L’égalité des chances pour accéder à l’école
Votre article me passionne car il me rappelle ma scolarité. D’une part je suis issu de milieux populaires résultant de l’exode rural se retrouvant dans les cheminots et soumis à des philosophies contradictoires : catholique et communiste. D’autre part l’occupation amena mes parents à m’accorder une précarité de survie et à me retirer de l’école (je ne possède pas mon CEP)2.
Par la suite, les obstacles furent une mauvaise maîtrise de la langue et de l’arithmétique.
Pour effectuer des études ambitieuses, il convient de manipuler aisément et efficacement :
- un oral à partir d’une approche analytique rigoureuse des mots compliqués par des usages nuancés et courtois, bien au-delà de l’expression ;
- une orthographe académique qui aide les élaborations successives d’une pensée complexe ;
- la grammaire et la conjugaison, bases d’une compréhension approfondie des textes avec leur construction sujet-groupe verbal-objet.
À défaut, le collégien subit des blocages causés par des lacunes et par des erreurs dans son savoir, que ne compensent pas l’habileté à raisonner et à utiliser des notions abstraites. Il faut insister sur la complémentarité des connaissances multiples, littérature et mathématiques bien sûr, mais aussi histoire et géographie, physique et chimie, sciences naturelles et humaines, dessin et gymnastique… et conduite. Toutes ces connaissances permettent d’acquérir différents mécanismes de raisonnement d’un côté, et de l’autre, des comportements relationnels, lesquels vont se révéler indispensables à la réussite du lycéen et du bachelier.
Si l’appartenance à une élite repose sur des critères intellectuels, ceux-ci ne suffisent pas pour accéder à l’École polytechnique. Les épreuves du concours mettent en jeu des aptitudes fondamentales à travailler longtemps et sans faiblir, à se concentrer sur une tâche prioritaire (même fastidieuse), à réfléchir avant d’agir, à s’organiser sereinement en situation d’urgence, à présenter de bons résultats avec un temps et des moyens limités, à accepter les incertitudes…
Enfin la filière des grandes écoles, courte et structurée, réduit les coûts des études. Cependant elle représente un risque énorme en cas d’échec, d’autant plus que l’X demeure la seule institution où l’élève se trouve pris en charge et même reçoit une solde qui finance son installation et qui évite le surendettement. C’est pourquoi je dénonce le fatalisme du groupe des Y sur le désengagement de l’État du financement de l’École3.
Au niveau de l’X, les origines se traduisent par des trous culturels – non seulement en équitation, en escrime, en tennis, en golf, en solfège, en jeux de société, en façon de se tenir, de s’habiller, de se restaurer…, déterminés par l’environnement des promotions – mais aussi par une vision de l’administration, de l’armée et de l’entreprise par » le gros bout de la lorgnette » : fonctionnement des grandes directions, comptabilité, gestion des hommes, planification et stratégie, politiques commerciales et industrielles, achats (sont) autant d’inconnus.
Quelles approches des ZEP adopter ? En voici quelques illustrations :
- le directeur de l’école primaire me faisant entrer en classe de cinquième sans examen dans le cadre d’une filière de la ville de Paris ;
- le médecin traitant suggérant que je » fasse Polytechnique » (que, en 1947, je ne connaissais que par des clichés irréalistes) ;
- le censeur du lycée m’inscrivant à Saint-Louis dès la première ;
- le professeur de physique en Math Spé s’adressant à la SNCF pour m’acheter quelques livres ;
- une jeune fille – ma femme maintenant – et des concours non liés à des groupes (sectes…) m’orientant dans l’équilibre socioprofessionnel entre des convictions et des obligations.
1. » Tremplin, pour une plus grande égalité des chances « , in La Jaune et la Rouge, n° 578 d’octobre 2002.
2. Habitant Paris durant l’occupation, les parents de C. Jouis ont cessé de l’envoyer à l’école, de 1941 à 1944, pour des raisons de sécurité.
3. C. Jouis se réfère au 2e paragraphe du compte rendu de l’Assemblée générale du Groupe des Y, qui s’est tenue le 23 mai 2002 et dont le texte a été publié dans le n° 578 d’octobre 2002 de La Jaune et la Rouge.