L’École des Ponts ParisTech, acteur majeur de la mobilité intelligente dans la smart city de demain
Présentez-nous le MS Ingénierie et Management des Smart Cities.
Thierry Simoulin : Lancé en 2015, le MS propose 350 heures de formation continue, une semaine par mois en alternance aux Bac+5. Nous avons voulu reproduire l’écosystème de la création de la ville, tant avec la soixantaine d’intervenants, professionnels de collectivités et d’entreprises, qu’avec les élèves, ingénieurs, architectes urbanistes et profils de type école de commerce ou sciences politiques.
Le programme est construit sur 3 briques principales : analyse de l’existant (analyse territoriale, analyse des usages et gouvernances), ingénierie (description de l’ensemble des systèmes urbains – eau-assainissement, énergie, logistique-déchets, mobilité et leurs interactions, systèmes d’informations et data) et management des projets urbains & nouveaux modèles économiques.
Nous avons introduit du design thinking pour mettre l’usager au centre des méthodes de conception et nos élèves mettent en oeuvre sur le terrain le contenu des modules enseignés dans le cadre de Descartes 21, démonstrateur industriel de la ville durable de l’Epamarne (Établissement public d’aménagement de Marne-la-Vallée).
Le format s’adapte parfaitement à l’actualité des entreprises et permet d’adresser les problématiques les plus récentes, d’où une formation très dynamique.
Qu’en est-il du MS Smart Mobility — Transformation numérique des systèmes de mobilité ?
Olivier Haxaire : Délivré conjointement par l’École des Ponts ParisTech et Telecom ParisTech, le MS est axé sur les systèmes de mobilité et leur transformation par le numérique. Il vise à former des étudiants à même de diriger des projets complexes et transverses de mobilité en comprenant les enjeux et problématiques des experts métiers et en orientant et intégrant leurs contributions au projet.
La formation, délivrée en anglais, se déroule une semaine par mois sur 11 mois, suivie par une thèse professionnelle de 4 à 6 mois. Elle est délivrée par un réseau d’intervenants de premier plan, tant enseignants-chercheurs qu’experts de la mobilité intelligente.
Nous avons la chance d’avoir une première promotion 2017⁄18 très diverse, avec des étudiants en poursuite d’étude ou en reprise d’étude, venant du monde entier et issus en majorité de la filière ingénieur et quelques-uns d’école de commerce. Cela en fait la richesse.
En quoi l’optimisation des réseaux urbains est-elle la condition préalable à la construction d’une ville durable et intelligente ?
T.S. : La smart city est le résultat de deux tendances concomitantes : la transition écologique et la transition numérique. S’agissant de la transition écologique, Le Grenelle de l’environnement a donné la nouvelle direction du développement durable. L’organisation en économie circulaire des différents systèmes urbains nécessitait une remise à plat.
En effet, leurs échelles temporelles, géographiques, les systèmes de gouvernance diffèrent en fonction des recoupements administratifs entre la carte des communes et les divers syndicats. Il s’agit également de travailler sur le management pour faire évoluer les logiques de silos vers plus de transversalités pour une meilleure performance environnementale des projets urbains.
Sans oublier la sensibilisation du grand public sur les modes de consommation et leur impact sur l’environnement.
La révolution numérique, avec le BIM et la data, a eu un impact majeur sur les méthodes de travail dans le bâtiment, avec davantage de collaboration entre les diverses parties prenantes, de la conception jusqu’à l’exploitation des bâtiments.
Avec les nouveaux services sont nés les nouveaux usages et beaucoup plus d’interactions et de création de données de la part des usagers, générant de nouveaux modèles socio-économiques, type Uber. Le numérique doit être un moyen de soutenir ces nouveaux usages pour impliquer les citoyens dans la création d’un système urbain durable, optimisé avant tout au niveau environnemental pour des villes plus vertueuses.
Quels sont les grands enjeux actuels en termes de mobilité intelligente ?
O.H. : La mobilité intelligente participe d’une transformation en cours, profonde bien qu’encore récente, de la notion de transport classique vers la notion de services de mobilité multimodaux, de porte à porte. C’est ce que l’on observe notamment avec les systèmes d’information multimodaux et les plateformes de VTC, d’autopartage ou de covoiturage, dont le développement a été impulsé par l’apparition des smartphones et de l’internet depuis moins de 10 ans.
La mobilité évolue vers un usage locatif à la demande, avec la « mobility as a service » qui outre l’information voyageur multimodale fournit l’accès à tous les services de mobilité sur un territoire avec un possible paiement forfaitaire (Whim en Finlande).
La notion même de propriété sera transformée par les voitures autonomes : que signifie être le propriétaire d’un véhicule conduit par un robot en termes de responsabilité civile ? Le développement de transports intermédiaires à l’initiative d’opérateurs privés ou d’autorités publiques, entre le véhicule individuel et le transport collectif de masse, capable d’être modulés en fonction des besoins est aussi un enjeu majeur.
On peut ainsi citer les exemples d’une ligne de bus créée et opérée par CityMapper à Londres ou de Beeline à Singapour qui est un concept expérimental d’itinéraires adaptatifs de bus ; les nouvelles routes étant activées en fonction de la demande et les routes existantes pouvant évoluer au fil du temps. Ces nouvelles solutions sont rendues possibles par l’analyse de données massives et la technologie mobile.
On voit ainsi apparaître le « On-demand mass transit » — transport collectif à la demande, perçu comme une application possible des flottes de véhicules autonomes dans le futur.
De nouveaux services comme le « Pay as you drive » qui pourront venir moduler le coût de l’assurance ou de la location longue durée de véhicules sont fondés sur l’analyse des données d’utilisation du véhicule connecté, avec les questions de protection de la vie privée et de cybersécurité que cela implique.
Ces technologies vont dans le sens d’une connaissance toujours plus fine de notre mobilité avec en conséquence un impact sur la tarification des services. Elles modifieront aussi l’aménagement de l’espace urbain, en ouvrant les possibles sur une réutilisation optimisée des espaces libérés par les nouveaux modes et services de mobilité.
Quel est l’impact du véhicule électrique sur la mobilité et la ville intelligentes ?
T.S. : Silencieux et moins polluant en ville (la pollution est déportée sur les lieux de fabrication), le véhicule électrique contribue à un plus grand confort urbain. Mais son impact sera réellement démultiplié avec la dimension autonome qui va transformer la ville : plus besoin de parking devant chez soi, la voiture vient nous chercher quand on a en besoin, ce qui libère un espace public considérable pour d’autres usages.
Par ailleurs, le sujet de la charge est crucial pour les systèmes électriques urbains : les avancées en matière de stockage pourraient permettre d’utiliser les véhicules électriques pour stocker les énergies renouvelables et les utiliser au moment opportun. Grâce à l’information prédictive et à l’intelligence artificielle, il devient possible de gérer la flotte de batteries connectées à des fins d’optimisation de la consommation d’énergie en milieu urbain.
Issy-les-Moulineaux a ainsi mis en place un démonstrateur de smart grid opérationnel depuis 2017 qui réutilise les batteries de seconde vie (actuellement remplacées quand elles ont perdu 30 % de leur capacité) pour stocker l’énergie solaire produite par les bureaux aux alentours et l’utiliser au besoin.
L’étape suivante consisterait à utiliser les batteries en place dans les voitures. Les véhicules seraient ainsi connectés au réseau comme solution de stockage temporaire. Une perspective encore fictive, mais qui ne tardera pas à devenir réalité…