L’eau potable pour tous est un droit de l’homme
En France comme dans tous les pays développés, il est évident pour chacun qu’avoir accès à l’eau potable, c’est avoir l’eau courante à domicile, c’est-à-dire avoir de l’eau saine qui s’écoule des robinets de son logement chaque fois qu’on en a besoin. Aujourd’hui pourtant, moins de la moitié de la population mondiale est dans cette situation.
REPÈRES
L’accès à l’eau potable est devenu un droit en France en 2006. Durant la dernière décennie, plusieurs pays ont inscrit ce droit dans leur constitution nationale. En 2010, tous les pays membres des Nations unies ont reconnu cet accès comme un droit de l’homme. Chaque pays peut définir dans sa législation et sa réglementation la nature de l’eau à laquelle chacun a droit, ainsi que ses modalités d’accès. Mais, ces dispositions doivent respecter le droit international qui définit le contenu du droit de l’homme à l’eau potable et à l’assainissement.
Faire des choix
Améliorer cette situation est l’une des priorités de la communauté internationale. Le grand programme mondial 2000–2015, dit des Objectifs du millénaire pour le développement (OMD), comprend une composante pour l’accès à l’eau potable. Les efforts et les réalisations sont très importants.
Les critères d’accès à l’eau
De très nombreux débats ont cherché à identifier les critères d’un accès à l’eau satisfaisant dans le but d’établir un niveau minimal d’exigences et de mieux orienter les efforts d’amélioration.
Vaut-il mieux avoir de l’eau courante en permanence à domicile, mais polluée, ou de l’eau saine à une borne-fontaine à 1000 mètres de son logement ?
Lorsqu’on a accès à un réseau d’eau qui ne coule que pendant quatre heures tous les deux jours, vaut-il mieux investir dans un réservoir de stockage où l’eau risque de croupir, ou recourir à des systèmes d’approvisionnement alternatifs fournissant une eau de moins bonne qualité ?
Vaut-il mieux aller chercher soi-même son eau au puits ou à une borne-fontaine, malgré le temps que cela consomme, ou acheter des bidons d’origine inconnue à un vendeur ambulant ?
Mais, devant l’ampleur des besoins, il faut faire des choix pour la bonne allocation des besoins financiers. La communauté internationale a reconnu depuis longtemps que l’eau saine en permanence à domicile était une ambition excessive pour un objectif universel à court terme.
À quoi ai-je droit ?
La reconnaissance en 2010 de l’accès à l’eau potable comme un droit de l’homme a permis de définir précisément l’accès satisfaisant à l’eau. Chacun a évidemment droit à une eau en quantité suffisante pour ses besoins quotidiens minimaux (boisson, alimentation, hygiène). Cette eau doit être de bonne qualité sanitaire.
Mais des critères supplémentaires ont été ajoutés. L’eau doit être simultanément accessible, disponible, acceptable, de coût abordable et son accès doit se faire de façon équitable, sans discrimination.
Ces exigences font qu’un accès à une eau dont seul le critère de « potabilité » est assuré n’est pas suffisant en termes de droit de l’homme.
L’obligation de mise en œuvre progressive
Ce n’est qu’en 2010 qu’une vision commune a pu se dessiner
La contrepartie du droit individuel est une obligation pour les pouvoirs publics. Mais une disposition très importante du droit international est que la reconnaissance du droit de l’homme n’emporte pas jouissance immédiate pour les bénéficiaires. Ce ne serait pas réaliste.
Les besoins sont trop importants. L’obligation de mise en œuvre du droit par les autorités publiques n’est que progressive. Il s’agit pour les États de s’organiser pour améliorer progressivement l’accès à l’eau pour leur population selon leurs possibilités.
La rose du droit
La représentation graphique de la « rose du droit à l’eau potable » permet de visualiser une situation individuelle par rapport à différents critères, figurés comme six axes indépendants.
La satisfaction à 100% des différents critères du « droit de l’homme » est représentée par l’hexagone régulier rouge, alors que le centre correspond à la situation d’un individu qui utilise de l’eau ne satisfaisant à aucun de ces critères. Ce schéma permet de comparer le sens commun de l’accès à l’eau potable dans les pays développés (polygone bleu) avec celui du droit de l’homme (hexagone rouge). Cette comparaison est approximative car les exigences peuvent varier suivant les conditions locales.
Elle montre cependant que le droit de l’homme est un niveau minimal, bien inférieur à ce dont bénéficient les habitants des pays « riches ». En effet, si les exigences de potabilité et de coût abordable sont a priori assez similaires, il n’en est pas de même pour les autres critères. Avoir l’eau courante à domicile permet de faire fonctionner des WC, d’arroser son jardin ou de laver sa voiture, ce qui consomme bien plus d’eau que la quantité minimale du droit.
Devoir porter l’eau sur quelques centaines de mètres n’est pas incompatible avec le droit de l’homme. De même, aller à une borne-fontaine qui ne marche que quelques heures par jour ou avoir un robinet à domicile où l’eau ne coule que la moitié du temps est considéré comme satisfaisant.
N’oublier personne
Alors s’agit-il de poudre aux yeux ? Est-ce que le droit de chacun est bien réel ? Est-ce que les pouvoirs publics peuvent s’abriter derrière cette tolérance de progressivité pour ne rien faire ? Les pouvoirs publics ont l’obligation de faire, et donc chaque année d’apporter des améliorations concrètes au moins pour une partie de la population, ainsi que d’avoir un programme d’ensemble organisant progressivement un niveau d’accès à l’eau potable satisfaisant pour la totalité de la population.
Ce programme peut se dérouler sur plusieurs décennies mais il doit couvrir toutes les zones habitées en n’oubliant personne. Ainsi, les individus ne peuvent pas réclamer l’amélioration de leur sort pour demain ou après-demain, mais ils peuvent exiger que l’accès à l’eau potable s’améliore progressivement dans leur environnement.
Une question d’organisation des pouvoirs publics
La contrepartie du droit individuel de l’homme à l’eau potable est l’obligation pour les États de le mettre en œuvre pour la totalité de leur population. Ils y consacrent beaucoup de moyens avec des résultats spectaculaires. Chaque année, ce sont environ 65 millions de personnes qui accèdent à l’eau courante à domicile, l’équivalent de la population française.
Un indicateur intermédiaire
Au niveau des experts, un indicateur d’accès « intermédiaire » fait de plus en plus consensus. Il s’agirait d’assurer l’accès à une eau qui satisfasse un test simple de non-contamination biologique, qui nécessite moins de trente minutes pour l’apporter à domicile et qui soit disponible au moins douze jours par quinzaine. Ces trois seuils sont loin de satisfaire les critères de potabilité et d’accessibilité du droit de l’homme, mais ils vont dans la bonne direction.
Ces dix dernières années, un milliard de personnes ont eu un meilleur accès à l’eau. Les États n’ont pas seulement à piloter des améliorations partielles, ils doivent s’organiser pour qu’elles bénéficient progressivement à tous. Cette organisation compte trois volets.
Le contenu précis du droit à l’eau et les obligations correspondantes des pouvoirs publics et des particuliers doivent être définis dans la loi ou la réglementation nationale.
L’État doit identifier les autorités publiques chargées de la mise en œuvre des différentes composantes du droit à l’eau. Chacun de ces organismes publics doit mandater des opérateurs (internes ou externes) pour mettre en œuvre concrètement toutes les actions nécessaires en allant au contact des utilisateurs pour n’ignorer aucun besoin.
La progressivité des objectifs mondiaux
La reconnaissance du droit de l’homme n’emporte pas jouissance immédiate
Les Nations unies n’ont pas de responsabilité directe dans la mise en œuvre du droit à l’eau potable. Sa reconnaissance comme un droit de l’homme est cependant en train de modifier leurs programmes d’incitation à l’action.
L’accès à l’eau potable est en effet l’une des priorités de la communauté internationale qui en a fait l’un de ses Objectifs du millénaire pour le développement. En 2000, lorsque ce programme 2000–2015 a été défini, on ne parlait pas de droit de l’homme. Une cible concrète a été définie. Il s’agissait en pratique de réduire de moitié la proportion de la population mondiale qui puise son eau à des sources potentiellement contaminées par des animaux. Cet objectif a été atteint dès 2010.
Aujourd’hui, la communauté internationale prépare le programme mondial qui prendra la suite des OMD en 2015. L’indicateur utilisé paraît maintenant bien insuffisant. Mais adopter l’accès universel à l’eau dans des conditions satisfaisant le droit de l’homme comme nouvel objectif ne serait pas réaliste à l’horizon de quinze ou vingt ans. Un objectif intermédiaire intégrant plusieurs éléments du droit est en train de se dessiner.
Une fracture sociale
Les différences d’accès à l’eau créent une véritable fracture sociale. Il y a, d’un côté, ceux qui ont de l’eau saine en permanence à domicile. Ils ne perçoivent pas vraiment la valeur de l’eau potable ni la chance dont ils bénéficient. De l’autre côté, il y a tous ceux qui ont un accès à l’eau plus difficile, plus risqué ou plus coûteux (environ 57 % de la population mondiale). L’eau potable a une valeur évidente pour eux, mais ils n’y ont pas accès, ou difficilement.
Mobiliser les acteurs
La moitié de l’humanité utilise de l’eau de qualité incertaine
La reconnaissance de l’accès à l’eau potable comme un droit de l’homme a permis de préciser les conditions minimales d’un accès satisfaisant à l’eau. Elles font défaut à plus de la moitié de la population mondiale. Dans les villes, la situation ne s’améliore pas : les efforts importants de développement des réseaux d’eau n’arrivent pas à suivre le rythme de la croissance urbaine.
BIBLIOGRAPHIE
► G. PAYEN, « Les besoins en eau potable dans le monde sont sous-estimés : des milliards de personnes sont concernées », dans H. Smets (dir.), Le Droit à l’eau potable et à l’assainissement en Europe, Paris, Éd. Johanet, 2012.
► Kyle ONDA, Joe LOBUGLIO & Jamie BARTRAM, « Global Access to Safe Water : Accounting for Water Quality and the Resulting Impact on MDG Progress », Public Health, 2012.
Les États ont affirmé en 2012 leur volonté de mettre en oeuvre le droit à l’eau potable, d’abord au Forum mondial de l’eau de Marseille, puis au sommet « Rio + 20 ». Un sursaut des politiques publiques est cependant nécessaire pour mettre en oeuvre ce droit de façon effective. Au vu de l’ampleur des besoins, des objectifs mondiaux et nationaux beaucoup plus ambitieux sont indispensables.
Espérons que les Nations unies sauront s’accorder sur une accélération des réalisations dans leur programme post-2015. Mais, c’est aussi une question d’organisation des pouvoirs publics avec une répartition claire de leurs compétences et de leurs moyens respectifs.
Le « droit à l’eau potable » ne sera pas satisfait par hasard. Seule une mobilisation des acteurs concernés à tous les niveaux, mondial, national et local, permettra d’assurer à chacun un accès satisfaisant à de l’eau véritablement potable