchénie.

Un congé de grand-maternité

Par­mi ces mesures, on note l’équivalent de 9 000 euros (capi­tal mater­nel) à par­tir du deuxième enfant et même un « congé de grand-mater­ni­té » de qua­torze mois pour les babou­ch­ka qui gardent leurs petits-enfants.

La Rus­sie revient aux valeurs traditionnelles

On observe aus­si un cer­tain retour aux valeurs tra­di­tion­nelles. L’annuelle « Gay Pride » de Mos­cou a été aban­don­née, comme elle l’a été à Ber­lin et à Duis­bourg. Mais la Rus­sie « reste entre deux mondes » et l’influence de la « culture de mort » de l’Occident reste très forte (hédo­nisme, avor­te­ment, contra­cep­tion, homo­sexua­li­té, etc.).

La Russie dépassée par la Turquie en 2050

Com­ment cela se tra­duit en termes démo­gra­phiques ? Le nombre moyen d’enfants par femme, qui avait connu un mini­mum de 1,1 en l’an 2000, est remon­té à 1,53 ce qui est certes insuf­fi­sant, mais supé­rieur à celui de la Chine ou à la moyenne euro­péenne (en France, on compte envi­ron 1,7 enfant par femme pour les Fran­çaises « de souche » et 3,4 pour la popu­la­tion d’origine immi­grée récente).

La pyra­mide des âges en Rus­sie n’est pas favo­rable. Les pré­vi­sions de l’ONU donnent pour la Rus­sie de 2050 une four­chette com­prise entre 88 et 130 mil­lions d’habitants. Au même moment, la popu­la­tion turque aura dépas­sé les cent mil­lions d’habitants.

L’Oural, une simple ligne de par­tage des eaux.
© ISTOCK PHOTO

À che­val sur l’Oural
Pour les Occi­den­taux, l’Oural est une sépa­ra­tion nette entre l’Europe et l’Asie, entre la Rus­sie d’Europe et la Sibé­rie. Pour les Russes, c’est une chaîne de mon­tagnes très moyennes, bien plus petites que celles du Cau­case, une ligne de par­tage des eaux qui ne rompt en rien la conti­nui­té de leur pays. On ne sau­rait trop sou­li­gner l’importance de cette conti­nui­té, car la géo­gra­phie com­mande l’histoire.
La pré­sence de la Médi­ter­ra­née a, par exemple, joué un rôle fon­da­men­tal dans les sen­ti­ments iden­ti­taires des Maghrébins.

La Sibérie, réservoir de richesses minières

La Sibé­rie a un nom d’origine tur­co-mon­gole (Sim­birsk). Elle s’étend sur 13,1 mil­lions de kilo­mètres car­rés (60 % de la Rus­sie), mais ne compte que 39 mil­lions d’habitants (27% de la Rus­sie), soit trois habi­tants au kilo­mètre car­ré. C’est un immense réser­voir de richesses minières et pétro­lières très variées, dont plus du quart des réserves mon­diales de diamant.

Il est hors de doute que cette région du monde aura bien­tôt un rôle de tout pre­mier plan, sur­tout si le réchauf­fe­ment cli­ma­tique se confirme et si la navi­ga­tion trans­po­laire devient cou­rante. En juillet 2007 les Russes ont plan­té leur dra­peau au pôle Nord, par quatre mille mètres de fond.

Un peuplement très lent

Fon­dée en 1859, Vla­di­vos­tok compte aujourd’hui 600 000 habitants

C’est Yer­mak et ses mille cosaques qui, au XVIe siècle, com­men­cèrent la conquête de la Sibé­rie. Les contacts avec les peuples nomades d’Asie cen­trale furent sou­vent guer­riers, mais, avec les peuples du Grand Nord, Samoyèdes, Iakoutes, Inuits, ils furent pour ain­si dire tou­jours pacifiques.

Le peu­ple­ment de la Sibé­rie fut très lent : elle n’avait encore que cinq mil­lions d’habitants en 1815. La construc­tion du che­min de fer trans­si­bé­rien fut bien sûr un élé­ment capi­tal du déve­lop­pe­ment de cette région par­ti­cu­liè­re­ment iso­lée : ain­si, en 1914, le nombre de Sibé­riens dépas­sait 10 millions.

Les traités inégaux

Des actions communes
La Chine et la Rus­sie œuvrent en com­mun dans l’Organisation de coopé­ra­tion de Shan­ghai, dont le but prin­ci­pal est de main­te­nir les États-Unis et l’Otan le plus pos­sible hors de l’Asie centrale.
La Rus­sie par­ti­cipe à l’encadrement inter­na­tio­nal de la puis­sance chinoise.

En 1858 et 1860, pen­dant et juste après la deuxième guerre anglo-fran­co-chi­noise de l’Opium, les Russes pro­fi­tèrent des dif­fi­cul­tés de la Chine pour impo­ser à Aïgoun puis à Pékin les « trai­tés inégaux » et la fron­tière de l’Amour- Ous­sou­ri. En 1859, ils fon­daient Vla­di­vos­tok (aujourd’hui 600 000 habitants).

De la sorte, il existe deux fron­tières rus­so-chi­noises, de part et d’autre de la Mon­go­lie-Exté­rieure. Celle de l’ouest n’a que 50 kilo­mètres, mais celle de l’est en a 4 195. Bien enten­du, tous les éco­liers chi­nois apprennent que les ter­ri­toires du Nord- Est leur ont été arra­chés par la force.

Une colonisation rampante

Y a‑t-il un dan­ger de « colo­ni­sa­tion ram­pante » de la Sibé­rie par les Chinois ?

Des chiffres de plu­sieurs mil­lions d’immigrés chi­nois en Sibé­rie ont cir­cu­lé, mais le gou­ver­ne­ment russe a stric­te­ment limi­té leur nombre à 400 000.

D’un autre côté, l’Extrême-Orient russe, où règne un solide cli­mat d’hostilité anti­chi­noise, réa­lise quand même 80% de son com­merce avec la Chine, la Corée, le Japon, contre seule­ment 10 % avec la Rus­sie d’Europe.

Résister à l’expansion chinoise

« L’important n’est pas l’intention, mais le poten­tiel », disait Bismarck.

Vers des cieux plus cléments
La popu­la­tion de l’Extrême-Orient russe est en baisse, sur­tout par émi­gra­tion vers des lieux plus clé­ments (essen­tiel­le­ment vers la Rus­sie d’Europe). Depuis vingt ans, le Kamt­chat­ka a per­du 20% de sa popu­la­tion, l’île de Sakha­line 18% et la pro­vince de Maga­dan (extrême nord-est) plus de 55%.

On peut donc craindre qu’après avoir absor­bé le Tibet, le Sin-Kiang, Hong Kong et Macao, la Chine moderne n’en fasse autant de Taï­wan avec laquelle elle est déjà en sym­biose économique.

L’étape sui­vante est tout indi­quée. C’est la Mon­go­lie-Exté­rieure, dont « l’indépendance » a été impo­sée par la Rus­sie en 1912 seule­ment et qui sur­vit dans des condi­tions dif­fi­ciles avec à peine 2 mil­lions d’habitants sur 1,5 mil­lion de kilo­mètres car­rés. Gen­gis Khan est un héros chinois.

La fai­blesse de la nata­li­té reste le point inquiétant

Et après ? La Rus­sie aura de toute évi­dence le plus grand mal à résis­ter à l’expansion chi­noise. Son point le plus faible est cette peste blanche : la fai­blesse de la nata­li­té. Cette leçon vaut aus­si pour l’Europe, en par­ti­cu­lier face à une Afrique pro­li­fique. Une union euro­péenne de Lis­bonne à Vla­di­vos­tok sera sans doute le seul vrai contre­poids à ces déséquilibres.

La Rus­sie est « entre deux mondes », mais elle est essen­tiel­le­ment euro­péenne, aus­si bien par l’histoire que par la géo­gra­phie. N’oublions pas Pierre le Grand, l’influence fran­çaise, les immi­grants défri­cheurs alle­mands et le sacri­fice du peuple russe qui, avec 22 mil­lions de morts, a scel­lé la vic­toire contre le nazisme.

Quelques ques­tions

Couverture du livre de Marc ROUSSET : La nouvelle EuropeBIBLIOGRAPHIE

Marc Rous­set :

La nou­velle Europe ;
Paris-Berlin-Moscou ;
Le conti­nent paneu­ro­péen face au choc des civilisations.

Édi­tions Gode­froy de Bouillon, 2009.

Quelle est l’importance de l’influence chi­noise en Asie centrale ?
Elle est essen­tiel­le­ment éco­no­mique : la majeure par­tie du com­merce, des oléo­ducs et des gazo­ducs, une immense auto­route, etc. Mais les diri­geants d’Asie cen­trale ont com­pris que leurs pays sont bien petits et qu’ils ont besoin du contre­poids russe. Ce sont des réa­listes qui rêvent à très court terme.

Com­bien y a‑t-il de Ouï­gours au Sin-Kiang ?
Ils sont 6,5 mil­lions et sont moins nom­breux que les Hans à l’intérieur même du Sin-Kiang.
La popu­la­tion Han repré­sente 90% de la Chine entière.

Que pen­sez-vous de la divi­sion Rus­sie, Bié­lo­rus­sie, Ukraine ?
Sur le plan lin­guis­tique le bié­lo­russe est très proche du russe, lequel est com­pré­hen­sible pour un Ukrai­nien. Sur le plan poli­tique, cette divi­sion est arti­fi­cielle. Kiev fut pen­dant des siècles, à l’origine, la capi­tale de la Rus­sie. Je pense que cette divi­sion n’est pas appe­lée à durer.

Les Fran­çais sont-ils pré­sents en Russie ?
Ils font des efforts et des pro­grès, mais beau­coup moins que les Allemands.

Quelque chose d’analogue au « prin­temps arabe » peut-il se pro­duire dans les dic­ta­tures d’Asie centrale ?
Les diri­geants d’Asie cen­trale, par exemple en Ouz­bé­kis­tan, ont par­fai­te­ment com­pris que l’Islam inté­griste était leur plus grand enne­mi et n’hésitent pas à faire ce qu’il faut pour le combattre.

Que pen­ser des Amé­ri­cains et de leur pré­sence en Europe et en Asie centrale ?
Comme le disait le géné­ral de Gaulle, il est tout à fait néces­saire de se libé­rer du « pro­tec­to­rat » amé­ri­cain. Il y va de la sur­vie de la civi­li­sa­tion euro­péenne, et pour l’heure l’Union euro­péenne est sans fron­tière défi­nie, sans âme. Pour l’Asie cen­trale, il n’y reste plus qu’une base mili­taire amé­ri­caine, au Kir­ghi­zis­tan. Bre­zins­ki, qui fut le conseiller en poli­tique étran­gère de plu­sieurs pré­si­dents amé­ri­cains, écrit notam­ment : « Il faut rame­ner la Rus­sie à Sta­vro­pol, point de départ de la colo­ni­sa­tion russe vers le Cau­case et l’Asie centrale. »

Carte de la Sibérie

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