L’eco-conception : un tour d’horizon
ORIGINE, DÉFINITIONS
Dans les années soixante-dix, la réaction aux premiers grands accidents de pollution a essentiellement été la recherche de procédés curatifs visant à traiter les pollutions en aval des processus de production.
Définition de l’éco-conception
Approche systématique et systémique permettant de concevoir des produits satisfaisant les besoins de la clientèle tout en réduisant les impacts environnementaux de ces produits sur l’ensemble de leur cycle de vie.
Dans les années quatre-vingt, certains industriels sont passés du curatif au préventif (technologies « sobres et propres »), passant ainsi d’une attitude réactive à une attitude « proactive », mais toujours centrée sur la phase de fabrication.
Dans la décennie suivante s’est généralisée la prise en compte, dès la conception, des impacts sur l’environnement de l’ensemble du cycle de vie du produit. Cette démarche a été baptisée « éco-conception ».
Les enjeux
Les exigences croissantes subies par les entreprises en matière d’environnement, provenant tant de la clientèle que de la puissance publique, les conduisent à intégrer ce paramètre à la fois pour la gestion des sites de production (mise en place de systèmes de management de l’environnement) et pour le développement des produits.
Dans des secteurs d’activité comme les produits électriques et électroniques ou l’automobile, la réglementation va prochainement exiger des fabricants de prendre en charge la collecte et le traitement de leurs produits en fin de vie. Une bonne anticipation facilitera le recyclage, la réutilisation de certains éléments, et permettra de minimiser les quantités de déchets ultimes.
Par ailleurs les exigences environnementales des clients sont de plus en plus fréquentes dans les appels d’offres, notamment pour les produits industriels.
Chronologie d’une démarche d’éco-conception
Schématiquement, une démarche d’éco-conception se décompose en quatre points, que nous allons brièvement passer en revue :
1) une prise de conscience initiale qui se traduit par un engagement de la direction et la définition d’une stratégie,
2) du bon sens mis au service d’une préoccupation nouvelle,
3) une mobilisation de compétences et une acquisition de savoir-faire et d’outils,
4) la mise en place d’une veille environnementale technologique et réglementaire.
L’exemple des transports ferroviaires : les exigences environnementales nordiques
Toute réponse à un appel d’offres d’un opérateur ou exploitant de réseau ferroviaire danois, norvégien, suédois ou finlandais doit respecter les spécifications du « Nordic Environmental Manual », qui définit des exigences minimales de consommation d’énergie, de niveau de bruit, de vibrations, de champs électromagnétiques, de consommations de ressources, d’emploi de substances réglementées, etc.
UNE PRISE DE CONSCIENCE INITIALE ET LA DÉFINITION D’UNE STRATÉGIE
On n’hérite pas la Terre de nos ancêtres,
mais on l’emprunte à nos enfants.
Saint-Exupéry
Depuis la parution retentissante, en 1972, du rapport au Club de Rome intitulé The limits to growth, on peut dire que la prise en compte de l’environnement dans l’activité industrielle a été autant le fait des écologistes que des industriels eux-mêmes.
Aujourd’hui, cette prise en compte est largement imposée par des obligations réglementaires, en application notamment du principe « pollueur-payeur » puis, plus récemment, du principe de précaution et du respect des engagements nationaux tels que le protocole de Montréal (non-emploi des CFC et autres gaz destructeurs de la couche d’ozone) et de Kyoto (limitation des émissions de gaz à effet de serre).
Cependant, le strict respect des exigences réglementaires, attitude purement réactive, est souvent moins efficace qu’une anticipation des évolutions réglementaires qui permet de planifier les investissements.
Par ailleurs, les mesures de réduction des impacts sur l’environnement sont souvent « à double bénéfice » (économique et environnemental), notamment toutes les mesures visant à diminuer les consommations de matières premières et d’énergie.
La façon dont un décideur va prendre conscience de l’intérêt d’intégrer de façon proactive l’environnement dans la stratégie de son entreprise grâce à la mise en place d’une démarche d’éco-conception peut prendre des formes multiples, illustrées par les exemples ci-dessous.
La consommation d’énergie et les émissions de gaz à effet de serre du secteur du bâtiment en France
On constate que le secteur résidentiel et tertiaire représente près de la moitié de la consommation d’énergie du pays, et près du quart des émissions de gaz carbonique. Or cette consommation et cette émission sont celles des bâtiments lors de leur phase d’utilisation.
Quand on sait que les techniques permettant de diviser par deux ces valeurs sont parfaitement connues et maîtrisées, cela permet de mesurer les enjeux d’une politique de réhabilitation massive du parc de bâtiments existants. L’éco-reconception des bâtiments existants passe donc en priorité par une diminution de leurs consommations d’énergie.
La stratégie des pétroliers européens
Certaines compagnies pétrolières européennes savent qu’elles ne doivent pas compter sur le pétrole, ressource fossile aux réserves limitées, pour maintenir leur activité à long terme. C’est pourquoi elles investissent depuis longtemps, notamment en France, dans les énergies renouvelables, solaire thermique ou photovoltaïque et plus récemment, éolienne, grâce à un tarif de rachat du kWh intéressant.
LE BON SENS AU SERVICE D’UNE PRÉOCCUPATION NOUVELLE
Les flux à prendre en compte à chaque étape du cycle de vie d’un produit | |
Entrants
Matières premières Ressources énergétiques Consommation d’espace (utilisation du sol) |
Sortants
Émissions dans l’air Émissions dans l’eau Émissions dans le sol |
Une fois définies les priorités environnementales et la stratégie de mise en place d’une démarche d’éco-conception, la première mesure concrète est de permettre à la créativité des salariés, mais aussi des clients, de s’exprimer. Les premiers pourront être conviés à une présentation de la nouvelle stratégie environnementale produits de l’entreprise et à une formation sur les questions environnementales liées aux produits dont ils ont la charge, tandis que les seconds pourront faire l’objet d’une enquête de satisfaction comportant un volet « environnement ».
Quelques exemples montrant que l’éco-conception est souvent au départ affaire de bon sens.
Les sociétés de vente par correspondance
Les principaux impacts sur l’environnement de l’activité de vente par correspondance sont dus à la fabrication des catalogues et à la livraison des colis. Les mesures d’éco-conception ont alors porté sur :
- les pigments des encres d’impression et le blanchiment du papier des catalogues,
- la modernisation du parc de camions, un entretien plus strict (contrôles techniques avec réglages antipollution), la formation des chauffeurs à la conduite économe, la recherche de transports moins polluants, etc.
Les emballages de lessive
Les lessives liquides sont vendues en flacons plastique rigides de 3 à 5 litres, conçus pour faciliter leur manutention (bouchons doseurs, cols anti-coulures, etc.).
Le flacon a une durée de vie technique très élevée par rapport au temps d’utilisation de son contenu, d’où l’idée de proposer des « éco-recharges » en plastique souple de masse très faible comparée à celle du flacon rigide qui peut ainsi être utilisé beaucoup plus longtemps.
Les briques de boisson
Les briques de lait ou de jus de fruit sont conçues pour une préhension facile (les premières briques de lait étaient de forme tétraédrique malcommode), mais aussi pour optimiser l’utilisation de la place offerte par les camions de livraison.
Cette optimisation a conduit certains fabricants à proposer des briques de forme légèrement modifiée afin de maximiser le volume de liquide transporté par palette.SortantsÉmissions dans l’airÉmissions dans l’eauÉmissions dans le sol
MOBILISER LES COMPÉTENCES, ACQUÉRIR SAVOIR-FAIRE ET OUTILS
Mobiliser les compétences
Chaque acteur principal de l’équipe projet a un rôle à jouer :
- le marketeur identifie les besoins des clients et repère les actions des concurrents (benchmarking environnemental),
- le concepteur intègre les spécifications environnementales du marketing et joue un rôle central dans la recherche de compromis et d’innovations,
- l’acheteur est chargé de la sensibilisation environnementale des fournisseurs et assure la veille technologique environnementale.
L’éco-conception nécessite également des relations étroites avec les fournisseurs (amont) et les acteurs intervenant en fin de vie, comme les collecteurs et les recycleurs (aval).
Acquérir savoir-faire et outils
L’éco-conception nécessite des connaissances à la fois sur le produit (cycle de vie, substances, réglementation, exemples réussis) et sur le processus (modèles de structure, règles essentielles, outils).
Ces connaissances devront être traduites par l’expert en éco-conception et transmises à l’équipe qui devra, avec son aide, s’approprier progressivement la démarche. Cet expert n’a pas de localisation typique : il peut être incarné dans un membre du service environnement, un concepteur « senior » (interne) ou un consultant (externe). Il est par contre important que :. cette expertise soit facilement accessible à l’équipe projet,. tous ses membres soient sensibilisés aux questions d’environnement,. l’équipe accepte et intègre les outils et les choix de conception.
QUELS OUTILS ?
Deux types d’outils seront utiles à l’équipe projet :
- des outils d’analyse, permettant d’évaluer l’impact environnemental d’un produit et d’identifier ses points faibles,
- des outils de synthèse permettant d’aider l’équipe à trouver les options d’améliorations du produit.
Outils d’évaluation de l’impact environnemental d’un produit (analyse)
Évaluation quantitative
- Analyse du cycle de vie (ACV) : 4 étapes (normes ISO 14040 à 14043).
Pour l’étape d’évaluation, il n’y a pas de consensus, et plusieurs méthodes multicritères coexistent : agrégées par pondération : EPS (S), Ecopoints (CH), Eco-indicators 95 et 99 (NL) ou non agrégées : CML (NL).
Plusieurs logiciels d’aide à l’éco-conception sont basés sur des calculs d’ACV : EIME et TEAM (France), SimaPro (Pays-Bas), Gabi (Allemagne), KCL ECO (Finlande). - ACV simplifiée : monoétape (exemple : inventaire des émissions) ou monocritère (exemple : contenu énergétique, sans évaluation).
Évaluation semi-quantitative
Évaluation simplifiée et quantitative du cycle de vie (ESQCV) (MEDD/Afnor).
Évaluation qualitative.
- Matrices : Ademe1 (F), MET (NL).
Tableaux prenant en compte plusieurs critères d’évaluation et plusieurs phases du cycle de vie du produit. Pour chaque cellule de la matrice, données chiffrées à renseigner ou données qualitatives (uniquement des matériaux sans indication de leurs masses, par exemple). - Indice écologique : Indice Eco de Renault (pour les emballages).
Plusieurs critères sont regroupés en classes. Des pénalités sont attribuées en fonction de la situation par rapport à l’environnement : de favorable à insatisfaisante.
Le calcul de l’indice ECO est égal à 100 – S pénalités. - Check-lists : listes de questions dont les réponses sont notées, par exemple sur une échelle à trois niveaux (bon, acceptable ou besoin d’agir).
- Listes de substances : listes de VOLVO (S) – Noire (substances interdites), Grise (à éviter) ou Blanche (recommandées).
Outils d’amélioration (synthèse)
Normes.
L’APEDEC
L’Association professionnelle d’experts pour le développement de l’éco-conception a pour ambition de regrouper l’ensemble des experts français travaillant dans le domaine de l’éco-conception, qu’ils soient concepteurs, enseignants ou chercheurs.
Son principal objectif est d’offrir un espace de réflexion et de travail collectif sur les métiers et les pratiques liés à l’éco-conception afin de contribuer à en définir le cadre conceptuel, méthodologique et déontologique et à en promouvoir les bonnes pratiques, notamment :
– en intervenant lors des débats ou colloques liés à la qualité écologique des produits,
– en développant différents outils de sensibilisation, de veille et de formation.
www.apedec.org
- Normes nationales ou internationales : FD X30-310, ISO TR 14062.
- Normes internes d’entreprises : définitions, principes généraux, préconisations.
Guides ou recommandations
Recommandations pour l’équipe projet.
- Guides généraux : guide de l’Ademe « 90 exemples d’éco-conception ».
- Guides internes d’entreprise : Philips, « Point of no return ».
Check-lists
Listes de questions permettant d’imaginer des voies d’amélioration.
- Eco-Wheel (H. Brezet, TU Delft).
- Product Improvement Matrix (AT&T).
Logiciels.
- DfE (Design for Environment).
- DfD (Design for Disassembly).
- DfR (Design for Recycling).
Face à une telle profusion, la question qui vient à l’esprit est : quel(s) outil(s) choisir ? En bonne maïeutique, on répondra à cette question par… une série de questions, à se poser à chaque étape :
- qui utilisera l’outil et pourquoi ?
- de quelles informations aura-t-il besoin ? en dispose-t-il à cette étape ?
- dispose-t-il des compétences nécessaires ?
- quels résultats sont attendus ? sous quelle forme ?
- ces résultats seront-ils exploitables par l’intéressé ?
LA MISE EN PLACE D’UNE VEILLE ENVIRONNEMENTALE TECHNOLOGIQUE ET REGLEMENTAIRE
EN RÉSUMÉ, L’ÉCO-CONCEPTION IMPLIQUE.…
• Une relation plus étroite avec ses fournisseurs (co-conception).
• Une mobilisation de tous les services concernés : bureau d’études, marketing, achats, méthodes, industrialisation… (concurrent engineering).
• Une sensibilisation environnementale de tout le personnel.
• Une démarche d’amélioration continue.
• Une veille environnementale technique et réglementaire.
• 80 % des nuisances d’un produit sur son cycle de vie y sont déterminées,
• 90 % des coûts y sont engagés,
• 10 % des dépenses y sont réellement effectuées.
La mise en place d’une démarche d’éco-conception permet à une entreprise :
• d’améliorer son image de marque,
• de réduire ses coûts,
• d’améliorer la qualité de ses produits,
• de responsabiliser son personnel,. d’innover.
La veille technologique peut être assurée par l’acheteur pour les questions amont, par les concepteurs pour l’innovation, par le marketeur pour le suivi des concurrents. La veille réglementaire peut être assurée par le service environnement ou le service juridique. Internet est un outil précieux dans tous les cas de figure, et même un consultant peut parfois s’avérer utile ! L’efficacité de cette veille est essentielle : l’apparition de technologies de rupture est fréquente sur les procédés énergivores ou polluants, et elles constituent à la fois des opportunités et des menaces si les concurrents les adoptent les premiers.
Citons en vrac la catalyse enzymatique et les solvants supercritiques en chimie fine et en agroalimentaire, les vitrages clairs peu émissifs et à faible facteur solaire dans le bâtiment, l’éclairage par diodes électroluminescentes blanches à 95 % d’efficacité lumineuse, etc.
La veille doit bien sûr porter également sur les données environnementales des process amont, aval et concurrents.
CONCLUSION ET PERSPECTIVES
La diffusion de la démarche d’éco-conception se heurte à divers obstacles qui devront être abordés chacun à leur niveau :. l’incompréhension ou la méconnaissance de certains enjeux par les décideurs (réglementation, opportunités concurrentielles, baisse de coûts),. la perception d’une opposition entre l’éco-conception et la logique commerciale,. l’insuffisance de connaissances, le manque de savoir-faire,. le manque de consensus dans les méthodes d’évaluation environnementale,. le manque de normes et de guides de conception,. les nombreuses incertitudes sur les acteurs concernés, les échelles temporelles, l’évolution des technologies, l’économie des filières de fin de vie.La réglementation évoluant inéluctablement dans le sens de l’éco-conception2, les industriels ont enfin tout intérêt à réagir de manière proactive, en anticipant les exigences environnementales et en assurant une veille sur les techniques permettant d’y parvenir au moindre coût.
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1. ADEME : Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie.
2. Plusieurs directives européennes récemment adoptées désignent le producteur comme responsable de ses produits en fin de vie : directive VHU 2000/53/CE (traitement des véhicules hors d’usage). Directive DEEE 2002/96/CE (traitement des déchets d’équipements électr(on)iques, ou règlemente l’emploi de certaines substances : directive LSD 2002/95/CE (limite de l’emploi de substances dans les équipements électr(on)iques. Une autre directive sur l’éco-conception des produits électr(on)iques est en préparation : directive EUP (Energy Using Products).