L’eau, probable facteur de conflits en Asie centrale
REPÈRES
Le « Grand centre asiatique » est la traditionnelle Asie centrale, du Kazakhstan à l’Afghanistan, augmentée du sous-continent indien, de la Chine et de la partie la plus continentale de l’Asie du Sud-Est (Birmanie, Thaïlande).
REPÈRES
Le « Grand centre asiatique » est la traditionnelle Asie centrale, du Kazakhstan à l’Afghanistan, augmentée du sous-continent indien, de la Chine et de la partie la plus continentale de l’Asie du Sud-Est (Birmanie, Thaïlande).
Cette région compte presque 50 % de la population mondiale et affronte des problèmes gigantesques. Elle est généralement en voie d’industrialisation rapide avec de nombreux nœuds industriels, mais son développement agricole est très inégal. Elle souffre d’un grave stress hydrique, malgré l’importance des pluies de mousson. Il faut 10 000 litres d’eau pour faire un kilogramme de viande et 5 000 litres d’eau pour faire un kilogramme de riz.
Depuis les années 1970, la Chine (près de 1 400 millions d’habitants) est pratiquement autosuffisante en matière agricole. Elle n’importe que 2 % de ce qui lui est nécessaire. Sa politique d’achat et de culture de centaines de milliers d’hectares de terres agricoles africaines va certainement la rendre exportatrice.
La Russie détient 22% des réserves mondiales d’eau douce
L’Inde (1 150 millions d’habitants) est dans la même situation agricole, avec entre 1 % et 2% d’importations, surtout du sucre et du blé.
Mais les autres pays de la région sont lourdement déficitaires. Le Kazakhstan (17 millions d’habitants) importe 60 % de sa nourriture et l’Ouzbékistan (29 millions) en importe 80%.
L’eau, le blé et la Russie
La Jaune, la Rouge et la Bleue
La Chine est traditionnellement divisée en trois grandes parties.
Au nord, sur environ 400 km de large, la « Chine rouge », avec presque tous les minerais importants, métaux précieux, terres rares (yttrium, césium, etc.) indispensables aux produits de haute technologie.
Plus au sud, une bande longue mais étroite, essentiellement le long de la vallée du fleuve Jaune. C’est la « Chine jaune », admirablement cultivée et qui possède la plupart des terres arables.
Enfin, le reste de la Chine, avec Pékin, constitue la « Chine bleue », dont les grandes villes sont le but de tous les paysans partant pour l’exode rural.
C’est la Russie (142 millions d’habitants) qui est le grand grenier à blé de cette région, mais elle est dans une situation démographique difficile avec 1,5 enfant par femme seulement, un vieillissement rapide et un excès des décès sur les naissances qui est encore de 150 000 par an.
L’importance de l’eau et du blé a conduit les Russes à rajouter ces deux produits sur leur liste des matériaux stratégiques dans lesquels l’étranger ne peut investir plus de 10%. La Russie détient 22% des réserves mondiales d’eau douce et, en 2030, environ un milliard et demi de Terriens n’auront pas d’accès direct à l’eau.
Deux ou trois enfants en Chine
La politique démographique de la Chine a connu de fortes évolutions. La vieille politique de l’enfant unique a été assouplie. Les populations rurales ont droit à un deuxième enfant depuis 1994, et même un troisième enfant depuis 1996.
Depuis 2002, les citadins ont le droit de demander à avoir un deuxième enfant, même si cela leur est le plus souvent refusé. Tout Chinois adulte doit être muni de son rocou, permis de résidence et de travail. Sans lui, pas d’embauche, pas de logement, pas de soins.
300 millions de Chinois vivent en clandestins dans leur pays
Mais on estime que 250 à 300 millions de Chinois vivent en clandestins dans les grandes villes, sans rocou. On estime à 150 ou 200 euros par mois ce que coûte un ouvrier, salaire et frais compris, à une entreprise industrielle chinoise.
Les pays d’Asie du Sud-Est, Vietnam, Cambodge, Laos, Thaïlande, sont des concurrents redoutables avec des salaires deux à trois fois plus faibles.
L’Inde manque d’énergie
L’Inde est presque autosuffisante pour sa nourriture, mais elle importe 80 % de son énergie. Avec son taux de 2,6 enfants par femme, même lentement décroissant, on estime qu’elle aura 1 400 millions d’habitants en 2030. Elle compte encore 60 % de paysans. Son système de castes a une conséquence inattendue : l’exode rural est bien plus faible qu’en Chine, car il est de courte durée et est le plus souvent suivi d’un retour au village d’origine.
Analphabétisme et opium
Le Pakistan (180 millions d’habitants, 3,6 enfants par femme) compte encore 80 % d’analphabètes, ce qui freine son développement. Il a une particularité unique dans les pays de la région : il est ethniquement très homogène.
L’Afghanistan, le « tombeau des Empires » (33 millions d’habitants ; 6,3 enfants par femme) était autosuffisant pour sa nourriture jusque vers 1965, mais il ne possède que 1 % de terres arables. Aujourd’hui, il produit essentiellement de l’opium : 90% de l’opium du monde. Comment, du reste, en serait-il autrement quand un agriculteur afghan voit ses revenus multipliés par dix quand il passe du blé à l’opium ?
Les mal lotis
Les pays de l’Asie centrale traditionnelle ont d’autres problèmes spécifiques.
Près de la moitié de la population du Kazakhstan est russophone (les « Slavons »), mais leur proportion dans la population kazakhe est décroissante et un nouveau problème de décolonisation se profile à l’horizon.
L’Ouzbékistan sort de la guerre civile.
Le Kirghizstan, le Tadjikistan et le Turkménistan ne sont guère mieux lotis.
Des problèmes vitaux
Les problèmes majeurs de cette région essentiellement continentale ne sont pas seulement des problèmes politiques (Cachemire, Tibet, Sin-Kiang, confins russo-chinois, dictatures, islamisme et talibans, etc.), ce sont des problèmes vitaux : recherche d’une démographie équilibrée, ni débordante, ni insuffisante ; développement et alphabétisation ; autosuffisance agricole, ou du moins production agricole suffisante et mettant à l’abri des à‑coups.
Et, surtout, ce problème essentiel dont on devine chaque jour davantage l’importance, la maîtrise de cette denrée vitale mais très inégalement répartie : l’eau.
Quelques questions
Y aura-t-il demain un marché de l’eau, comme il y a un marché de chaque matière première ?
Près de 60% de l’eau douce mondiale se trouvent dans quatre pays : la Russie, le Canada, le Groenland et les États-Unis. Transporter l’eau, par des aqueducs, coûte beaucoup moins cher que dessaler l’eau de mer. Il semble inévitable que s’établisse un marché mondial de l’eau.
Quelle est la situation de la Mongolie ?
Coincée entre deux géants et à peine peuplée (3 millions d’habitants), la Mongolie ne peut que s’appuyer sur l’un pour ne pas être écrasée par l’autre. Elle a, de longue date, choisi l’alliance russe. Elle fut la deuxième république soviétique (1922), le russe est sa langue administrative et elle a fait une demande d’admission dans l’Organisation de coopération de Shanghai.
La Sibérie peut-elle être une pomme de discorde entre la Russie et la Chine ?
On dénombre 150 000 Chinois en Sibérie, mais les Russes veillent à ce que ce nombre n’augmente pas. Pour la plupart, les immigrants chinois n’aiment pas le climat sibérien et ne pensent qu’à rentrer au pays une fois fortune faite.
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La démographie, probable facteur de conflits en Asie centrale ?
« L’Inde est presque autosuffisante pour sa nourriture, mais elle importe 80% de son énergie. Avec son taux de 2,6 enfants par femme, même lentement décroissant, on estime qu’elle aura 1.400 millions d’habitants en 2030. »
On pourrait même ajouter ceci, en 2050 l’Inde comptera 1,7 milliards d’habitants : à lui seul, ce pays (grand comme six fois la France, et représentant seulement 2,2% des terres émergées) aura le même nombre d’habitants que la planète dans son ensemble avait au début du XXe siècle ! Avec la densité qu’elle connaîtra alors (515 hab/km²), la France compterait 284 millions d’habitants (soit 200 millions de plus que prévus). Comment un pays SIX fois plus étendu que le nôtre fera-t-il pour que sa population vive en harmonie avec elle-même et avec son environnement ?
Et que dire de son voisin le Bangladesh qui est le pays (digne de ce nom) le plus densément peuplé au monde (1.100 hab/km²). Avec sa densité actuelle, nous serions déjà 600 millions et avec la densité qui y est prévue en 2050 : 866 millions !!! Reconnaissons que le Pakistan voisin (grand comme une fois et demi la France), même s’il est mieux loti, n’est pas très brillant non plus : avec la densité qui y est prévue en 2050 nous serions 218 millions. Avec comme voisin l’Afghanistan, ce pays et plus globalement cette région du monde est, et sera sans doute plus encore, une poudrière…