Le Viêt-nam : petit dragon deviendra-t-il grand ?

Dossier : VIÊT-NAMMagazine N°525 Mai 1997
Par Van-Thinh TRÂN

Le sortilège et le désenchantement

1. Le Viêt-nam fas­cine et ne laisse per­sonne indif­fé­rent. Mais l’engouement s’essouffle et le sor­ti­lège s’amenuise. Depuis la pré­pa­ra­tion et le lan­ce­ment, il y a une dizaine d’années, puis la mise en oeuvre du “ dôi moi ” (pro­ces­sus du renou­veau), le Viêt-nam a cap­té à tra­vers le monde curio­si­té, sym­pa­thie, attente, espoir mais sus­cite main­te­nant doute, inter­ro­ga­tion et inquiétude.

2. Depuis des mois en effet, les per­cep­tions cri­tiques à l’égard de la ges­tion de la poli­tique d’ouverture éco­no­mique ne res­tent plus can­ton­nées dans la dis­cré­tion feu­trée des chan­cel­le­ries mais s’affichent ouver­te­ment d’abord dans les médias d’expression anglaise et désor­mais dans les pays et régions fran­co­phones. Les vagues de cri­tiques s’amplifient, au sein des ins­tances du PCV (Par­ti com­mu­niste viet­na­mien), à l’Assemblée natio­nale et se pro­pagent dans l’opinion publique au Viêt-nam même.

3. Les réa­li­tés quo­ti­diennes aux­quelles sont confron­tés les opé­ra­teurs éco­no­miques, sur­tout les inves­tis­seurs de l’extérieur, contrastent sin­gu­liè­re­ment avec les pro­fes­sions de foi affi­chées et les dis­cours pro­non­cés par les diri­geants de haut rang du pays, aus­si bien dans des ren­contres inter­na­tio­nales qu’au Viêt-nam même. Réformes suc­cèdent aux réformes mais elles sont sou­vent contra­dic­toires et génèrent beau­coup d’incertitudes. L’action traîne loin der­rière le verbe. Elle s’étouffe avec les deux gan­grènes que sont la bureau­cra­tie et la cor­rup­tion, sans oublier la plaie béante du mar­ché de contrebande.

Il est dif­fi­cile pour l’étranger de com­prendre le pour­quoi et le com­ment des déci­sions qui, même une fois obte­nues et prises, ne sont pas à l’abri de nou­velles régle­men­ta­tions ou de nou­velles pro­cé­dures pou­vant en modi­fier le conte­nu, même par­fois rétro­ac­ti­ve­ment. Cette pré­ca­ri­té dans la cer­ti­tude rend mal­ai­sé tout cal­cul cor­rect de ren­ta­bi­li­té des inves­tis­se­ments à terme éloi­gné et favo­rise la recherche de pro­fits rapides à court terme.

L’État de droit géné­ra­li­sé se fait attendre et reste abs­trait comme un voeu pieux. Cet état des affaires fra­gi­lise la confiance des milieux éco­no­miques inter­na­tio­naux dans la tan­gi­bi­li­té et l’efficacité des poli­tiques éco­no­miques du pays.

Beau­coup d’investisseurs sont décou­ra­gés et com­mencent à se détour­ner du Viêt-nam, atti­rés vers d’autres cieux plus clé­ments et plus attrayants en Asie du Sud- Est et ailleurs. L’IFC (Inter­na­tio­nal finance cor­po­ra­tion) de la Banque Mon­diale, par la voix de son vice­pré­sident Jan­nik Lind­baek, n’a pas hési­té à affir­mer récem­ment à Hà Nôi que les “ forei­gn inves­tors had lost their ini­tial enthu­siasm for the busi­ness envi­ron­ment in Viet Nam.” Pour­tant…

La confiance

4. En dépit de cette dégra­da­tion de l’image du Viêt-nam et des réa­li­tés viet­na­miennes, les rap­ports de la BIRD (Banque Mon­diale) et le FMI (Fonds moné­taire inter­na­tio­nal) délivrent des “ satis­fe­cit ” sur la ges­tion éco­no­mique du pays et ces ins­ti­tu­tions recom­mandent aux auto­ri­tés du pays la pour­suite accé­lé­rée des réformes pour hâter l’intégration dans l’économie de mar­ché. Le Club de Paris enre­gistre récem­ment encore de nou­veaux enga­ge­ments finan­ciers impor­tants en faveur du Viêt-nam.

5. Le Viêt-nam est-il en mesure de rele­ver tous les défis pour répondre à cette confiance ?

La stabilité politique

6. La pre­mière condi­tion, sine qua non, est la sta­bi­li­té poli­tique : celle-ci est vigoureuse.

Petite paysanne de Nam Hà au Viêt-nam
Petite pay­sanne de Nam Hà  © TRÂN VAN-THINH

Depuis le 8e Congrès du Par­ti com­mu­niste viet­na­mien, le pays ébauche, tran­quille­ment et sans hâte, la muta­tion au som­met de l’État : on est main­te­nant très loin des fébri­li­tés habi­tuelles de la pré­pa­ra­tion et des trac­ta­tions inévi­tables à chaque congrès du Par­ti. À la fin de cette année, l’actuelle troï­ka (le secré­taire géné­ral du PCV, le chef de l’État et le pre­mier ministre) céde­rait tran­quille­ment et pro­gres­si­ve­ment la place à une nou­velle équipe diri­geante inves­tie de la confiance des trois aînés du som­met qui auront ain­si assu­ré leur suc­ces­sion res­pec­tive dans un com­pro­mis à la viet­na­mienne. Le 8e Congrès du PCV a bien réus­si le rajeu­nis­se­ment des cadres à tous les éche­lons du pays, à l’exception de celui du som­met. La for­mule du com­pro­mis main­te­nant la troï­ka actuelle en place est sup­po­sée débou­cher sur une solu­tion défi­ni­tive à l’occasion d’une Ses­sion extra­or­di­naire du Congrès fin 1997 début 1998.

Cette for­mule de tran­si­tion han­di­cape quelque peu la conduite et la ges­tion de la poli­tique éco­no­mique du pays. Elle risque, à tout le moins, de confor­ter les inves­tis­seurs étran­gers dans l’expectative et le scep­ti­cisme. C’est pour­quoi le gou­ver­ne­ment Vo Van Kiêt s’efforcera de ras­su­rer, de cla­ri­fier et de main­te­nir le cap de l’ouverture éco­no­mique avec le sou­tien du Secré­taire géné­ral du PCV, du Bureau poli­tique du PCV et de l’Assemblée nationale.

La poursuite de la réforme économique

7. Selon toute pro­ba­bi­li­té, les deux pro­chaines années ver­ront se pro­lon­ger la période d’incertitude et de moro­si­té qui a pré­va­lu tout au long des mois pré­cé­dant le 8e Congrès du PCV. Mais ce qui est impor­tant est de consta­ter que la poli­tique d’ouverture éco­no­mique se pour­suit, sans pré­ci­pi­ta­tion ni ralen­tis­se­ment, en atten­dant l’émergence d’une nou­velle équipe diri­geante qui reflé­te­ra néces­sai­re­ment un dosage sub­ti­le­ment équi­li­bré des forces en présence.

Ain­si confor­tée, cette équipe pour­ra pour­suivre la longue marche pour ache­ver les réformes les plus contro­ver­sées, notam­ment celles concer­nant la “ semi-pri­va­ti­sa­tion ” de bon nombre d’entreprises éta­tiques et la créa­tion d’une bourse. La pour­suite du pro­ces­sus se heur­te­ra à des obs­tacles et à des réti­cences à tous les éche­lons de tous ceux qui détiennent une par­celle de pou­voir mena­cée, même si l’approfondissement des réformes est recon­nu comme inévi­table pour sou­te­nir une crois­sance rapide de l’économie, et par là même la pros­pé­ri­té du pays. De toute façon, le pays est main­te­nant trop relié au reste du monde pour pou­voir y renoncer.

8. La preuve la plus mar­quante de la pour­suite des réformes réside dans l’adoption des nou­velles règles de capi­ta­li­sa­tion (equi­ti­sa­tion) des entre­prises éta­tiques : aupa­ra­vant il fal­lait qu’obligatoirement celles-ci soient volon­taires au préa­lable, alors que désor­mais leurs pro­prié­taires, villes, pro­vinces et État cen­tral peuvent déci­der sans leur accord de les pri­va­ti­ser à l’exception des entre­prises clas­sées dans la caté­go­rie “ stratégiques ”.

C’est ain­si que Hô Chi Minh Ville a sai­si cette nou­velle pos­si­bi­li­té pour annon­cer son inten­tion de capi­ta­li­ser 50 de ses entre­prises et d’insuffler ain­si un bal­lon d’oxygène au pro­ces­sus frap­pé de para­ly­sie. On espère ain­si dyna­mi­ser l’économie quelque peu coin­cée dans le sec­teur éta­tique. Bien que favo­ri­sées par rap­port aux entre­prises pri­vées et aux co-entre­prises (Joint Ven­tures) pour l’accès aux dis­po­ni­bi­li­tés fon­cières, au cré­dit, aux licences d’exportation, les entre­prises éta­tiques, sou­vent sclé­ro­sées, n’ont guère brillé par la créa­tion d’emplois et les per­for­mances à l’exportation.

C’était ain­si que la “ Refri­ge­ra­tion Elec­tri­cal Engi­nee­ring Cor­po­ra­tion ” (REE) qui appar­tient à Hô Chi Minh Ville a ven­du à cinq inves­tis­seurs étran­gers des obli­ga­tions conver­tibles au taux d’intérêt annuel fixe de 4,5 % pour 4,5 mil­lions de US $ ; ces obli­ga­tions seront trans­for­mées en actions à un taux qui serait déter­mi­né en fonc­tion des pro­fits nets entre 1996–1998.

La REE importe des cli­ma­ti­seurs et en assure la main­te­nance. Elle compte uti­li­ser les fonds frais obte­nus pour finan­cer sa par­ti­ci­pa­tion à deux coen­tre­prises (Joint Ven­tures), l’une avec la com­pa­gnie amé­ri­caine Car­rier (fabri­ca­tion de condi­tion­neurs d’air) et l’autre avec la japo­naise Hita­chi (pro­duc­tion de réfri­gé­ra­teurs). À pré­ci­ser que Hô Chi Minh Ville détient 30 % du capi­tal de REE.

Pour appuyer cette orien­ta­tion et fixer les règles du jeu, le pre­mier ministre a créé un Conseil natio­nal pour la capi­ta­li­sa­tion diri­gé par un ministre sans por­te­feuille, M. Phan Van Tiêm. À noter éga­le­ment que dans le rap­port poli­tique adop­té par le Congrès, on a éli­mi­né les points néga­tifs pour le sec­teur pri­vé, prô­nés par les oppo­sants à la réforme et conte­nus dans le pro­jet ini­tial dif­fu­sé en avril 1996 pour per­mettre les dis­cus­sions publiques, comme par exemple l’objectif contro­ver­sé de 60 % du PIB (contre 40 % actuel­le­ment) pour l’an 2020, à réser­ver aux entre­prises et aux coopé­ra­tives étatiques.

9. La pour­suite de la réforme éco­no­mique est inté­grée dans la poli­tique d’ouverture menée len­te­ment mais sûre­ment. Le pays a conclu un accord avec l’Union euro­péenne, est deve­nu un membre actif de l’ANASE (ASEAN), se pré­pare à s’engager dans l’Accord de libre-échange de l’ANASE (AFTA), pose sa can­di­da­ture au forum de Coopé­ra­tion éco­no­mique Asie-Paci­fique (APEC), active les négo­cia­tions d’adhésion à l’OMC (Orga­ni­sa­tion mon­diale du com­merce) sans oublier la nor­ma­li­sa­tion des rela­tions avec les États- Unis. Ce sont autant de jalons posés qui confortent le carac­tère irré­ver­sible du “ dôi moi ”.

Est-ce suf­fi­sant pour réus­sir ? car dans le domaine de la ges­tion des affaires éco­no­miques, si vou­loir est indis­pen­sable, pou­voir reste une autre affaire, condi­tion­née par des fac­teurs incontournables.

Les perspectives économiques

10. Les inves­tis­se­ments étran­gers directs (FDI) condi­tionnent la pros­pé­ri­té éco­no­mique du Viêt-nam.

Pour­tant au Viêt-nam, le suc­cès des entre­prises béné­fi­ciant de ces inves­tis­se­ments a sus­ci­té des per­cep­tions et des réac­tions d’hostilité contre les firmes étran­gères. Les cam­pagnes de presse mettent en relief la perte des mar­chés locaux que les entre­prises viet­na­miennes n’ont pas su conser­ver (faute de fonds propres et aus­si de com­pé­ti­ti­vi­té) et sur­tout la mul­ti­pli­ca­tion de cas de mau­vais trai­te­ments impo­sés aux tra­vailleurs viet­na­miens par les firmes étran­gères, géné­ra­le­ment asia­tiques. À pré­ci­ser que Tai­wan, le Japon, Sin­ga­pour, Hong-Kong et la Corée four­nissent 60 % des inves­tis­se­ments étran­gers directs.

Du côté des inves­tis­seurs étran­gers, on se plaint des impôts trop lourds, du coût exces­sif du trans­port aérien inté­rieur, des prix éle­vés des hôtels et de ceux exor­bi­tants des télé­com­mu­ni­ca­tions (décla­ra­tion de M. Aki­ra Nishio, pré­sident du Comi­té éco­no­mique Japon-Viêt-nam). On peut rap­pe­ler le cas des Aus­tra­liens qui étaient les pre­miers à se pré­ci­pi­ter au Viêt­nam avec le “ dôi moi ” et qui ont annu­lé ou réduit des pro­jets impor­tants (Wes­tra­lian Sands, Port­man Mining, West­far­mers, Bro­ken Hill Proprietary…).

Amor­cé début 1996, un cer­tain ralen­tis­se­ment des inves­tis­se­ments étran­gers directs se pour­suit. Le ralen­tis­se­ment résulte à la fois de l’attitude d’attente des inves­tis­seurs et d’un cer­tain désen­chan­te­ment dû aux com­pli­ca­tions bureau­cra­tiques, aux pré­lè­ve­ments cor­rup­teurs, à une ges­tion inso­lite des co-entre­prises (Joint Ven­tures) qui per­met au par­te­naire viet­na­mien d’exercer de fac­to, et main­te­nant de jure, un veto de façon par­fois capri­cieuse et ver­sa­tile. Il faut ajou­ter d’autres rai­sons comme par exemple la satu­ra­tion de cer­tains sec­teurs tels que l’hôtellerie et sur­tout la concur­rence d’autres mar­chés plus attrayants aux Phi­lip­pines, au Myanmar…

Une autre cause du ralen­tis­se­ment pro­vient enfin de la sélec­tion du minis­tère du Plan et de l’Investissement (MPI) qui réserve la prio­ri­té aux pro­jets d’industries de haute tech­no­lo­gie et de pro­duc­tion pour l’exportation, aux pro­jets d’industries agro-ali­men­taires, aux pro­jets dans les sec­teurs d’infrastructure, du gaz et du pétrole.

Pour 1996, les pro­jets approu­vés touchent essen­tiel­le­ment à l’industrialisation. Le MPI a approu­vé des pro­jets pour un mon­tant glo­bal de l’ordre de 6,5 mil­liards de US $ pour toute l’année 1996.

11. Ces chiffres ne doivent pas faire oublier que l’écart reste impor­tant entre les enga­ge­ments et les inves­tis­se­ments effec­tifs. Le Viet Nam Eco­no­mic Times éva­lue à 5,7 mil­liards de US $ les débour­se­ments effec­tifs sur les 16 mil­liards de US $ d’engagements d’investissements étran­gers directs (FDI) pour la période 1992 à 1995, soit 35,6 %.

Pour les cré­dits publics ODA, seule­ment 800 mil­lions de US $ ont été effec­ti­ve­ment uti­li­sés sur les 6 mil­liards de US $ pro­mis entre 1988 et 1995, soit 13,3 %. Il est clair que la défi­cience et l’absence de cohé­rence du sys­tème juri­di­co-régle­men­taire y ont lar­ge­ment contri­bué, en plus des obs­tacles men­tion­nés dans les para­graphes précédents.

Le défi est impres­sion­nant. Le Pro­gramme des inves­tis­se­ments publics 1996–2000 pré­voit une injec­tion de 41,4 mil­liards de US $, soit deux fois plus que pour les cinq der­nières années. Les objec­tifs sont de sou­te­nir une crois­sance annuelle de 9 à 10 % pour le PIB, de 4,5 à 5 % pour l’agriculture, de 14 à 15 % pour l’industrie et de 12 à 13 % pour les ser­vices. Le total des inves­tis­se­ments requis pas­se­rait alors de 27 % du PIB actuel­le­ment à 34 % en l’an 2000.

12. Le contraste est sai­sis­sant entre ces efforts impo­sants et l’engouement décli­nant pour le Viêt-nam en dépit d’une légère amé­lio­ra­tion toute récente. Depuis le 1er jan­vier 1997 l’indicateur TMCV (taux mini­mum de cor­rec­tion de valeur) auquel se réfèrent inves­tis­seurs et finan­ciers occi­den­taux est pas­sé de 75% à 70 % pour le Viêt-nam : autre­ment dit sur les mar­chés finan­ciers inter­na­tio­naux, les créances sur le Viêt-nam sont cotées à 30 % de leurs valeurs nomi­nales ou réelles (contre 25% l’année passée).

13. Inves­tir au Viêt-nam aujourd’hui implique un véri­table par­cours du com­bat­tant. Pire que cela, inves­tir au Viêt-nam devient “ stres­sant ”. Seuls les grandes entre­prises et les francs-tireurs des petites affaires occu­pant de bons cré­neaux sont en mesure d’y faire face.

Pour­tant le Viêt-nam a véri­ta­ble­ment besoin de réduire ses dis­pa­ri­tés internes crois­santes et de pré­ve­nir les effets néga­tifs d’une éco­no­mie de mar­ché outran­cière en tis­sant à tra­vers tout le pays une trame humaine, cultu­relle, sociale et éco­no­mique aus­si équi­li­brée que pos­sible grâce à l’apport en expé­rience de ges­tion, en inves­tis­se­ment tech­no­lo­gique et finan­cier des PME/PMI, sur­tout euro­péennes. Or les PME/ PMI euro­péennes sont pra­ti­que­ment absentes du Viêt-nam.

14. Les indi­ca­teurs et les pré­vi­sions sont dans l’ensemble encou­ra­geants, en dépit de quelques nuages.

  • Crois­sance du PIB : 9,3 % pour le pre­mier semestre de 1996 – entre 9 % et 10 % par an jusqu’à l’an 2000 (cal­cul de pré­vi­sion de la Banque Natio­nale et de la Banque Asia­tique de Développement).
  • Crois­sance de la pro­duc­tion indus­trielle : 14% – 15% pour 1997.
  • Crois­sance de la pro­duc­tion agri­cole : 4,5 % – 4,9 % pour 1997.
  • Crois­sance de l’industrie des ser­vices : 12 % – 13% pour 1997.
  • Infla­tion : moins de 10 % et pro­ba­ble­ment entre 6 et 7 % pour 1996 (1991 : 67 %, 1992 : 17,5%, 1993 : 5,2 %, 1994 : 14,4 %, 1995 : 12,7 %) – à noter que le gou­ver­neur de la Banque d’État, Cao Si Kiêm, redoute l’amorce d’un pro­ces­sus défla­tion­niste quand il a indi­qué qu’un taux d’inflation plus bas ris­que­rait d’être pré­ju­di­ciable à l’économie du pays.
  • Indus­trie : la crois­sance de la demande d’acier sera de 20 % à 30 % par an jusqu’à l’an 2000 au moins (de 1 mil­lion de tonnes en 1995 jusqu’à 3 mil­lions de tonnes en 2000 et jusqu’à 7,7 mil­lions de tonnes en 2010) – la pro­duc­tion d’acier brut ne sera que de 340 000 tonnes pour 1996 mais la capa­ci­té de pro­duc­tion en barre, en tige et en plaque serait excé­den­taire après l’an 2000 – dans la pro­vince de Ha Tinh, près de Vinh et de la mer, les réserves de mine­rais de fer de Thach Khe, de l’ordre de 500 mil­lions de tonnes, font l’objet d’un pro­jet d’exploitation pour l’exportation (Krupp et trois autres socié­tés) de 700 mil­lions de US $ à 1,2 mil­liard de US $.
  • Agri­cul­ture : pour 1996 expor­ta­tion de 2,8 mil­lions de tonnes de riz décor­ti­qué pour une récolte d’environ 25,8 mil­lions de tonnes de pad­dy – à noter la chute des cours du pad­dy (prix de gros de 182 US $/tonne en mars à 127 US$/tonne en juin) payés aux pro­duc­teurs, chute due à une récolte d’hiver/printemps abon­dante au Viêt-nam même et aux per­tur­ba­tions du mar­ché mon­dial, en rai­son de la réduc­tion des achats de la Chine et de l’Indonésie et de l’émergence de deux nou­veaux expor­ta­teurs, l’Inde et Myanmar.
  • Éner­gie et mines : la crois­sance des besoins en éner­gie élec­trique sera de 14 % par an jusqu’en 2000 et de 12 % après – le gou­ver­ne­ment a adop­té un plan de dou­ble­ment de la pro­duc­tion qui pas­se­rait de 16,4 mil­liards de kWh en 1996 à 26–29 mil­liards de kWh pour l’an 2000 – ce plan est basé sur le déve­lop­pe­ment de l’utilisation du char­bon dans le nord, des res­sources hydrau­liques dans les Hauts Pla­teaux et du gaz dans le sud – il néces­site un inves­tis­se­ment de 6,5 mil­liards de US $ dont l’essentiel devrait pro­ve­nir du sec­teur pri­vé – les ins­ti­tu­tions finan­cières inter­na­tio­nales comme la Banque Mon­diale et la Banque Asia­tique de Déve­lop­pe­ment subor­donnent leur finan­ce­ment à une par­ti­ci­pa­tion ini­tiale du gou­ver­ne­ment viet­na­mien de 15 % – en rai­son du coût éle­vé de cette contri­bu­tion ini­tiale, le gou­ver­ne­ment pense sérieu­se­ment à la for­mule BOT (build-ope­rate-trans­fer) – c’est ain­si que dans le cas de la cen­trale de Phu My 2 à Vung Tau dans le sud, pour obte­nir le prêt de 180 mil­lions de US $ de la Banque Mon­diale pour la phase 1, le gou­ver­ne­ment a dû accep­ter la for­mule BOT pour la phase 2, laquelle coû­te­rait 500 mil­lions de US $ – les tra­vaux pour la phase 1 ont com­men­cé pour les 2 géné­ra­teurs à gaz de 150 MW et seraient ache­vés en mars 1997 – à noter que le coût de Phu My 1 d’environ 955 mil­lions de US$ serait finan­cé par le Japon.
    A noter que la for­mule BOT au Viêt-nam a encore besoin d’être mise au point sur les plans légis­la­tif et réglementaire.
    Pour le pétrole et le gaz, le bal­let éton­nant des va-et-vient des com­pa­gnies étran­gères met en évi­dence les doutes sur le volume des réserves exploi­tables et laisse pré­voir des révi­sions des contrats d’exploitation notam­ment ceux basés sur le par­tage de la pro­duc­tion – des ajus­te­ments sont inter­ve­nus dans la direc­tion de Petro Viet­nam – la pro­duc­tion est éva­luée à 8,2 mil­lions de tonnes en 1996 contre 7,8 mil­lions de tonnes en 1995 – le choix du site de Dung Quat dans le centre du pays pour l’implantation d’une raf­fi­ne­rie de 1,3 mil­liard de US $, après le retrait de Total, reçoit le sou­tien d’un consor­tium de sept com­pa­gnies (dont deux amé­ri­caines) qui a char­gé deux bureaux d’études amé­ri­cain et bri­tan­nique de réa­li­ser une étude de fai­sa­bi­li­té détaillée, ce qui per­met trait dif­fi­ci­le­ment, mal­gré la déter­mi­na­tion du gou­ver­ne­ment, la mise en chan­tier du pro­jet avant de nom­breuses années et ce qui ravive un cer­tain inté­rêt pour des solu­tions de tran­si­tion et d’attente dans un domaine ultra-sen­sible sur le plan poli­tique – pour sou­te­nir le pro­jet de raf­fi­ne­rie, un autre d’infrastructure pour la créa­tion à Dung Quat d’un parc indus­triel de 500 hec­tares d’un mil­liard de US $ est envi­sa­gé par un consor­tium conduit par une socié­té thaï.
  • Télé­com­mu­ni­ca­tions : Inter­net pour 1997 ? Quel fil­trage du minis­tère de la Culture et de l’Information ? L’incontournable Viet Nam Posts and Tele­com­mu­ni­ca­tions (VNPT) qui, par ailleurs, doit affron­ter jusqu’à l’an 2005 une demande crois­sante de 35 % à 40% par an d’installations télé­pho­niques et qui est contraint à recou­rir à la for­mule du par­tage des reve­nus (reve­nue sha­ring) avec des com­pa­gnies étran­gères (pre­mier contrat récem­ment signé avec Korea Tele­com pour un pro­jet de 40 mil­lions de $ dans trois pro­vinces du Nord).
  • Mon­naie et Finances : le défi­cit de la balance com­mer­ciale était de 2,3 mil­liards de US $ pour toute l’année 1995 et il a déjà atteint 2 mil­liards pour le pre­mier semestre de 1996 ( il dépas­se­rait 15 % du PIB sans comp­ta­bi­li­ser le com­merce paral­lèle de contre­bande qui couvre essen­tiel­le­ment les biens de consom­ma­tion et, en fait, ce défi­cit reflète lar­ge­ment les intrants qui accom­pagnent les inves­tis­se­ments étran­gers directs et les besoins d’une indus­trie de trans­for­ma­tion en expan­sion accé­lé­rée) et ris­que­rait de deve­nir alar­mant pour 1996 en dépas­sant 5 mil­liards de US $ – il n’en reste pas moins que les expor­ta­teurs qui affrontent les impor­ta­tions sur le mar­ché viet­na­mien et la concur­rence sur les mar­chés d’exportation souffrent de la sta­bi­li­té d’un dông (mon­naie natio­nale) sur­ap­pré­cié – la ges­tion de la confiance dans le dông, de la pari­té dông/US $ (11 000 dông pour 1 US$ actuel­le­ment) ain­si que des taux d’intérêt est très dif­fi­cile, et déli­cate à la fois tech­ni­que­ment et poli­ti­que­ment, mais il est pro­bable, voire évident, qu’un glis­se­ment gra­duel et tâton­nant de la dépré­cia­tion du dông (objec­ti­ve­ment de l’ordre de 8 %) devient inévi­table à brève échéance pour doper les expor­ta­tions et réduire le défi­cit exté­rieur – à noter éga­le­ment une dette com­mer­ciale cumu­lée, et conso­li­dée, de l’ordre de 800 mil­lions de dol­lars dont les banques japo­naises détiennent les deux tiers des créances. L’accord du Club de Londres, pra­ti­que­ment acquis, est atten­du pro­chai­ne­ment pour per­mettre l’émission des Euro-obli­ga­tions pour un mon­tant de l’ordre de 100 à 150 mil­lions de US $ sur les mar­chés finan­ciers inter­na­tio­naux par Mer­rill Lynch, Nomu­ra et Deutsche Mor­gan Grenfell.

Peut-être devrait-on ajou­ter à cela la nou­velle légis­la­tion, tout récem­ment adop­tée par l’Assemblée natio­nale, sur les inves­tis­se­ments étran­gers qui a été conçue pour réamé­na­ger une légis­la­tion datant de 1987, modi­fiée en 1990, puis en 1992, afin de sti­mu­ler et d’attirer les inves­tis­se­ments étran­gers (un décret d’application du gou­ver­ne­ment sur la “ caté­go­ri­sa­tion ” des inves­tis­se­ments et de leur trai­te­ment est atten­du après le Têt). La nou­velle légis­la­tion sus­cite pour le moment des réac­tions plu­tôt mitigées.

15. En conclu­sion : les pers­pec­tives de crois­sance jusqu’à l’an 2000 sont bonnes et la ten­dance devrait pou­voir se pour­suivre jusqu’en 2010 – dans ce contexte, et compte tenu du rôle déter­mi­nant des inves­tis­se­ments étran­gers directs (FDI), cette ten­dance et sa vitesse dépen­dront lar­ge­ment de la ges­tion et du suc­cès des deux for­mules bal­bu­tiantes du BOT (buil­do­pe­rate- trans­fer) et du par­tage des reve­nus (reve­nue sha­ring) elles-mêmes tri­bu­taires du pro­grès de l’instauration de l’État de droit au Viêt-nam.

Peut-être fau­drait-il men­tion­ner l’existence d’un bas de laine, éva­lué à envi­ron 10 mil­liards de US$ dont 20 à 25 % en devises fortes que leurs déten­teurs uti­lisent pour des dépenses de san­té, d’éducation et même de consom­ma­tion. Le gou­ver­ne­ment s’emploie avec beau­coup de peine à orien­ter cette épargne vers les inves­tis­se­ments productifs.

En der­nier res­sort, l’épine dor­sale de tout déve­lop­pe­ment éco­no­mique durable repose sur l’énergie. Le Viêt-nam dis­po­se­ra-t-il d’énergie suf­fi­sante et com­pé­ti­tive pour les pro­chaines décen­nies ? Sauf déra­page impré­vu, les besoins seront cou­verts jusqu’en 2010.

Mais d’ores et déjà, les options doivent être choi­sies pour l’après 2010. Il serait dif­fi­cile de déve­lop­per davan­tage les types de cen­trales nucléaires actuelles ou envi­sa­gées pour bon nombre de rai­sons dont celles concer­nant l’écosystème de la région. L’option nucléaire paraît inévitable.

Les scien­ti­fiques et les auto­ri­tés viet­na­miens sont par­ti­cu­liè­re­ment atten­tifs au pro­blème de sécu­ri­té des cen­trales et aux consé­quences à long terme pour les déchets radio­ac­tifs. L’approche de Car­lo Rub­bia avec son ampli­fi­ca­teur d’énergie et la cam­pagne d’information menée par Georges Char­pak les séduisent. Mais le temps presse…

Remarques in fine

16. Les per­cep­tions sur la com­pé­ti­tion pour le pou­voir au Viêt­nam, com­pé­ti­tion qui freine les réformes doivent être rela­ti­vi­sées devant un enjeu consi­dé­rable, celui de la tran­si­tion du pays vers l’économie de mar­ché. Le pas­sage du Viêt-nam à l’économie de mar­ché est inexo­rable et rien ni per­sonne ne pour­ra l’arrêter. En effet, avec la mon­dia­li­sa­tion de l’économie qui pro­gresse en s’accélérant, tout blo­cage de ce pro­ces­sus fra­gi­lise le pays et le conduit à terme à sa marginalisation

On sera bientôt remplumé grâce au Dôi Moi : quelques vautours à Hanoi.
On sera bien­tôt rem­plu­mé grâce au Dôi Moi
(le Renou­veau) (Hanoi).  © TRÂN VAN-THINH

17. Il s’agit dès lors pour les Viet­na­miens, pour leurs diri­geants et pour la com­mu­nau­té des inves­tis­seurs inté­res­sés par le Viêt-nam, de gérer cette tran­si­tion sans désta­bi­li­ser le pays tout en assu­rant la pro­tec­tion de leurs inté­rêts res­pec­tifs légitimes.

18. Les dix pre­mières années de la réforme éco­no­mique, du “ dôi moi ”, ont lais­sé appa­raître des contrastes frap­pants et des frac­tures alar­mantes sur une toile de fond de boom d’urbanisation, de boom de bureau­cra­tie, de boom de cor­rup­tion, de boom de richesse et de riches, de boom de pau­vre­té et de pauvres… Au Viêt-nam d’aujourd’hui, tout se côtoie, la cam­pagne douce et labo­rieuse, la cité fébrile et pol­luante, le meilleur et le pire, les bien­faits et les méfaits de l’économie de marché.

19. Sans doute le triomphe mon­dia­li­sé du mar­ché dans la ges­tion éco­no­mique fas­cine-t-il et masque-t-il une mécon­nais­sance de l’économie de mar­ché. Les forces conser­va­trices lui reprochent les méfaits et les forces réfor­mistes ne trouvent pas de contre­poids pour tis­ser l’équilibre indis­pen­sable entre les régions, entre les couches de la popu­la­tion, entre la cam­pagne et la ville, entre les dif­fé­rents sec­teurs de l’économie, et fina­le­ment entre l’État lui­même et les forces du marché.

20. Il ne convient ni d’idéaliser le mar­ché ni de le per­ver­tir mais de le cou­pler et de l’équilibrer avec l’État, son par­te­naire indis­pen­sable qui a la charge de tis­ser et de garan­tir les règles du jeu pour faire fonc­tion­ner une éco­no­mie au ser­vice de l’homme et non pour l’asservir. Les Viet­na­miens ont besoin de cet équi­libre entre l’État et le mar­ché pour construire leur pros­pé­ri­té dans la paix et pour tis­ser l’indispensable trame homo­gène du pay­sage cultu­rel, éco­no­mique et social qu’ils ont reçu en héritage.

21. Il ne faut sur­tout pas négli­ger un atout de taille : un mar­ché domes­tique de 75 mil­lions de consom­ma­teurs qui seront 90 mil­lions en l’an 2010. C’est le contre­poids néces­saire aux varia­tions des mar­chés extérieurs.

22. Le der­nier mot de cette pré­sen­ta­tion d’un essai de syn­thèse encore incom­plet revient au numé­ro un du pays, le Secré­taire géné­ral Dô Muoi, homme poli­tique extrê­me­ment fin, qui a expri­mé clai­re­ment sa volon­té à ce sujet, celle de faire accé­lé­rer la réforme, dans l’efficacité et la stabilité.


∗ ∗

C’est ain­si que, sui­vant la mytho­lo­gie de l’origine des fon­da­teurs du Viêt-nam – des dra­gons sacrés venus de la mer – le petit dra­gon viet­na­mien pren­dra tout son temps pour souf­frir afin de mûrir, pour apprendre à évi­ter les écueils en tirant la leçon des suc­cès et des échecs à la fois chez lui et chez ses par­te­naires, pour for­ger un consen­sus natio­nal indis­pen­sable à la mise en oeuvre d’une voie spé­ci­fi­que­ment viet­na­mienne du déve­lop­pe­ment, pour gagner la bataille la plus dif­fi­cile et la plus for­mi­dable de son his­toire, celle de la paix pour le bon­heur des Vietnamiens.

L’année Dinh-Suu sous le signe du buffle qui vient de com­men­cer est de bon augure pour cette longue marche : le buffle, ani­mal très popu­laire au pays du dra­gon, est connu pour sa force tran­quille, son labeur, son endu­rance et sa persévérance.

Les guer­riers sont deve­nus mana­gers. Ce sera ain­si que petit dra­gon devien­dra grand !

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