« L’École polytechnique, un refuge et un remède »

Dossier : ExpressionsMagazine N°671 Janvier 2012Par : Laurent Collet-Billon, Délégué général pour l’armement (DGA)

L’X ne faillit pas à la mis­sion que lui a don­née le légis­la­teur : elle donne à ses élèves une culture scien­ti­fique et géné­rale qui les pré­pare à deve­nir les cadres supé­rieurs de la nation. Cette réus­site, l’histoire en témoigne, est jalon­née d’exemples illustres de grands ser­vi­teurs de l’État, mili­taires ou hauts fonc­tion­naires, scien­ti­fiques émi­nents et grands indus­triels. Aujourd’hui, bien des choses ont chan­gé et l’X elle-même est en pleine évolution.

Un changement de contexte

Laurent Collet-Billon, Délégué général pour l’armement
© JÉRÉMY BARANDE/ÉCOLE POLYTECHNIQUE

Mais le monde n’est plus celui où se sont épa­nouis vos pré­dé­ces­seurs. Les défis qu’il vous réserve sont d’une autre com­plexi­té. En effet, le monde dans lequel vous évo­lue­rez n’est plus celui des inves­tis­se­ments éta­tiques consi­dé­rables, ni celui des grands chan­tiers indus­triels que la France a por­tés au len­de­main de la Seconde Guerre mon­diale. Les carac­té­ris­tiques de ce contexte nou­veau, vous les connais­sez : crise, mon­dia­li­sa­tion, désindustrialisation.

La crise à laquelle les grandes nations doivent aujourd’hui faire face siffle une fin de par­tie. L’État n’a plus les moyens de jouer le rôle moteur qui était le sien aupa­ra­vant, en spon­sor unique de grands déve­lop­pe­ments technologiques.

La mon­dia­li­sa­tion nous plonge dans le grand bain sans que nous ayons pris le temps d’en goû­ter l’eau. Elle nous expose à une concur­rence effré­née où nous lut­tons à armes inégales contre des acteurs éco­no­miques dont le modèle social très éloi­gné du nôtre conduit à des ren­de­ments bien plus éle­vés. Nous sommes confron­tés à une nou­velle élite indienne, chi­noise, dont les capa­ci­tés nous sur­prennent et nous dépassent.

Alors que des usines immenses, des cam­pus gigan­tesques fleu­rissent chez les mas­to­dontes du conti­nent asia­tique, les nations occi­den­tales souffrent du fléau de la dés­in­dus­tria­li­sa­tion, avec ses consé­quences dra­ma­tiques sur l’emploi.

Enfin, au-delà de la crise qui frappe nos États endet­tés, au-delà de la dés­in­dus­tria­li­sa­tion, se pose aujourd’hui le pro­blème de la redis­tri­bu­tion des menaces qui pèsent sur l’intégrité de notre pays et sur la sta­bi­li­té du monde. Alors quoi ? Faut-il bais­ser les bras et se résoudre au déclin ? L’École poly­tech­nique est à la fois un refuge et un remède pour ren­ver­ser la tendance.

Des acteurs de la société
Par sa for­ma­tion humaine et mili­taire, l’X veut faire de vous non pas des scien­ti­fiques froids ou enfer­més dans leur tour d’ivoire, mais des acteurs de la socié­té, éclai­rés et res­pon­sables, gui­dés par l’éthique, au ser­vice de la nation. Culti­vez cette ouver­ture qui vous est offerte ici. Vous avez connu la saine sélec­tion du concours répu­bli­cain qui vous a conduits à rejoindre ces rangs. Vous connais­sez déjà, dans ces mêmes rangs, l’émulation de cette pas­sion­nante confron­ta­tion avec vos cama­rades inter­na­tio­naux. Vous connaî­trez bien­tôt la com­pé­ti­tion mon­diale, dans laquelle vous por­te­rez haut votre devise et les cou­leurs de ce dra­peau auquel vous venez d’être présentés.

Un refuge

L’X est le creu­set des valeurs de la Répu­blique dans les­quelles nous devons pui­ser lorsque nous sommes en perte de repères. Les sym­boles de cette École bicen­te­naire – son dra­peau, sa devise, vos uni­formes – sont autant de signes intem­po­rels des valeurs répu­bli­caines qui doivent res­ter vos guides dans ce monde incertain.

Qu’est-ce qu’un ingénieur ?
L’ingénieur est celui qui conduit des pro­jets tech­no­lo­giques com­plexes. Il assoit sa légi­ti­mi­té sur une solide connais­sance scien­ti­fique qui lui per­met de conju­guer audace et maî­trise. Il sait qu’un pro­blème bien posé est déjà un pro­blème réso­lu et pren­dra soin d’examiner une ques­tion sous tous ses aspects (tech­nique, bud­gé­taire, calen­daire, contrac­tuel, juri­dique, inter­na­tio­nal, humain, indus­triel, poli­tique) avant de cher­cher à la résoudre.

Vous rece­vez ici les ensei­gne­ments qui feront de vous l’élite de demain. Je sais que seul le quart d’entre vous choi­si­ra d’intégrer un grand corps de l’État, mais je suis convain­cu que tous, où que vous soyez, vous sau­rez por­ter les valeurs de l’intérêt géné­ral. La France a choi­si de les pla­cer entre vos mains car vous êtes des savants res­pon­sables. Elle sait que vous êtes son poten­tiel scien­ti­fique. Elle croit en vous car vous êtes por­teurs d’un espoir renou­ve­lé dans le progrès.

La ques­tion de la place de l’École poly­tech­nique par­mi les autres éta­blis­se­ments d’enseignement supé­rieur à tra­vers le monde s’est posée avec fra­cas, notam­ment lors de la publi­ca­tion du désor­mais fameux clas­se­ment de Shan­ghai. Bien sûr, nous avons l’ambition d’augmenter la visi­bi­li­té de l’École poly­tech­nique, de son diplôme et de ses labo­ra­toires, à l’étranger. Mais cette course au clas­se­ment par­mi les grandes uni­ver­si­tés ne doit pas nous faire oublier les carac­té­ris­tiques his­to­riques de l’X qui lui donnent son iden­ti­té et son âme. Le minis­tère de la Défense est fier d’exercer la tutelle de l’X, car c’est par cette tutelle que l’X et ses élèves héritent des valeurs de la Répu­blique. Ces valeurs doivent être votre bous­sole pour évo­luer dans un monde sans repères.

Un remède

Présentation au drapeau de la promotion 2010
Pré­sen­ta­tion au dra­peau de la pro­mo­tion 2010, 15 octobre 2011.
© JÉRÉMY BARANDE/ÉCOLE POLYTECHNIQUE

L’X est aus­si un remède, car l’X est la matrice dont seront extraites nos élites de demain, celles-là mêmes qui don­ne­ront à la France les moyens de tenir son rang sur la scène inter­na­tio­nale, par l’innovation et la conduite de grands pro­jets. Un autre quart d’entre vous sera atti­ré par une for­ma­tion doc­to­rale, où le poly­tech­ni­cien, par sa curio­si­té uni­ver­selle, sa faci­li­té à remettre en ques­tion et à fran­chir les fron­tières entre les dis­ci­plines, contri­bue au rayon­ne­ment de l’esprit par l’innovation.

L’École poly­tech­nique vous offre un ter­rain d’expression par­ti­cu­liè­re­ment pro­pice : vous êtes au milieu des labo­ra­toires aca­dé­miques et indus­triels. Demain, le pla­teau de Saclay concen­tre­ra ensei­gne­ment, recherche publique et recherche pri­vée. De ce haut lieu de la connais­sance, nous atten­dons que germent les nou­velles idées qui per­met­tront à la France de res­ter à la pointe de l’innovation scien­ti­fique et tech­nique, fac­teur indis­pen­sable de la crois­sance. En effet, dans un monde de com­pé­ti­tion accrue, c’est la recherche scien­ti­fique qui déter­mi­ne­ra l’avenir de la France.

Les meilleurs ingénieurs

À l’heure où la France déplore son manque d’ingénieurs, vous entrez dans l’École qui forme ses meilleurs ingé­nieurs. Vous êtes les femmes et les hommes sur les­quels la France comp­te­ra demain pour asseoir sa pros­pé­ri­té. Vous êtes les por­teurs des inves­tis­se­ments de l’État et des entre­prises. Vous êtes les inven­teurs qui sau­ront gar­der une lon­gueur d’avance sur le pro­grès tech­no­lo­gique. L’École poly­tech­nique s’est enga­gée à par­ti­ci­per acti­ve­ment à la consti­tu­tion d’un consor­tium scien­ti­fique et tech­no­lo­gique de l’envergure du MIT, mais ce modèle ne doit pas nous faire renon­cer à ce qui fait la spé­ci­fi­ci­té de cette École, à ce qui fait la spé­ci­fi­ci­té d’un ingénieur.

Cher­cher tou­jours la voie de l’effort et du travail

L’ingénieur a sa place dans l’entreprise mais aus­si au sein de l’État pour reje­ter les fausses bonnes idées et sélec­tion­ner les vraies. Il y a aus­si sa place pour conduire, dans le cadre des mis­sions réga­liennes, des pro­grammes d’investissement.

Être ingé­nieur, c’est avant tout avoir les pieds sur terre, de la convic­tion et du cha­risme. Là encore, votre for­ma­tion humaine et mili­taire fait votre spé­ci­fi­ci­té, elle est conçue pour vous ouvrir sur le monde, pour vous ini­tier à l’exercice des res­pon­sa­bi­li­tés et au com­man­de­ment des hommes.

Un esprit renouvelé

Vous qui êtes aujourd’hui pré­sen­tés au dra­peau de l’École poly­tech­nique, voyez votre devise cou­sue de fil d’or : Pour la Patrie, les Sciences et la Gloire. C’est à vous qu’il revient de la faire briller dans le monde, en cher­chant tou­jours la voie de l’effort et du tra­vail. La France croit en vous et consacre un effort impor­tant pour finan­cer votre for­ma­tion d’excellence. Il faut vous en mon­trer dignes, en ces temps d’économies bud­gé­taires. Soyez-en fiers, soyez-en dignes, ne fai­blis­sez jamais, et por­tez haut votre dra­peau car il est celui d’un espoir renou­ve­lé en une ère de recon­quête de notre place dans le monde.

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