L’économie circulaire en France : des avancées et des enjeux qui persistent
Roland Marion, directeur Économie circulaire de l’ADEME, dresse pour nous un état des lieux de la question de l’économie circulaire en France. Économie de la fonctionnalité, Responsabilité Élargie des Producteurs (REP), recyclage, valorisation des déchets… il revient sur chacun de ces sujets et nous explique comment l’ADEME accompagne l’ensemble de ces parties prenantes. Rencontre.
Comment définissez-vous l’économie circulaire ?
L’économie circulaire est souvent définie comme l’économie qui préserve les ressources naturelles. Aujourd’hui, le principal enjeu de l’économie circulaire est de réussir à faire tourner la matière de manière à stopper l’épuisement des matières non-renouvelables, et même renouvelables. À terme, l’économie circulaire nous permettra de garantir un maintien de l’activité économique sans une pression non durable sur les ressources naturelles.
Très souvent, l’économie circulaire est opposée à l’économie linéaire que l’on résume ainsi « exploiter, produire, consommer, jeter ». Dans le contexte actuel, il est de plus en plus évident que ce modèle linéaire est de plus en plus obsolète. Au-delà, il nourrit à tort l’idée que le recyclage nous permettra de rentrer dans un monde circulaire. Or au regard de la croissance économique et démographique du monde, cela n’est tout simplement pas possible. Chaque jour, nous avons besoin de toujours plus de matières premières que la veille. Même si nous arrivions au taux de 100 % de recyclage, nous ne couvririons pas l’intégralité de nos besoins. Alors que le recyclage n’est clairement pas le seul levier à actionner pour rentrer dans une économie circulaire. Au sein de l’ADEME, nous considérons que cette dernière doit reposer sur trois piliers :
- La production, ou comment accompagner les entreprises afin d’adapter leurs modèles de production pour qu’ils soient plus circulaires, y compris par la sobriété ;
- La consommation ou comment accompagner nos concitoyens dans l’évolution de leurs habitudes de consommation pour qu’elles soient plus respectueuses d’un modèle circulaire ;
- La gestion des déchets, in fine, ou comment collecter, recycler et mieux valoriser les déchets.
Nous entendons de plus en plus parler d’économie de la fonctionnalité. De quoi s’agit-il ?
Dans notre économie actuelle, les modèles auxquels sont adossés la plupart des entreprises favorisent une production de masse et donc une durée de vie limitée ou une forme d’obsolescence des produits.
Nous essayons de proposer des modèles économiques alternatifs plus complexes autour de la notion de fonctionnalité. Ce modèle économique en émergence apporte aux entreprises engagées dans une démarche de développement durable une alternative crédible.
Au-delà, l’économie de la fonctionnalité promeut une nouvelle relation entre l’offre et la demande. Cette dernière n’est plus uniquement basée sur la vente de biens ou de services, mais plutôt sur une nouvelle forme de contractualisation autour des effets utiles ou bénéfiques, d’une offre qui va s’adapter aux besoins réels de l’utilisateur et d’une prise en compte des enjeux de développement durable. Par exemple, on passe de la vente d’un photocopieur, ou bien de la vente de pneus, à une offre de service pour le même service rendu. On inverse alors les intérêts économiques : mieux vaut privilégier la durée de vie au détriment de l’obsolescence.
L’économie de la fonctionnalité implique, par ailleurs, des transformations profondes des modes de production et de consommation : consommation sans propriété des biens, investissement stratégique dans les ressources immatérielles de l’entreprise (développement des compétences des salariés, management coopératif…), développement du réemploi et de la réparation des biens, revenus liés aux effets utiles, répartition équitable de la valeur entre les partenaires de l’offre, nouvelle gouvernance… Enfin, l’économie de la fonctionnalité implique aussi un nouveau référentiel pour le développement durable des territoires et conduit à la mise en place d’écosystèmes coopératifs territorialisés associant des entreprises, des collectivités et des associations citoyennes.
Comment l’ADEME accompagne le déploiement de l’économie de la fonctionnalité ?
Nous avons lancé plusieurs actions en ce sens. Dès 2017, avec le cabinet ATEMIS, nous avons travaillé sur une vision prospective de ce nouveau modèle économique à horizon 2050. En parallèle, nous prenons part à différentes actions autour du développement de ce modèle, avec l’institut européen de l’économie de la fonctionnalité et de la coopération (IE-EFC) et les clubs régionaux sur l’économie de la fonctionnalité.
En parallèle, l’ADEME accompagne les entreprises dans leur évolution vers ce nouveau modèle de production / consommation. Ces actions prennent notamment la forme de formation-action de dirigeants d’entreprise, projets individuels d’entreprise, séminaires de sensibilisation…
Plus récemment, en 2020, l’ADEME a lancé le programme de recherche-intervention pour le développement durable des territoires, Coop’ter (Territoire de Services et de Coopérations). Ce programme soutient le lancement de nouvelles dynamiques territoriales d’innovation, en se référant à l’économie de la fonctionnalité. Basé sur une approche de « recherche-intervention », Coop’ter a deux objectifs : la conversion opérationnelle des pratiques économiques dans les territoires et la transformation des cadres conceptuels et théoriques.
Quels sont les freins rencontrés ?
La bascule vers une économie de la fonctionnalité est vertueuse en termes d’éco-conception, de durée de vie, de relation entre le client et le fournisseur… Toutefois, c’est une démarche complexe à mettre en œuvre. Nous avons besoin d’entreprises pionnières prêtes à se lancer dans cette aventure pour expérimenter et explorer ce modèle économique afin d’avoir, in fine, un retour sur expérience qui puisse bénéficier au plus grand nombre. Au-delà se pose aussi la pertinence de ce modèle dans l’économie B2C, où le consommateur final à des exigences plus importantes qui dépassent le volet purement fonctionnel.
Qu’en est-il des filières à responsabilité élargie des producteurs (REP) ? Comment fonctionnent-elles et comment s’inscrivent-elles dans le concept plus large de l’économie circulaire ?
Les filières à Responsabilité Élargie du Producteur (filières REP) sont des objets économiques particuliers qui vont dépendre du droit français ou européen. Elles ont été construites autour du principe selon lequel un producteur qui met un produit sur le marché sait que ce dernier a vocation à devenir un déchet. Sur le principe de « pollueur-payeur », il doit donc assumer aussi une part de responsabilité dans la gestion du déchet qui sera généré par le produit qu’il met sur le marché.
En France, la très grande majorité des produits et des biens de consommation du quotidien sont visés par une filière REP. Concrètement, cela veut dire que le prix d’achat inclut une « contribution » qui est collectée par un organisme agréé par l’État et qui a aussi la responsabilité de répondre à un cahier des charges de l’État pour la gestion du déchet. Ces éco-organismes sont, désormais, responsable aussi de la circularité des produits mis sur le marché (réemploi, réparation, durée de vie par exemple).
Les premières filières remontent à 1992. Leur déploiement s’accélère avec la loi AGEC de 2020 qui prévoit la création de plusieurs nouvelles filières REP (articles de sport, bricolage, tabac, bâtiment…). Autrefois plutôt axées sur une logique de gestion de déchets, elles s’inscrivent dorénavant de plus en plus dans une logique de gestion de l’ensemble du cycle de vie des produits : l’écoconception des produits, la prévention des déchets, l’allongement de la durée d’usage (le réemploi, la réutilisation, la réparation), et la gestion de fin de vie des produits. Ces filières rencontrent évidemment des réticences importantes (un produit réemployé ou réparé est aussi un produit neuf invendu). Les principaux acteurs évoluent désormais très rapidement en ce sens, heureusement.
Dans leur déploiement, quels sont les principaux enjeux selon vous ?
Pour les plus récentes, il y a un enjeu de croissance. Par exemple, dans le monde du bâtiment, on estime à 46 millions de tonnes le volume de déchets produits. La filière va indéniablement avoir besoin de temps pour se structurer et atteindre le niveau de maturité des plus anciennes filières REP.
Il y a, en parallèle, une réflexion à mener sur le modèle des REP, qui est un modèle d’organisme de droit privé agréé par l’État et qui répond à une mission que l’on peut qualifier d’intérêt général. Ce modèle vient, en quelque sorte, percuter le modèle historique qui s’appuie sur les collectivités qui ont historiquement la compétence (et les financements liés à ces compétences, la fameuse TEOM, taxe sur l’enlèvement des ordures ménagères). Avec la REP, vont se poser des questions d’équilibre entre les différents acteurs : collectivités, opérateurs de traitement de déchets et opérateurs de filière REP.
Il y a aussi un enjeu au niveau de la modulation de l’éco-contribution en fonction de la qualité environnementale du produit. C’est une piste qui va permettre d’engager les producteurs vers des modalités de production plus vertueuses, à condition idéalement qu’elles soient aussi reprises au niveau européen.
En parallèle, la gestion et la valorisation des déchets restent un des leviers clés de l’économie circulaire. Comment appréhendez-vous ce volet au sein de l’ADEME ?
Face à la rareté croissante et l’épuisement des ressources, les tensions au niveau de l’approvisionnement énergétique et le changement climatique, la sortie du modèle classique « linéaire » de production et de consommation est une véritable urgence.
Dans ce cadre, l’État a confié à l’ADEME, au travers du Fonds Économie circulaire, la mission de mettre en œuvre la politique des déchets et, in fine, d’économie circulaire sur le terrain. Nous menons ainsi plusieurs actions historiques renforcées depuis l’entrée en vigueur de la Loi de transition énergétique pour la croissance verte du 17 août 2015 : aide à la connaissance, aide à la réalisation, aide au changement de comportement et aides aux programmes territoriaux afin de contribuer à l’atteinte des objectifs et ambitions de cette nouvelle politique déchets.
En parallèle, nous travaillons aussi sur le tri à la source des biodéchets, la prévention, le tri des déchets des activités économiques, la tarification incitative du service public déchets, le soutien à l’élaboration des plans régionaux de prévention et gestion des déchets…
De manière plus générale, nous ciblons aussi les entreprises pour les inciter à intégrer des matières recyclées, plutôt que des matières vierges, pour répondre à la nécessité d’une économie de la « seconde vie ».
Sur ce sujet, quels sont vos points d’attention ?
Au-delà de la performance de l’ensemble de la chaîne de valeur, nous accordons une attention particulière au plastique. Nous sommes face à un enjeu de sourcing, de caractérisation et de tri afin d’optimiser leur recyclage dans les usines de recyclage mécanique et chimique.
Sur les déchets ménagers, 30 % environ sont des biodéchets, une matière vivante qui peut être valorisée par exemple via la méthanisation. Cela représente un volume de 8 à 10 millions de tonnes qui peuvent être valorisés en énergie.
Sur l’ensemble de ces questions relatives à l’économie circulaire, où en est la France actuellement ? Quels sont selon vous les efforts qui doivent encore être fournis ?
S’il est difficile de nous positionner parce que les références d’analyse diffèrent d’un pays à un autre, en Europe, la France fait partie des leaders et des pionniers en matière d’économie circulaire. L’écosystème français, qui s’est très tôt emparé du sujet, est très dynamique. Il est composé d’entreprises de toute taille, de start-up et d’associations. Il est aussi très innovant et travaille sur des sujets à la pointe de la technologie comme la reconnaissance automatique de déchets…
À une échelle nationale, nous devons poursuivre nos efforts en la matière. Pour accompagner ce mouvement, nous travaillons à l’ADEME sur un indicateur de circularité pour identifier les leviers d’optimisation à actionner. Ce sera sans doute, dans les prochaines années, notre indicateur principal de gestion et de préservation des ressources.
Et pour conclure, quelles pistes de réflexion pourriez-vous partager avec nos lecteurs sur la thématique de l’économie circulaire ?
À une échelle « macro », une réflexion s’impose sur la croissance économique et du PIB au regard de la pression sur les ressources naturelles. Cela entraîne aussi une réflexion plus globale sur la consommation. Aujourd’hui, nous consommons tous et toutes à hauteur de notre pouvoir d’achat. Nous participons à cette pression en contribuant à la croissance, via nos achats. Aujourd’hui, ce coût prend en compte différents critères : l’exploitation, la main d’œuvre, le transport, la mise à disposition… Il me semble nécessaire aussi d’appréhender ce prix au travers de la rareté de la matière première.