L’éducation en charrette : enjeux et avenir
Dans cet article, il sera question de mettre en contexte la situation éducationnelle actuelle au Brésil. On verra comment la qualité de l’éducation offerte par le gouvernement – complètement gratuite et désormais appelée publique – à différents niveaux (école, lycée, université) – et celle de l’éducation, payante, offerte par des institutions privées sont à la base du mauvais fonctionnement de la structure éducationnelle brésilienne telle que vécue par les milieux modestes.
Les mécanismes politiques envisagés par le gouvernement Lula pour redresser le mauvais fonctionnement cité ci-dessus seront aussi mentionnés. Enfin, une initiative d’excellence réussie entre les centres académiques publics et ceux des entreprises sera revue.
L’éducation au Brésil mise en contexte
Le parcours de premier cycle du Brésilien est composé de huit années scolaires, obligatoires de par la loi, correspondant à la formation de base, plus trois ans de lycée. À la fin du lycée, et en l’absence d’examens nationaux comme le bac, les élèves sont aptes à passer les concours universitaires. Il n’y a pas de formation correspondant aux classes préparatoires françaises.
Comme point de départ à notre analyse, il est très parlant de faire une comparaison simple entre les curriculums scolaires et universitaires brésiliens et ceux d’autres pays. Prenons par exemple le moment pendant la formation où les élèves sont introduits à des techniques simples de dérivation et intégration. En France et en Allemagne, par exemple, ceci a lieu à peu près une année et demie avant le bac (âge moyen des élèves : 16 ans).
Au Brésil, par contre, les étudiants prennent contact avec les techniques d’intégration et dérivation, en règle générale, seulement en première année des parcours universitaires scientifiques (âge moyen : 18 ans).
Tous les ans depuis sept ans, le gouvernement promeut une épreuve nationale générale d’évaluation du cursus lycéen (Exame Nacional do Ensino Médio, ou ENEM). Les élèves pouvant se présenter à cette épreuve (de caractère non-obligatoire mais qui, toutefois, donne des diagnostics de plus en plus adéquats sur la scolarité de premier cycle au Brésil) sont ceux en dernière (11e) année scolaire. Elle est composée d’une partie objective (63 QCM exigeant très peu de connaissances formelles, telles la mémorisation de formules) et d’une composition d’une page. L’ENEM de l’année 2006, passé par plus de 2,7 millions d’élèves, apporte dans ses résultats une mauvaise surprise : les élèves issus des lycées publics ont une moyenne dans la partie objective inférieure à 35⁄100, tandis que ceux issus des lycées privés ont une moyenne de 50,5÷100 – moyenne qui, en soi, d’ailleurs, n’est pas excellente, étant donné le degré d’exigence, conçu pour ne pas être élevé, de l’épreuve. De toute façon, l’existence d’une différence importante entre l’éducation offerte par le système de premier cycle public et privé (qu’on essaiera d’expliquer dans ce qui suit) est flagrante.
Il y a un paradoxe fondamental dans le système éducationnel brésilien. Depuis deux décennies, les écoles et les lycées publics, autrefois lieux d’excellence et de formation première des élites nationales, ont été abandonnés à leur sort par le gouvernement. Depuis, la classe moyenne, dès qu’elle le peut, fuit la formation offerte par de tels lycées, lesquels accueillent alors des jeunes de milieux moins favorisés.
Pendant la même période de temps, l’université publique a subi l’expérience inverse ; cela peut en partie être compris par les « années de développement accéléré », qui ont fait de la formation de main-d’œuvre qualifiée et de la recherche appliquée les priorités gouvernementales. En parallèle, et en particulier depuis les années quatre-vingt-dix, la société a connu le boom de l’enseignement supérieur privé qui, en gros, absorbe les élèves refusés dans les universités publiques. Bien que beaucoup parmi ces établissements privés soient absolument sérieux et niches d’excellence (telle la Pontificia Universidade Catolica), une partie d’entre eux est devenu un marché de diplômes, n’exerçant pas, par exemple, la fonction « recherche », deuxième raison d’être des établissements de deuxième et troisième cycles, à notre avis.
La conclusion logique est triste : ceux n’ayant pas eu les moyens de payer pour une éducation de base de qualité n’arrivent pas à accéder aux meilleures formations de deuxième et troisième cycles, celles-ci perversement gratuites. Les politiques sociales visant à redresser ce problème seront discutées dans la section qui suit.
Une question pertinente pour les lecteurs de La Jaune et La Rouge concerne les fonctions sociales et économiques auxquelles le milieu universitaire brésilien prépare ses élèves ingénieurs. La formation, souvent pluridisciplinaire (dans les sciences et dans les cours obligatoires non-scientifiques), offerte par les Grandes Écoles telles qu’on les connaît en France, n’a pas d’équivalent au Brésil : « l’élite gouvernementale » est issue de plusieurs formations éparpillées dont, bien évidemment, le parcours d’ingénieur.
Les meilleurs élèves scientifiques sont, en règle générale, attirés par les formations en science appliquée, ce que l’on appellera désormais « cursus d’ingénieur ». La raison de cette préférence est facilement détectée : le pays, en voie de développement, ne peut que choisir d’investir en recherche appliquée, d’où l’injection de grandes sommes d’argent dans les laboratoires de recherche présents dans les facultés d’ingénieurs et, par conséquent, dans les cursus académiques de ce type.
L’élève diplômé du cursus d’ingénieur est bien accueilli, comme en France, dans plusieurs voies professionnelles, de la société de conseil à la finance et à la carrière académique.
L’éducation dans l’actualité de la politique
Le fait que le chef de l’État brésilien, M. Lula da Silva, soit d’origine modeste et n’ait pas de diplôme universitaire est très parlant dans la manière résolue dont il conduit son gouvernement, déjà au deuxième mandat, dans le domaine des politiques éducationnelles. Dans un premier temps, au début de son premier mandat, M. Lula da Silva a soutenu un programme instaurant des quotas d’élèves issus des milieux très modestes en école primaire et en lycée. Ceux-ci subissent notamment la plus forte déscolarisation pour problèmes économiques et sociaux. Ce programme, surnommé Bourse-École, attribue une somme mensuelle d’environ 5 euros par enfant fréquentant les cours de manière régulière aux familles dont le revenu moyen per capita par mois ne dépasse pas environ les 30 euros. Actuellement, plus de 5 millions de familles dans l’intégralité du territoire national en bénéficient.
M. da Silva a aussi montré de l’intérêt envers le deuxième et troisième cycles. En 2004, une série de mesures afin d’élargir le spectre socio-économique touchant à l’éducation universitaire a été mise en place. Son programme Pro-Uni distribue des bourses de survie et paye les frais de scolarité pour 108 000 élèves issus de l’enseignement public ayant été admis à l’enseignement supérieur (données du premier semestre de 2007). Ce système a, bien sûr, des défauts : dans une partie importante des cas, les élèves bénéficiaires sont admis dans des formations professionnelles offertes par des universités privées ; ainsi, à quelques exceptions d’excellence dans l’enseignement supérieur privé près, le Pro-Uni échoue dans le sens qu’il ne change pas de manière significative le spectre socio-économique des jeunes accédant à l’université publique.
La manière la plus efficace de s’attaquer à la démocratisation de l’enseignement supérieur public, à notre avis, et au-delà de la constatation évidente qu’il faut améliorer les écoles et lycées publics, est de considérer les quotas sociaux dans le processus d’admission. Une expérience innovatrice a été conduite en 2005 dans la prestigieuse Universidade de Campinas, dirigée par le gouvernement de l’État de São Paulo : les élèves issus des lycées publics ont reçu des points supplémentaires dans le processus d’admission. À la fin de la première année d’études, il a été constaté que la moyenne des 340 élèves concernés par le programme de quotas avait été supérieure à celle de leurs collègues pour 31 des 56 cours offerts par l’institution (7,9÷10 contre 7,6÷10 en médecine, par exemple, traditionnellement un cours très compétitif).
Partenariats public-privé
La recherche au Brésil est encore très axée sur les centres universitaires publics ; les grandes entreprises brésiliennes, gouvernementales ou pas, se tournent traditionnellement vers les partenariats fournissant la main-d’œuvre qualifiée existante dans les laboratoires universitaires.
Un exemple réussi est le partenariat entre Petrobras, l’entreprise pétrolière gouvernementale – qui aurait le titre d’entreprise de plus grande valeur de l’Amérique latine -, et le Tanque de Provas, la station de modélisation navale de l’Escola Politécnica, l’école responsable du « cursus d’ingénieur » de l’universidade de São Paulo. Le Tanque de Provas Numérico, avec son cluster de 120 microprocesseurs, est capable de simuler d’innombrables systèmes océaniques et de fournir des analyses hydrodynamiques de manière plus directe, rapide et économique qu’une station de modélisation navale avec des maquettes physiques.
La recherche conduite dans ce centre peut être directement utilisée par Petrobras, leader mondial en exploitation pétrolière dans les eaux profondes et ultra-profondes. Comme contrepartie, l’Université reçoit des financements pour investir en matériel et dans la formation de jeunes professionnels.