Le Viêt-nam : petit dragon deviendra-t-il grand ?
Le sortilège et le désenchantement
1. Le Viêt-nam fascine et ne laisse personne indifférent. Mais l’engouement s’essouffle et le sortilège s’amenuise. Depuis la préparation et le lancement, il y a une dizaine d’années, puis la mise en oeuvre du “ dôi moi ” (processus du renouveau), le Viêt-nam a capté à travers le monde curiosité, sympathie, attente, espoir mais suscite maintenant doute, interrogation et inquiétude.
2. Depuis des mois en effet, les perceptions critiques à l’égard de la gestion de la politique d’ouverture économique ne restent plus cantonnées dans la discrétion feutrée des chancelleries mais s’affichent ouvertement d’abord dans les médias d’expression anglaise et désormais dans les pays et régions francophones. Les vagues de critiques s’amplifient, au sein des instances du PCV (Parti communiste vietnamien), à l’Assemblée nationale et se propagent dans l’opinion publique au Viêt-nam même.
3. Les réalités quotidiennes auxquelles sont confrontés les opérateurs économiques, surtout les investisseurs de l’extérieur, contrastent singulièrement avec les professions de foi affichées et les discours prononcés par les dirigeants de haut rang du pays, aussi bien dans des rencontres internationales qu’au Viêt-nam même. Réformes succèdent aux réformes mais elles sont souvent contradictoires et génèrent beaucoup d’incertitudes. L’action traîne loin derrière le verbe. Elle s’étouffe avec les deux gangrènes que sont la bureaucratie et la corruption, sans oublier la plaie béante du marché de contrebande.
Il est difficile pour l’étranger de comprendre le pourquoi et le comment des décisions qui, même une fois obtenues et prises, ne sont pas à l’abri de nouvelles réglementations ou de nouvelles procédures pouvant en modifier le contenu, même parfois rétroactivement. Cette précarité dans la certitude rend malaisé tout calcul correct de rentabilité des investissements à terme éloigné et favorise la recherche de profits rapides à court terme.
L’État de droit généralisé se fait attendre et reste abstrait comme un voeu pieux. Cet état des affaires fragilise la confiance des milieux économiques internationaux dans la tangibilité et l’efficacité des politiques économiques du pays.
Beaucoup d’investisseurs sont découragés et commencent à se détourner du Viêt-nam, attirés vers d’autres cieux plus cléments et plus attrayants en Asie du Sud- Est et ailleurs. L’IFC (International finance corporation) de la Banque Mondiale, par la voix de son viceprésident Jannik Lindbaek, n’a pas hésité à affirmer récemment à Hà Nôi que les “ foreign investors had lost their initial enthusiasm for the business environment in Viet Nam.” Pourtant…
La confiance
4. En dépit de cette dégradation de l’image du Viêt-nam et des réalités vietnamiennes, les rapports de la BIRD (Banque Mondiale) et le FMI (Fonds monétaire international) délivrent des “ satisfecit ” sur la gestion économique du pays et ces institutions recommandent aux autorités du pays la poursuite accélérée des réformes pour hâter l’intégration dans l’économie de marché. Le Club de Paris enregistre récemment encore de nouveaux engagements financiers importants en faveur du Viêt-nam.
5. Le Viêt-nam est-il en mesure de relever tous les défis pour répondre à cette confiance ?
La stabilité politique
6. La première condition, sine qua non, est la stabilité politique : celle-ci est vigoureuse.
Petite paysanne de Nam Hà © TRÂN VAN-THINH
Depuis le 8e Congrès du Parti communiste vietnamien, le pays ébauche, tranquillement et sans hâte, la mutation au sommet de l’État : on est maintenant très loin des fébrilités habituelles de la préparation et des tractations inévitables à chaque congrès du Parti. À la fin de cette année, l’actuelle troïka (le secrétaire général du PCV, le chef de l’État et le premier ministre) céderait tranquillement et progressivement la place à une nouvelle équipe dirigeante investie de la confiance des trois aînés du sommet qui auront ainsi assuré leur succession respective dans un compromis à la vietnamienne. Le 8e Congrès du PCV a bien réussi le rajeunissement des cadres à tous les échelons du pays, à l’exception de celui du sommet. La formule du compromis maintenant la troïka actuelle en place est supposée déboucher sur une solution définitive à l’occasion d’une Session extraordinaire du Congrès fin 1997 début 1998.
Cette formule de transition handicape quelque peu la conduite et la gestion de la politique économique du pays. Elle risque, à tout le moins, de conforter les investisseurs étrangers dans l’expectative et le scepticisme. C’est pourquoi le gouvernement Vo Van Kiêt s’efforcera de rassurer, de clarifier et de maintenir le cap de l’ouverture économique avec le soutien du Secrétaire général du PCV, du Bureau politique du PCV et de l’Assemblée nationale.
La poursuite de la réforme économique
7. Selon toute probabilité, les deux prochaines années verront se prolonger la période d’incertitude et de morosité qui a prévalu tout au long des mois précédant le 8e Congrès du PCV. Mais ce qui est important est de constater que la politique d’ouverture économique se poursuit, sans précipitation ni ralentissement, en attendant l’émergence d’une nouvelle équipe dirigeante qui reflétera nécessairement un dosage subtilement équilibré des forces en présence.
Ainsi confortée, cette équipe pourra poursuivre la longue marche pour achever les réformes les plus controversées, notamment celles concernant la “ semi-privatisation ” de bon nombre d’entreprises étatiques et la création d’une bourse. La poursuite du processus se heurtera à des obstacles et à des réticences à tous les échelons de tous ceux qui détiennent une parcelle de pouvoir menacée, même si l’approfondissement des réformes est reconnu comme inévitable pour soutenir une croissance rapide de l’économie, et par là même la prospérité du pays. De toute façon, le pays est maintenant trop relié au reste du monde pour pouvoir y renoncer.
8. La preuve la plus marquante de la poursuite des réformes réside dans l’adoption des nouvelles règles de capitalisation (equitisation) des entreprises étatiques : auparavant il fallait qu’obligatoirement celles-ci soient volontaires au préalable, alors que désormais leurs propriétaires, villes, provinces et État central peuvent décider sans leur accord de les privatiser à l’exception des entreprises classées dans la catégorie “ stratégiques ”.
C’est ainsi que Hô Chi Minh Ville a saisi cette nouvelle possibilité pour annoncer son intention de capitaliser 50 de ses entreprises et d’insuffler ainsi un ballon d’oxygène au processus frappé de paralysie. On espère ainsi dynamiser l’économie quelque peu coincée dans le secteur étatique. Bien que favorisées par rapport aux entreprises privées et aux co-entreprises (Joint Ventures) pour l’accès aux disponibilités foncières, au crédit, aux licences d’exportation, les entreprises étatiques, souvent sclérosées, n’ont guère brillé par la création d’emplois et les performances à l’exportation.
C’était ainsi que la “ Refrigeration Electrical Engineering Corporation ” (REE) qui appartient à Hô Chi Minh Ville a vendu à cinq investisseurs étrangers des obligations convertibles au taux d’intérêt annuel fixe de 4,5 % pour 4,5 millions de US $ ; ces obligations seront transformées en actions à un taux qui serait déterminé en fonction des profits nets entre 1996–1998.
La REE importe des climatiseurs et en assure la maintenance. Elle compte utiliser les fonds frais obtenus pour financer sa participation à deux coentreprises (Joint Ventures), l’une avec la compagnie américaine Carrier (fabrication de conditionneurs d’air) et l’autre avec la japonaise Hitachi (production de réfrigérateurs). À préciser que Hô Chi Minh Ville détient 30 % du capital de REE.
Pour appuyer cette orientation et fixer les règles du jeu, le premier ministre a créé un Conseil national pour la capitalisation dirigé par un ministre sans portefeuille, M. Phan Van Tiêm. À noter également que dans le rapport politique adopté par le Congrès, on a éliminé les points négatifs pour le secteur privé, prônés par les opposants à la réforme et contenus dans le projet initial diffusé en avril 1996 pour permettre les discussions publiques, comme par exemple l’objectif controversé de 60 % du PIB (contre 40 % actuellement) pour l’an 2020, à réserver aux entreprises et aux coopératives étatiques.
9. La poursuite de la réforme économique est intégrée dans la politique d’ouverture menée lentement mais sûrement. Le pays a conclu un accord avec l’Union européenne, est devenu un membre actif de l’ANASE (ASEAN), se prépare à s’engager dans l’Accord de libre-échange de l’ANASE (AFTA), pose sa candidature au forum de Coopération économique Asie-Pacifique (APEC), active les négociations d’adhésion à l’OMC (Organisation mondiale du commerce) sans oublier la normalisation des relations avec les États- Unis. Ce sont autant de jalons posés qui confortent le caractère irréversible du “ dôi moi ”.
Est-ce suffisant pour réussir ? car dans le domaine de la gestion des affaires économiques, si vouloir est indispensable, pouvoir reste une autre affaire, conditionnée par des facteurs incontournables.
Les perspectives économiques
10. Les investissements étrangers directs (FDI) conditionnent la prospérité économique du Viêt-nam.
Pourtant au Viêt-nam, le succès des entreprises bénéficiant de ces investissements a suscité des perceptions et des réactions d’hostilité contre les firmes étrangères. Les campagnes de presse mettent en relief la perte des marchés locaux que les entreprises vietnamiennes n’ont pas su conserver (faute de fonds propres et aussi de compétitivité) et surtout la multiplication de cas de mauvais traitements imposés aux travailleurs vietnamiens par les firmes étrangères, généralement asiatiques. À préciser que Taiwan, le Japon, Singapour, Hong-Kong et la Corée fournissent 60 % des investissements étrangers directs.
Du côté des investisseurs étrangers, on se plaint des impôts trop lourds, du coût excessif du transport aérien intérieur, des prix élevés des hôtels et de ceux exorbitants des télécommunications (déclaration de M. Akira Nishio, président du Comité économique Japon-Viêt-nam). On peut rappeler le cas des Australiens qui étaient les premiers à se précipiter au Viêtnam avec le “ dôi moi ” et qui ont annulé ou réduit des projets importants (Westralian Sands, Portman Mining, Westfarmers, Broken Hill Proprietary…).
Amorcé début 1996, un certain ralentissement des investissements étrangers directs se poursuit. Le ralentissement résulte à la fois de l’attitude d’attente des investisseurs et d’un certain désenchantement dû aux complications bureaucratiques, aux prélèvements corrupteurs, à une gestion insolite des co-entreprises (Joint Ventures) qui permet au partenaire vietnamien d’exercer de facto, et maintenant de jure, un veto de façon parfois capricieuse et versatile. Il faut ajouter d’autres raisons comme par exemple la saturation de certains secteurs tels que l’hôtellerie et surtout la concurrence d’autres marchés plus attrayants aux Philippines, au Myanmar…
Une autre cause du ralentissement provient enfin de la sélection du ministère du Plan et de l’Investissement (MPI) qui réserve la priorité aux projets d’industries de haute technologie et de production pour l’exportation, aux projets d’industries agro-alimentaires, aux projets dans les secteurs d’infrastructure, du gaz et du pétrole.
Pour 1996, les projets approuvés touchent essentiellement à l’industrialisation. Le MPI a approuvé des projets pour un montant global de l’ordre de 6,5 milliards de US $ pour toute l’année 1996.
11. Ces chiffres ne doivent pas faire oublier que l’écart reste important entre les engagements et les investissements effectifs. Le Viet Nam Economic Times évalue à 5,7 milliards de US $ les déboursements effectifs sur les 16 milliards de US $ d’engagements d’investissements étrangers directs (FDI) pour la période 1992 à 1995, soit 35,6 %.
Pour les crédits publics ODA, seulement 800 millions de US $ ont été effectivement utilisés sur les 6 milliards de US $ promis entre 1988 et 1995, soit 13,3 %. Il est clair que la déficience et l’absence de cohérence du système juridico-réglementaire y ont largement contribué, en plus des obstacles mentionnés dans les paragraphes précédents.
Le défi est impressionnant. Le Programme des investissements publics 1996–2000 prévoit une injection de 41,4 milliards de US $, soit deux fois plus que pour les cinq dernières années. Les objectifs sont de soutenir une croissance annuelle de 9 à 10 % pour le PIB, de 4,5 à 5 % pour l’agriculture, de 14 à 15 % pour l’industrie et de 12 à 13 % pour les services. Le total des investissements requis passerait alors de 27 % du PIB actuellement à 34 % en l’an 2000.
12. Le contraste est saisissant entre ces efforts imposants et l’engouement déclinant pour le Viêt-nam en dépit d’une légère amélioration toute récente. Depuis le 1er janvier 1997 l’indicateur TMCV (taux minimum de correction de valeur) auquel se réfèrent investisseurs et financiers occidentaux est passé de 75% à 70 % pour le Viêt-nam : autrement dit sur les marchés financiers internationaux, les créances sur le Viêt-nam sont cotées à 30 % de leurs valeurs nominales ou réelles (contre 25% l’année passée).
13. Investir au Viêt-nam aujourd’hui implique un véritable parcours du combattant. Pire que cela, investir au Viêt-nam devient “ stressant ”. Seuls les grandes entreprises et les francs-tireurs des petites affaires occupant de bons créneaux sont en mesure d’y faire face.
Pourtant le Viêt-nam a véritablement besoin de réduire ses disparités internes croissantes et de prévenir les effets négatifs d’une économie de marché outrancière en tissant à travers tout le pays une trame humaine, culturelle, sociale et économique aussi équilibrée que possible grâce à l’apport en expérience de gestion, en investissement technologique et financier des PME/PMI, surtout européennes. Or les PME/ PMI européennes sont pratiquement absentes du Viêt-nam.
14. Les indicateurs et les prévisions sont dans l’ensemble encourageants, en dépit de quelques nuages.
- Croissance du PIB : 9,3 % pour le premier semestre de 1996 – entre 9 % et 10 % par an jusqu’à l’an 2000 (calcul de prévision de la Banque Nationale et de la Banque Asiatique de Développement).
- Croissance de la production industrielle : 14% – 15% pour 1997.
- Croissance de la production agricole : 4,5 % – 4,9 % pour 1997.
- Croissance de l’industrie des services : 12 % – 13% pour 1997.
- Inflation : moins de 10 % et probablement entre 6 et 7 % pour 1996 (1991 : 67 %, 1992 : 17,5%, 1993 : 5,2 %, 1994 : 14,4 %, 1995 : 12,7 %) – à noter que le gouverneur de la Banque d’État, Cao Si Kiêm, redoute l’amorce d’un processus déflationniste quand il a indiqué qu’un taux d’inflation plus bas risquerait d’être préjudiciable à l’économie du pays.
- Industrie : la croissance de la demande d’acier sera de 20 % à 30 % par an jusqu’à l’an 2000 au moins (de 1 million de tonnes en 1995 jusqu’à 3 millions de tonnes en 2000 et jusqu’à 7,7 millions de tonnes en 2010) – la production d’acier brut ne sera que de 340 000 tonnes pour 1996 mais la capacité de production en barre, en tige et en plaque serait excédentaire après l’an 2000 – dans la province de Ha Tinh, près de Vinh et de la mer, les réserves de minerais de fer de Thach Khe, de l’ordre de 500 millions de tonnes, font l’objet d’un projet d’exploitation pour l’exportation (Krupp et trois autres sociétés) de 700 millions de US $ à 1,2 milliard de US $.
- Agriculture : pour 1996 exportation de 2,8 millions de tonnes de riz décortiqué pour une récolte d’environ 25,8 millions de tonnes de paddy – à noter la chute des cours du paddy (prix de gros de 182 US $/tonne en mars à 127 US$/tonne en juin) payés aux producteurs, chute due à une récolte d’hiver/printemps abondante au Viêt-nam même et aux perturbations du marché mondial, en raison de la réduction des achats de la Chine et de l’Indonésie et de l’émergence de deux nouveaux exportateurs, l’Inde et Myanmar.
- Énergie et mines : la croissance des besoins en énergie électrique sera de 14 % par an jusqu’en 2000 et de 12 % après – le gouvernement a adopté un plan de doublement de la production qui passerait de 16,4 milliards de kWh en 1996 à 26–29 milliards de kWh pour l’an 2000 – ce plan est basé sur le développement de l’utilisation du charbon dans le nord, des ressources hydrauliques dans les Hauts Plateaux et du gaz dans le sud – il nécessite un investissement de 6,5 milliards de US $ dont l’essentiel devrait provenir du secteur privé – les institutions financières internationales comme la Banque Mondiale et la Banque Asiatique de Développement subordonnent leur financement à une participation initiale du gouvernement vietnamien de 15 % – en raison du coût élevé de cette contribution initiale, le gouvernement pense sérieusement à la formule BOT (build-operate-transfer) – c’est ainsi que dans le cas de la centrale de Phu My 2 à Vung Tau dans le sud, pour obtenir le prêt de 180 millions de US $ de la Banque Mondiale pour la phase 1, le gouvernement a dû accepter la formule BOT pour la phase 2, laquelle coûterait 500 millions de US $ – les travaux pour la phase 1 ont commencé pour les 2 générateurs à gaz de 150 MW et seraient achevés en mars 1997 – à noter que le coût de Phu My 1 d’environ 955 millions de US$ serait financé par le Japon.
A noter que la formule BOT au Viêt-nam a encore besoin d’être mise au point sur les plans législatif et réglementaire.
Pour le pétrole et le gaz, le ballet étonnant des va-et-vient des compagnies étrangères met en évidence les doutes sur le volume des réserves exploitables et laisse prévoir des révisions des contrats d’exploitation notamment ceux basés sur le partage de la production – des ajustements sont intervenus dans la direction de Petro Vietnam – la production est évaluée à 8,2 millions de tonnes en 1996 contre 7,8 millions de tonnes en 1995 – le choix du site de Dung Quat dans le centre du pays pour l’implantation d’une raffinerie de 1,3 milliard de US $, après le retrait de Total, reçoit le soutien d’un consortium de sept compagnies (dont deux américaines) qui a chargé deux bureaux d’études américain et britannique de réaliser une étude de faisabilité détaillée, ce qui permet trait difficilement, malgré la détermination du gouvernement, la mise en chantier du projet avant de nombreuses années et ce qui ravive un certain intérêt pour des solutions de transition et d’attente dans un domaine ultra-sensible sur le plan politique – pour soutenir le projet de raffinerie, un autre d’infrastructure pour la création à Dung Quat d’un parc industriel de 500 hectares d’un milliard de US $ est envisagé par un consortium conduit par une société thaï. - Télécommunications : Internet pour 1997 ? Quel filtrage du ministère de la Culture et de l’Information ? L’incontournable Viet Nam Posts and Telecommunications (VNPT) qui, par ailleurs, doit affronter jusqu’à l’an 2005 une demande croissante de 35 % à 40% par an d’installations téléphoniques et qui est contraint à recourir à la formule du partage des revenus (revenue sharing) avec des compagnies étrangères (premier contrat récemment signé avec Korea Telecom pour un projet de 40 millions de $ dans trois provinces du Nord).
- Monnaie et Finances : le déficit de la balance commerciale était de 2,3 milliards de US $ pour toute l’année 1995 et il a déjà atteint 2 milliards pour le premier semestre de 1996 ( il dépasserait 15 % du PIB sans comptabiliser le commerce parallèle de contrebande qui couvre essentiellement les biens de consommation et, en fait, ce déficit reflète largement les intrants qui accompagnent les investissements étrangers directs et les besoins d’une industrie de transformation en expansion accélérée) et risquerait de devenir alarmant pour 1996 en dépassant 5 milliards de US $ – il n’en reste pas moins que les exportateurs qui affrontent les importations sur le marché vietnamien et la concurrence sur les marchés d’exportation souffrent de la stabilité d’un dông (monnaie nationale) surapprécié – la gestion de la confiance dans le dông, de la parité dông/US $ (11 000 dông pour 1 US$ actuellement) ainsi que des taux d’intérêt est très difficile, et délicate à la fois techniquement et politiquement, mais il est probable, voire évident, qu’un glissement graduel et tâtonnant de la dépréciation du dông (objectivement de l’ordre de 8 %) devient inévitable à brève échéance pour doper les exportations et réduire le déficit extérieur – à noter également une dette commerciale cumulée, et consolidée, de l’ordre de 800 millions de dollars dont les banques japonaises détiennent les deux tiers des créances. L’accord du Club de Londres, pratiquement acquis, est attendu prochainement pour permettre l’émission des Euro-obligations pour un montant de l’ordre de 100 à 150 millions de US $ sur les marchés financiers internationaux par Merrill Lynch, Nomura et Deutsche Morgan Grenfell.
Peut-être devrait-on ajouter à cela la nouvelle législation, tout récemment adoptée par l’Assemblée nationale, sur les investissements étrangers qui a été conçue pour réaménager une législation datant de 1987, modifiée en 1990, puis en 1992, afin de stimuler et d’attirer les investissements étrangers (un décret d’application du gouvernement sur la “ catégorisation ” des investissements et de leur traitement est attendu après le Têt). La nouvelle législation suscite pour le moment des réactions plutôt mitigées.
15. En conclusion : les perspectives de croissance jusqu’à l’an 2000 sont bonnes et la tendance devrait pouvoir se poursuivre jusqu’en 2010 – dans ce contexte, et compte tenu du rôle déterminant des investissements étrangers directs (FDI), cette tendance et sa vitesse dépendront largement de la gestion et du succès des deux formules balbutiantes du BOT (buildoperate- transfer) et du partage des revenus (revenue sharing) elles-mêmes tributaires du progrès de l’instauration de l’État de droit au Viêt-nam.
Peut-être faudrait-il mentionner l’existence d’un bas de laine, évalué à environ 10 milliards de US$ dont 20 à 25 % en devises fortes que leurs détenteurs utilisent pour des dépenses de santé, d’éducation et même de consommation. Le gouvernement s’emploie avec beaucoup de peine à orienter cette épargne vers les investissements productifs.
En dernier ressort, l’épine dorsale de tout développement économique durable repose sur l’énergie. Le Viêt-nam disposera-t-il d’énergie suffisante et compétitive pour les prochaines décennies ? Sauf dérapage imprévu, les besoins seront couverts jusqu’en 2010.
Mais d’ores et déjà, les options doivent être choisies pour l’après 2010. Il serait difficile de développer davantage les types de centrales nucléaires actuelles ou envisagées pour bon nombre de raisons dont celles concernant l’écosystème de la région. L’option nucléaire paraît inévitable.
Les scientifiques et les autorités vietnamiens sont particulièrement attentifs au problème de sécurité des centrales et aux conséquences à long terme pour les déchets radioactifs. L’approche de Carlo Rubbia avec son amplificateur d’énergie et la campagne d’information menée par Georges Charpak les séduisent. Mais le temps presse…
Remarques in fine
16. Les perceptions sur la compétition pour le pouvoir au Viêtnam, compétition qui freine les réformes doivent être relativisées devant un enjeu considérable, celui de la transition du pays vers l’économie de marché. Le passage du Viêt-nam à l’économie de marché est inexorable et rien ni personne ne pourra l’arrêter. En effet, avec la mondialisation de l’économie qui progresse en s’accélérant, tout blocage de ce processus fragilise le pays et le conduit à terme à sa marginalisation
On sera bientôt remplumé grâce au Dôi Moi
(le Renouveau) (Hanoi). © TRÂN VAN-THINH
17. Il s’agit dès lors pour les Vietnamiens, pour leurs dirigeants et pour la communauté des investisseurs intéressés par le Viêt-nam, de gérer cette transition sans déstabiliser le pays tout en assurant la protection de leurs intérêts respectifs légitimes.
18. Les dix premières années de la réforme économique, du “ dôi moi ”, ont laissé apparaître des contrastes frappants et des fractures alarmantes sur une toile de fond de boom d’urbanisation, de boom de bureaucratie, de boom de corruption, de boom de richesse et de riches, de boom de pauvreté et de pauvres… Au Viêt-nam d’aujourd’hui, tout se côtoie, la campagne douce et laborieuse, la cité fébrile et polluante, le meilleur et le pire, les bienfaits et les méfaits de l’économie de marché.
19. Sans doute le triomphe mondialisé du marché dans la gestion économique fascine-t-il et masque-t-il une méconnaissance de l’économie de marché. Les forces conservatrices lui reprochent les méfaits et les forces réformistes ne trouvent pas de contrepoids pour tisser l’équilibre indispensable entre les régions, entre les couches de la population, entre la campagne et la ville, entre les différents secteurs de l’économie, et finalement entre l’État luimême et les forces du marché.
20. Il ne convient ni d’idéaliser le marché ni de le pervertir mais de le coupler et de l’équilibrer avec l’État, son partenaire indispensable qui a la charge de tisser et de garantir les règles du jeu pour faire fonctionner une économie au service de l’homme et non pour l’asservir. Les Vietnamiens ont besoin de cet équilibre entre l’État et le marché pour construire leur prospérité dans la paix et pour tisser l’indispensable trame homogène du paysage culturel, économique et social qu’ils ont reçu en héritage.
21. Il ne faut surtout pas négliger un atout de taille : un marché domestique de 75 millions de consommateurs qui seront 90 millions en l’an 2010. C’est le contrepoids nécessaire aux variations des marchés extérieurs.
22. Le dernier mot de cette présentation d’un essai de synthèse encore incomplet revient au numéro un du pays, le Secrétaire général Dô Muoi, homme politique extrêmement fin, qui a exprimé clairement sa volonté à ce sujet, celle de faire accélérer la réforme, dans l’efficacité et la stabilité.
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C’est ainsi que, suivant la mythologie de l’origine des fondateurs du Viêt-nam – des dragons sacrés venus de la mer – le petit dragon vietnamien prendra tout son temps pour souffrir afin de mûrir, pour apprendre à éviter les écueils en tirant la leçon des succès et des échecs à la fois chez lui et chez ses partenaires, pour forger un consensus national indispensable à la mise en oeuvre d’une voie spécifiquement vietnamienne du développement, pour gagner la bataille la plus difficile et la plus formidable de son histoire, celle de la paix pour le bonheur des Vietnamiens.
L’année Dinh-Suu sous le signe du buffle qui vient de commencer est de bon augure pour cette longue marche : le buffle, animal très populaire au pays du dragon, est connu pour sa force tranquille, son labeur, son endurance et sa persévérance.
Les guerriers sont devenus managers. Ce sera ainsi que petit dragon deviendra grand !