L’efficacité des organisations, une question de survie
L’organisation relève d’un tabou au sein de l’entreprise industrielle.
Elle est bien souvent la chasse gardée du management qui appréhende les réactions sociales à tout changement.
Pourtant, dès lors que des changements structurels menacent l’entreprise ou que les améliorations techniques plafonnent au sein de celle-ci, l’effort de pérennité ou d’amélioration de l’efficacité de l’organisation apparaît inéluctable.
Il entraîne de facto l’adéquation sous-jacente de l’organisation à un environnement et un marché en rapide mutation.
L’organisation, quelle organisation ?
S’il existe une notion dans l’entreprise qui soit au cœur de nombre de discussions et dont chaque acteur parle sans jamais en embrasser toute la complexité, qui soit au centre des préoccupations de tout manager, c’est… l’organisation. Mais de quelle organisation parle-t-on ? Celle représentée par l’organigramme ? Celle des réseaux informels de l’entreprise parallèle qui raccourcissent les circuits de décision ? Celle de ses processus, revigorée par l’évolution de la norme ISO 9 000 dans sa version 2000 ? Celle sous-tendue par les critères de rémunération des cadres, souvent en décalage par rapport aux objectifs de l’entreprise ? Celle des hommes et de leurs relations, dont le fragile équilibre repose sur les jeux de pouvoir et la disponibilité de l’information ? Celle, enfin, des systèmes de pilotage avec le reporting et la cascade de réunions déclinant la stratégie de l’entreprise jusque dans les ateliers ?
Les modèles d’organisation abondent, qu’ils relèvent du champ de la sociologie, de la théorie des organisations quand il ne s’agit pas du dernier modèle popularisé par tel ou tel cabinet de conseil.
Tel n’est pas le propos de cet article de faire une exégèse de ces différentes théories ou modèles, si ce n’est tout au plus d’en confronter un à l’expérience du praticien en matière d’organisation et partant, de réorganisation.
Ainsi, l’organisation1 dans le modèle de Celerant Consulting se conçoit comme une collection de quatre éléments étroitement imbriqués pour délivrer des résultats pérennes (cf. figure 1). Si l’organigramme et les réseaux formels figurent la partie émergée de l’organisation, les parties immergées en sont les processus, les systèmes de pilotage de la performance et les hommes.
Outre leur aspect social, les réseaux informels contribuent aussi de manière déterminante au fonctionnement de l’organisation.
L’organisation, un sujet tabou
Malgré l’enjeu économique, il est étonnant de constater que la création ou l’ajustement d’une organisation n’obéit absolument pas à des règles objectives. La part du subjectif et de l’individu est déterminante, quand il ne s’agit pas de répondre à des considérations politiques, industrielles, économiques ou autres. La plupart du temps, les entreprises abordent leurs problèmes organisationnels partiellement et dans le court terme. Intuition et leadership ne sauraient cependant se substituer à une approche systémique.
De fait, il n’est pas rare qu’un président ou un directeur général griffonne à la hâte sur un coin de table le modèle cible de son organisation à l’issue d’un déjeuner ou d’un dîner. La conséquence prévisible sur l’efficacité et la viabilité de celle-ci ne se fera généralement pas attendre. Un autre écueil tient à l’existence de vaches sacrées, une contrainte majeure ayant une incidence radicale sur la conception de l’organisation.
EADS illustre bien ce concept : l’émergence du groupe a répondu à une volonté des gouvernements et des industriels (Aérospatiale, Matra, DASA, CASA et BAé) d’opérer un regroupement dans l’industrie aéronautique européenne tout en préservant les intérêts nationaux. La composition des comités exécutifs et des directoires reflète la participation des entreprises nationales constituantes… au détriment de l’efficacité organisationnelle de l’ensemble.
Une question de synchronisation ou d’alignement
Une organisation peut être appréhendée comme un organisme biologique qui s’adapte en fonction des contraintes (stimuli) amenées par son environnement (milieu), tout en étant lui-même contraint par sa structure interne (composition). L’analogie peut être menée avec une organisation subissant la pression de son marché et de son environnement et régulant sa structure interne (son fonctionnement) dans les limites imposées par celle-ci (cf. figure 2).
La gageure de toute organisation devient alors d’adapter son fonctionnement en interne, et parfois même sa structure, au rythme du marché et de l’environnement. Le rythme de celle-ci est souvent plus lent que le rythme du marché. L’exemple de l’entité Sécurité Automobile de la SNPE(2) a montré récemment que les diversifications réussies dans des métiers connexes présentent un rythme plus rapide que le rythme nominal de l’entreprise. Elles répondent en effet à une demande émergente du marché et elles appellent en conséquence une organisation différente.
Une première difficulté naît de cette différence de rythme, tant il peut être difficile ou impossible à une entreprise industrielle de s’adapter suffisamment rapidement. À supposer qu’elle ne fasse pas preuve d’une myopie dans la lecture de l’évolution de son marché (par exemple Kodak avec les appareils numériques). Il suffit pour s’en convaincre de prendre le cas typique d’une société confrontée à une concurrence accrue sur le délai de livraison de ses produits et à une augmentation des modèles demandés par le marché : il y a fort à parier que les opérations industrielles (production, achats, livraison) n’arriveront pas à s’inscrire dans ce nouveau temps du marché. En particulier, l’effort d’investissement à court terme en ressources humaines et financières risque fort d’être rédhibitoire.
Une seconde difficulté tient à la reconnaissance de ce décalage de rythme et au nécessaire ajustement qu’il requiert. Il est symptomatique de constater à quel point le management de nombre d’entreprises peut se méprendre en proposant des solutions conjoncturelles aux problèmes stratégiques que sont les évolutions fondamentales du fonctionnement ou de la structure de l’organisation.
Quand faut-il remettre en cause une organisation ?
Il existe plusieurs situations qui devraient déclencher systématiquement une interrogation sur un éventuel décalage de rythme. La décision de faire évoluer l’organisation se prend généralement lors d’un redéploiement stratégique, d’un effort global de réduction des coûts, d’une reconception de processus, d’une intégration de la Supply Chain ou encore d’une réorganisation faisant suite à une acquisition ou une fusion. Un autre cas, plus rare car plus difficile à discerner, tient à la prise de conscience d’une dérive historique du fonctionnement de l’organisation sous l’effort des forces centrifuges du marché et de l’inertie de la structure organisationnelle.
Dans tous les cas, il s’agit d’aligner l’organisation avec ses contraintes externes, par la définition d’une vision et d’une mission tenant compte des caractéristiques de son marché, tout en tenant compte des contraintes internes de la structure. L’efficacité se mesure par l’écart d’alignement de l’organisation actuelle avec les contraintes extérieures. On peut ainsi visualiser une organisation comme une entité s’adaptant régulièrement à son marché et son environnement. Dès lors que ceux-ci évoluent significativement ou que l’on constate une dérive dans le fonctionnement, l’organisation s’adapte au travers de sa structure, de ses processus, de ses systèmes de pilotage de la performance ou de son personnel.
Comment rendre une organisation efficace ?
Une difficulté supplémentaire apparaît lors de l’alignement, c’est-à-dire de la synchronisation du rythme interne de l’organisation au rythme externe du marché et de l’environnement. Une méthode issue du conseil opérationnel3, développée et éprouvée à partir de projets d’organisation chez Alstom, SNPE, Aventis, Montell et Bayer, identifie cinq étapes majeures au travers desquelles se construit progressivement l’adhésion du management et du personnel.
L’analyse de l’organisation actuelle identifie avec les décideurs l’organisation cible (structure, processus, systèmes, personnes), le temps et les ressources nécessaires au moyen de questionnaires, d’interviews et de benchmarks.
La création de la vision et du cap définit la mission (sa raison d’être) et la vision (ce qu’elle veut être) de l’entreprise, tout le reste leur étant subordonné. Le cap ainsi défini guide l’entreprise lors du changement et son personnel s’y réfère en permanence.
La conception de la nouvelle organisation donne la structure de haut niveau (organigramme, processus, systèmes) alignée à la vision, la mission et aux caractéristiques du marché comme un hybride de plusieurs alternatives de conception. Par exemple, deux équipes de conception travaillent en concurrence, l’une selon un critère de performance industrielle et l’autre selon un critère de maximisation des commandes.
Bien que ces critères soient en général antinomiques, la convergence forcée de ces deux conceptions aboutira à une organisation équilibrée. Les choix de conception seront en particulier étayés et discutés, avec l’avantage d’amener une nécessaire clarté et adhésion au sein des équipes et de réduire les zones d’ombre et le non-dit qui prévaut souvent à la genèse des organisations.
Le choix du personnel repose sur une méthode originale focalisée sur la performance démontrée et le comportement qui atténue l’influence des émotions, de la politique et du poids hiérarchique. Elle privilégie la notion d’équipe dans l’affectation des rôles aux personnes plutôt que l’affectation de tel ou tel rôle au super-manager parce qu’il ou elle l’a toujours tenu.
La mise en œuvre et l’installation planifient le détail des actions de changement. Elles permettent d’assurer le bon déploiement et la pérennité de la nouvelle organisation en accompagnant le changement à tous les niveaux. Le paradigme cartésien des entreprises françaises en la matière a la vie dure et il n’est pas rare de s’arrêter à l’idée d’organisation en ayant dessiné les premiers niveaux. Or, comme l’a découvert récemment une division d’un grand motoriste européen, le fonctionnement de la nouvelle organisation ne sera viable que si elle a été présentée, discutée et confrontée au terrain. En un mot, uniquement si elle a été accompagnée.
L’entreprise étendue et les entreprises du savoir
L’entreprise industrielle consacre un modèle industriel vertical qui s’éloigne de l’actuelle entreprise étendue. L’industrie automobile préfigure ce type de nouvelle entreprise avec ses sous-traitants de rang 1 (partenaires) et plus. Dans cette entreprise, l’organisation se caractérise par une grande perméabilité avec le marché. La notion de client y est plus présente, le time to market devenant une variable stratégique orientant l’organisation.
L’entreprise s’organise autour de ses processus clés, de sa chaîne de la valeur et de ses relations avec le client. L’organisation s’aplatit et une structure matricielle ou plutôt pluridimensionnelle apparaît qui sous-tend toute l’activité. Les poids hiérarchiques s’estompent au profit d’un fonctionnement en réseau.
Cependant l’entreprise étendue ne constitue qu’une étape vers les entreprises du savoir4. Celles-ci recentrent les entreprises autour de leur cœur de métier, leurs activités ou compétences stratégiques, en organisant l’entreprise étendue autour d’un noyau central et d’un réseau de partenaires et sous-traitants sur les différentes étapes du cycle de vie d’un produit ou d’un service (conception, développement, production, livraison). Les services et l’immatériel deviennent les nouveaux éléments à gérer.
Dans ces nouveaux types d’entreprise, l’efficacité de l’organisation repose sur les mêmes éléments du modèle de Celerant Consulting. Le poids des processus et de la structure évolue notablement. Le système de pilotage de ces entreprises demande de la réactivité et la connaissance d’informations de la part des partenaires et des sous-traitants. La réactivité et le rythme intrinsèque de ces entreprises requièrent un ERP liant toutes les composantes de l’organisation et mettant instantanément à disposition toutes les données nécessaires à une prise de décision rapide.
Conclusion
L’efficacité d’une organisation industrielle n’a rien d’immédiat, elle demande une vigilance stratégique et opérationnelle. Plus que l’art ou l’intuition de son manager, elle se fonde sur une technique mettant en adéquation le fonctionnement de l’organisation à ses contraintes externes tout en bâtissant au fur et à mesure les conditions de l’adhésion de son personnel.
L’efficacité de l’organisation des entreprises étendues, voire des entreprises du savoir, obéit à des règles similaires si tant est que l’on s’intéresse à l’entreprise et à son réseau de partenaires et de sous-traitants.
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1. Selon la définition du dictionnaire, « la manière dont un ensemble quelconque est constitué, réglé ».
2. Cf. « La SNPE ou l’historique d’une mutation du public au privé », Philippe Chervi, Aeronautique Business, 27 juin 2002, n° 83.
3. Cf. « L’efficacité des organisations, une technique plus qu’un art », Philippe Chervi, Aeronautique Business, 26 septembre 2002, n° 86 ;
« Le défi de la réduction des coûts », Philippe Chervi, Aeronautique Business, 2 mai 2002, n° 79 ;
« Le conseil opérationnel, une révolution culturelle au quotidien », Philippe Chervi, La Jaune et la Rouge, novembre 2002, p. 35–37.
4. Le Conseil, Jean Simonet, Jean-Pierre Bouchet et al, Éditions d’Organisation, 2003.
Le site de Celerant Consulting est : http://www.celerant.cc