Le wargame : mieux qu’un jeu, un outil de transformation des entreprises
L’analyse stratégique traditionnelle se révèle souvent inefficace lorsque les entreprises sont confrontées à des situations de rupture de leur environnement concurrentiel : déréglementation, nouveaux entrants.
Depuis longtemps, les militaires ont perfectionné les techniques de simulation et créé les « wargames » pour mettre à l’épreuve leurs stratégies.
Adapté aux entreprises, le wargame permet de tester les concepts stratégiques et de favoriser l’émergence d’une vision partagée par l’ensemble des dirigeants de l’entreprise.
Commençons par une petite expérience qui nous est familière : il y est question de casserole, d’eau froide, d’eau chaude, mais l’œuf est remplacé par une grenouille !
Si nous plongeons une grenouille dans l’eau bouillante, elle saute immédiatement hors de la casserole et sauve – temporairement – sa vie. Mais, plongée dans une casserole d’eau froide placée sur le feu, elle tentera de s’adapter à l’augmentation régulière de la température, ne cherchera plus à sauter hors de l’eau et mourra inexorablement… à petit feu.
Toutes préoccupées à s’adapter, parfois à regret, aux changements de leur environnement, certaines entreprises perdent leur vigilance et tardent à discerner les évolutions majeures de leur secteur. Pourtant, comme le prouve l’analogie de la grenouille, identifier ces évolutions et transformer l’entreprise de manière stratégique se révèle vital.
Parmi les ruptures auxquelles l’entreprise doit faire face figurent, par exemple, l’apparition de nouveaux acteurs sur le marché, la déréglementation, les révolutions technologiques, ou même une intense guerre des prix.
ddddddddddddddd
Outils conceptuels utilisés par les entreprises
Mais comment les entreprises simulent-elles les réactions de la concurrence et leur impact sur leur propre stratégie ?
La théorie économique propose des outils conceptuels éprouvés :
- théorie des jeux pour anticiper le comportement des agents économiques,
- scénarios économiques pour évaluer l’impact de telle ou telle option stratégique sur la création de valeur pour l’entreprise.
La théorie des jeux permet certes de comprendre et de modéliser de façon adéquate le fonctionnement d’un oligopole ou les problématiques d’entrée sur un marché, mais son application pratique bute sur un problème majeur : elle raisonne essentiellement sur des situations statiques, alors que la vie économique est en perpétuelle évolution.
Quant aux scénarios économiques, ils permettent fort bien d’analyser la robustesse des options stratégiques en mesurant la création de valeur associée à chaque option, mais ils rendent souvent mal compte des ruptures qui se produisent sur tel ou tel marché. Pourquoi ? Vraisemblablement parce que penser les ruptures est un exercice délicat et bien difficile à faire partager.
De façon plus générale, les entreprises refusent de croire à « ce qui ne pourrait jamais arriver », et rejettent les meilleures stratégies si celles-ci semblent contraires à l’intuition. Même lorsque les dynamiques de la concurrence sont assimilées, et qu’une entreprise reconnaît l’obligation de compétitivité, elle peine à accepter les changements radicaux qui lui permettraient de maintenir sa position concurrentielle. Enfin, même si le changement est reconnu et planifié, sa mise en place n’en reste pas moins délicate parce que l’absence de consensus au sein des équipes dirigeantes retardent et fait dériver l’implémentation.
Les situations de rupture sont ainsi difficiles à envisager avec les outils traditionnels, et la nécessité d’adaptation est encore plus délicate, parce que les équipes dirigeantes portent un regard différent sur la nécessité et le rythme des évolutions.
Les simulations militaires
Mais si nous analysons de plus près les situations militaires, nous réalisons qu’elles présentent constamment des cas de rupture.
C’est dans ce cadre que s’est développée une méthode de simulation dans laquelle le haut commandement a pris l’habitude de confier à certains officiers la direction d’hypothétiques troupes ennemies, afin de tester la pertinence de sa stratégie et se protéger par avance contre les réactions des adversaires.
Dans les années 30, l’amiral Nimitz fut en mesure de simuler l’issue de potentielles batailles navales dans le Pacifique avec une précision qui se révéla a posteriori saisissante, lui permettant de jouer un rôle majeur dans la Seconde Guerre mondiale et de gagner la suprématie maritime. De son propre aveu, la seule tactique que les simulations américaines n’avaient pas été en mesure de prévoir avait été l’usage des kamikazes par l’armée japonaise…
L’usage des « wargames » en entreprise
“ Mais ! Ils envoient des flèches enflammées maintenant… Tu crois qu’ils ont le droit ? ” © GARY LARSON
Dans le contexte militaire, marqué par une forte incertitude et d’immenses enjeux, on mesure sans peine l’opportunité de telles simulations. Dans le domaine économique, nous retrouvons les mêmes facteurs : la concurrence oppose des entreprises antagonistes alors que les ruptures de marché sont multiples et impossibles à appréhender à partir d’un seul point de vue. C’est ainsi que l’emploi du « wargame » s’est élargi au monde de l’entreprise afin de permettre la simulation dynamique de la concurrence.
En effet, les « wargames » offrent, dans le cadre de l’entreprise, une alternative alléchante aux outils conceptuels (cf. schéma Avantages des simulations dynamiques, p. 21) : amener les équipes dirigeantes à jouer pleinement le rôle de leurs concurrents et les faire réagir aux initiatives de chacun des acteurs pour comprendre et anticiper les réactions de l’adversaire. Cela contribue largement à :
- éclaircir l’horizon stratégique pour les dirigeants de l’entreprise,
- créer une vision commune, partagée et ayant subi l’épreuve des faits, sur la stratégie qu’il convient de suivre.
Enfin, la coopération au sein de chaque équipe et l’émulation entre les équipes créent des liens durables au sein des équipes dirigeantes et poussent chacun (ingénieur, commercial ou financier) à modifier sa perspective habituelle afin d’y intégrer des éléments globaux bénéficiant à toute l’entreprise.
Méthodologie
La mise en place d’un wargame classique se conçoit comme un projet en cinq phases (cf. encadré « Un exemple concret : wargame dans un secteur en pleine mutation », ci-dessus).
1. Analyse du marché
Il convient de comprendre d’abord l’environnement concurrentiel et ses acteurs, décrire leur stratégie, puis de sélectionner quelques acteurs représentatifs.
2. Constitution des équipes
Au sein des équipes dirigeantes sont créées des équipes plurifonctionnelles qui vont chacune jouer le rôle d’une entreprise donnée. Chaque équipe prend connaissance des données sur le marché et s’imprègne des forces et des faiblesses de « leur » entreprise et de la stratégie poursuivie jusqu’à présent. C’est une occasion unique pour les dirigeants de mieux connaître leurs concurrents et de se mettre à leur place, ne serait-ce que quelques jours. Naturellement, une équipe représente les clients, tandis qu’une autre peut prendre le rôle de l’autorité de régulation.
3. Construction d’un modèle de simulation
La modélisation apporte un support aux décisions des équipes, mais ne saurait constituer le cœur de la simulation. Les réactions de la concurrence et des clients proviennent des analyses et des décisions des participants au wargame. L’outil informatique se contente d’assister les équipes dans l’évaluation de l’impact financier des décisions prises : marge opérationnelle, flux de trésorerie, rentabilité des capitaux employés.
4. La phase de jeu
La simulation s’étend sur plusieurs jours successifs qui permettent d’éprouver la pertinence de la stratégie sur la durée. La simulation n’exclut a priori aucun des événements susceptibles de survenir en réalité : fusions, acquisitions, ruptures technologiques, catastrophes naturelles, changements d’organisation, etc.
5. Partage des résultats
Les bénéfices d’un tel wargame ne sont complets que si l’ensemble des enseignements sont partagés et communiqués entre participants. Un travail de partage est donc indispensable en aval.
Les « wargames » à l’épreuve des faits
Notre expérience démontre que la simulation dynamique de la concurrence est une avancée par rapport à l’analyse stratégique traditionnelle :
- elle met les stratégies envisagées à l’épreuve d’une quasi-réalité ;
- elle permet d’assimiler de nouveaux concepts, notamment dans les situations de rupture des équilibres traditionnels ;
<li </li - enfin, elle implique l’ensemble des dirigeants dans le processus d’analyse stratégique, contribue ainsi à générer une vision commune pour l’entreprise, et permet par conséquent la mise en œuvre des changements indispensables pour prospérer.