L’échec à l’école primaire : un rapport de l’Institut Montaigne
La situation de l’enseignement primaire en France est tellement dégradée qu’elle constitue une véritable bombe à retardement : chaque année un nombre important de jeunes sortent du système éducatif sans qualification. L’Institut Montaigne formule quatre séries de propositions pour remédier à cette situation.
Vaincre l’échec à l’école primaire
C’est sous ce titre que l’Institut Montaigne vient de publier un rapport établi par un groupe de travail qui, de juin 2009 à mars 2010, s’est penché sur le fonctionnement de l’école primaire en explorant la bibliographie et en procédant à des auditions d’acteurs du système éducatif.
Quatre écoliers sur dix sortent du CM2 avec de graves lacunes
Selon le Haut Conseil de l’éducation (HCE), « quatre écoliers sur dix, soit environ 300 000 élèves, sortent du CM2 avec de graves lacunes : près de 200000 ont des acquis fragiles et insuffisants en lecture, écriture et calcul ; plus de 100 000 n’ont pas les compétences de base dans ces domaines « . D’après l’UNESCO, les dépenses pour l’éducation, tous degrés d’enseignement confondus, sont chez nous plus importantes que dans les pays comparables, mais les performances en compréhension de lecture des élèves en 4e année de scolarité (CM1), qui nous classaient dans les premiers rangs en 1990, nous situent à des rangs de plus en plus médiocres lors des nouvelles enquêtes. Traditionnellement perçu comme un point fort de notre système éducatif, le niveau en mathématiques des écoliers français s’est aussi dégradé durant la dernière décennie.
Déterminisme social
Retard définitif
Le collège ne parvient pas à rattraper les retards du primaire : selon le HCE, les élèves qui ont des acquis fragiles en fin de CM2 débutent au collège dans de mauvaises conditions car ni la lecture ni le calcul ne sont suffisamment consolidés pour leur permettre d’être autonomes. Quant à ceux qui connaissent de graves difficultés, leurs lacunes leur fermeront l’accès à une formation qualifiante.
Tous les élèves ne sont pas également concernés par l’échec : les plus performants vivent une bonne scolarité dans un milieu relativement éduqué, alors que la proportion de ceux en retard à l’entrée en sixième est bien au-dessus de la moyenne pour les enfants d’employés, d’ouvriers et d’inactifs.
Rythmes et cycles scolaires
Loi inappliquée
Afin de lutter contre l’échec scolaire et de supprimer les redoublements, la loi d’orientation de 1989 a prévu la mise en place de trois cycles : – le cycle des apprentissages premiers (petite et moyenne section de maternelle) ; – le cycle des apprentissages fondamentaux (grande section de maternelle, CP et CE1) ; – le cycle des approfondissements (CE2, CM1, CM2). Mais cette loi n’est toujours pas appliquée.
En France, l’école vit au rythme des adultes plutôt qu’à celui des enfants. L’organisation du temps scolaire est soumise à la prédominance d’habitudes sociétales touchant à l’organisation des week-ends, des vacances et des loisirs. Il en résulte un resserrement du temps scolaire, ce qui nuit au travail et au développement des enfants.
Mais le rapport met surtout en cause l’échec de l’organisation de l’enseignement primaire en cycles, prévue par la réforme de 1989. Cette réforme n’a pas été mise en œuvre et la progression des élèves continue de se faire par année scolaire avec redoublement pour ceux qui ne suivent pas : aujourd’hui un élève sur cinq redouble au moins une fois avant la fin de l’école primaire.
On sait que le redoublement est le plus souvent inutile et dangereux. Des recherches ont montré que des élèves faibles ayant redoublé leur CP progressaient moins que les élèves faibles promus en CE1. L’institution des cycles a précisément pour but d’éviter les ruptures justifiant le redoublement en étalant sur trois années le processus d’apprentissage des compétences.
Aide aux élèves en difficulté
Il existe des dispositifs pour aider les élèves en difficulté, aide personnalisée assurée chaque semaine par les enseignants, stages de remise à niveau pendant les vacances, mise en place de réseaux d’aides spécialisées aux élèves en difficulté (RASED), possibilité ouverte aux chefs d’établissement de mettre en place un programme personnalisé de réussite éducative (PPRE). Mais il n’y a pas de cohérence entre ces dispositifs qui, au lieu de traiter dans leur classe les élèves en difficulté, tendent à les mettre en marge en les stigmatisant.
Inégalités
Le redoublement trop fréquent entretient et développe les inégalités : les prescriptions de redoublement augmentent pour les enfants de milieux sociaux défavorisés. Selon le HCE, alors que 3% des enfants d’enseignants et 7 % des enfants de cadres entrés en CP en 1997 ont redoublé à l’école primaire, les taux s’élèvent à 25 % pour les enfants d’ouvriers et 41 % pour les enfants d’inactifs.
Les enseignants ont pour mission d’accompagner les élèves dans la difficulté des apprentissages et de doter chacun des acquis nécessaires pour poursuivre sa scolarité. Mais, comme le souligne Antoine Prost dans son Histoire de l’éducation et de l’enseignement, la féminisation du corps professoral » se renforce, son recrutement s’embourgeoise, son prestige propre diminue « . Ils vivent rarement près de leur école et ne partagent pas la vie du quartier avec leurs élèves et leurs familles, ce qui les confronte souvent à des différences culturelles et sociales dont ils ne sont pas suffisamment conscients. Une dissonance renforcée par un mode d’affectation qui conduit à nommer les débutants dans des établissements situés dans les quartiers sensibles où ils se trouvent confrontés à des classes difficiles. La plupart y restent le minimum de temps, d’où un turnover très élevé dans un contexte où le rapport des maîtres aux élèves joue un rôle important.
Enfin, le rapport pointe l’absence d’autonomie des écoles primaires. Une loi de 2004 a prévu la création d’Établissements publics d’enseignement primaire (EPEP), mais on attend toujours les décrets d’application. Il en résulte que là où il faudrait s’adapter à l’hétérogénéité des populations scolaires, le pouvoir des directeurs est si limité qu’ils ne peuvent exercer une réelle responsabilité pédagogique.
Quatre séries de propositions
La première proposition est de revenir à la semaine de cinq jours et d’allonger l’année scolaire d’au moins deux semaines.
Les directeurs ne peuvent exercer une réelle responsabilité pédagogique
La deuxième proposition est de mettre en œuvre l’organisation de l’école en cycles d’apprentissage telle que l’a prévue la loi de 1989. Cela suppose d’intégrer la grande section de maternelle à l’école élémentaire et de repenser les programmes à l’échelle des cycles au lieu des classes. Il en résulterait une réduction radicale des redoublements en même temps qu’une réelle prise en charge des élèves en difficulté. Pour les rapporteurs, il est évident qu’un enfant de 5 à 10 ans ne peut pas porter la responsabilité de son échec à l’école : ils préconisent, dès l’apparition des premières difficultés, une intervention immédiate, individualisée et intensive. Ils recommandent aussi une implication des parents et une révision des contenus à la lumière des concepts issus de la psychologie cognitive.
Le métier des professeurs des écoles
L’allongement de la durée des études conduisant au métier d’enseignant avait pour but de revaloriser son image. Afin d’en faciliter l’accès aux étudiants issus de milieux défavorisés, le rapport propose des prérecrutements en cours d’études. Il souligne aussi la nécessité de renforcer la formation continue en la rendant obligatoire.
La dernière série de propositions vise à appliquer la loi donnant aux écoles primaires l’autonomie nécessaire pour construire leur identité et leur projet pédagogique en fonction des enfants qu’elles accueillent. Il s’agit ensuite de sélectionner et de former des directeurs d’école capables d’exercer un réel pouvoir sur leur établissement, notamment de recruter les membres de l’équipe pédagogique à partir du vivier des enseignants reçus au concours ou en situation de mobilité.
Enfin serait redéfinie la mission des inspecteurs de l’Éducation nationale. Les directeurs d’école voyant reconnue la responsabilité d’assurer la bonne marche de leur établissement, il reviendrait aux inspecteurs d’évaluer les élèves (afin d’évaluer les enseignants à partir des élèves) et de mettre en œuvre la formation continue des enseignants, avec pour mission de lutter contre l’échec.
Une nécessaire prise de conscience
Très sensible aux évolutions des universités, des lycées et des collèges, la société française vit sous l’impression d’une bonne qualité du réseau des écoles maternelles et élémentaires. L’Institut Montaigne fait apparaître une situation si dégradée qu’il la qualifie de bombe à retardement pour notre société. Le plus surprenant est que les lois de 1989 et 2004, censées y remédier, ne sont pas appliquées.