L’électricité : des défis immenses, des raisons d’espérer
En Afrique, le mot “électricité” évoque souvent pour le client coupures, cherté et mauvaise gouvernance, voire simplement absence. Les producteurs sont en quasi-faillite. Une prise de conscience politique, les progrès technico-économiques dans les énergies renouvelables, la gestion des réseaux, les paiements automatisés et l’apport de capitaux font penser que la situation va sensiblement s’améliorer.
Confort ? Modernité ? Puissance ? En Afrique subsaharienne, le mot « électricité » évoque le plus souvent coupures, cherté et mauvaise gouvernance, voire simplement absence, car des centaines de millions d’habitants n’y ont pas accès.
De fait, le service électrique est le plus souvent cher, défaillant et réservé aux urbains. Il est pourtant essentiel au développement économique et à la fourniture de services aujourd’hui de base comme l’éclairage, la télévision, le téléphone portable et Internet.
Malgré la diversité des situations, des caractéristiques communes se retrouvent et permettent de lister les raisons des difficultés des secteurs électriques subsahariens, et les raisons d’espérer une amélioration.
REPÈRES
Il est délicat de tenir des propos généraux sur l’Afrique subsaharienne tant elle est multiple.
Certains pays ont du pétrole (Nigeria, Angola), du gaz (Nigeria) ou du charbon (Afrique du Sud).
D’autres ont un potentiel hydroélectrique (bassins du Congo, du Zambèze, du Nil) ou géothermique (Rift est- africain) immense.
Quelques-uns ont du vent (côtes, vallée du Rift). Tous ont du soleil, propice au solaire à concentration en zones désertiques et au photovoltaïque partout.
Le PIB moyen est de 3 300 dollars par habitant : 18 000 dollars au Gabon, 580 dollars en Centrafrique. Le taux moyen d’accès à l’électricité est de 35 % : 5 % au Soudan du Sud, 100 % à Maurice.
DES COÛTS DE PRODUCTION ET DE DISTRIBUTION ÉLEVÉS
Rares sont les systèmes électriques nationaux de plus de 2 000 MW. Dans ces conditions, en dehors de l’hydroélectricité, les parcs de production sont constitués de petites unités, le plus souvent thermique diesel. Les centrales diesel les plus efficaces produisent à 13–17 c€/ kWh (pour un baril à 40–100 dollars). Les coûts de production d’EDF dans les DOM ne sont pas plus bas (24 c€/kWh en moyenne en 2013).
“ Un abonné burkinabé consomme 3,8 fois moins qu’un Français ”
Les coûts de distribution sont également très élevés : un abonné burkinabé consomme en moyenne 3,8 fois moins qu’un Français. La densité de la consommation, exprimée en kilowattheure par mètre de réseau, y est 2,4 fois moindre, ce qui n’est pas anodin quand on sait qu’en France le coût des réseaux compte pour la moitié de la facture hors taxes.
DES PERTES TECHNIQUES ET NON TECHNIQUES IMPORTANTES
Le continent connaît des taux importants de pertes, techniques (effet Joule, pertes de transformation) et surtout non techniques (compteurs défectueux, mauvaises estimations, fraudes, avec souvent la complicité de l’agent chargé de la relève du compteur). Les rendements moyens des réseaux se situent entre 75 % et 80 %.
À ces pertes s’ajoutent des impayés car le taux de recouvrement dépasse rarement 90 %, les États et administrations publiques étant souvent les plus mauvais payeurs.
Dans un pays d’Afrique centrale, où le rendement est de 53 % et le recouvrement de 86 %, seule 46 % de l’électricité produite est payée.
DES OPÉRATEURS ÉLECTRIQUES EN FAILLITE
Dans ce contexte, les tarifs doivent être élevés pour assurer l’équilibre économique du secteur. C’est le cas au Sénégal, où le consommateur résidentiel paye le même prix qu’en France (16 c€/kWh). Le PIB par habitant y étant vingt fois plus faible, l’addition y paraît plus salée.
“ Le taux de croissance du nombre d’abonnés est souvent à deux chiffres ”
Pourtant, ces tarifs sont insuffisants pour couvrir les coûts. L’électricité est ainsi souvent subventionnée, soit que les distributeurs ne portent pas la charge des investissements, soit qu’ils bénéficient directement de subventions d’exploitation ou à l’achat de combustible.
Malgré ces subventions, qui posent la question de leur justification sociale dans des pays où la majorité de la population n’est pas électrifiée, beaucoup d’opérateurs électriques sont en quasi-faillite, à quelques exceptions près (au Kenya, à Maurice).
Très peu sont en capacité d’emprunter sur leur propre bilan, ou même de signer un contrat d’achat d’électricité avec un producteur privé, sans la garantie de l’État.
UNE FRACTURE URBAIN-RURAL
L’électrification apporte de nombreux bienfaits en termes de connectivité (télévision, radio, téléphone, Internet), d’économies en piles et pétrole lampant, d’opportunités économiques (transformation de produits agricoles, artisanat et services divers), de santé (vaccins conservés) ou d’éducation (écoles et foyers éclairés).
DES AIDES D’ÉTAT IMPORTANTES
En 2012, au pire de la crise énergétique sénégalaise, la Senelec a perçu, en plus de ses recettes de ventes de 418 millions d’euros, 180 millions d’euros de subventions d’exploitation, soit 5 % du budget de l’État, sans compter les investissements consentis par l’État rétrocédés gratuitement à la Senelec.
Elle est en général rentable à l’échelle de la société, en considérant les dépenses substituées comme des bénéfices. Elle reste cependant un investissement à rentabilité financière faible et très différée si les tarifs sont alignés sur le milieu urbain.
Cela justifie soit l’invention de nouveaux modèles, soit l’intervention des pouvoirs publics pour financer, par des prêts subventionnés, tout ou partie des investissements d’électrification rurale de la même manière qu’elle s’est faite en France, et continue de se faire, au moyen de subventions croisées, de l’urbain vers le rural.
Malgré les faibles capacités d’investissement des opérateurs, le taux de croissance du nombre d’abonnés est souvent à deux chiffres : au Kenya, il est passé de 1,5 à 3,6 millions entre 2010 et 2015, soit un taux moyen de 20 % par an. Toutefois, l’augmentation de la population fait que, si le taux d’accès augmente, le nombre de personnes sans électricité augmente aussi.
UNE GOUVERNANCE DÉFAILLANTE
L’Angola est riche en pétrole. © LUKASZ Z / SCHUTTERSTOCK.COM
Subventions publiques, tarifs insuffisants, et souvent indifférenciés entre petits et gros consommateurs, lutte inefficace contre les pertes, État mauvais payeur, retards dans la réalisation de projets de production stratégiques, tutelle défaillante des opérateurs électriques, l’échec du secteur n’est pas que le constat de l’insolubilité d’une équation technico-économique, c’est aussi une question de gouvernance.
Pourtant, le continent a des atouts et il y a des raisons d’espérer.
L’ÈRE DU RENOUVELABLE
Les énergies renouvelables deviennent compétitives. C’est vrai depuis longtemps pour l’hydroélectricité, et depuis peu pour le solaire et l’éolien, à plus forte raison en Afrique où les coûts de production thermique sont plus élevés qu’ailleurs.
Au Sahel, les projets solaires publics, financés aux taux d’intérêt habituels (le FMI recommande souvent des taux inférieurs à 2 % sur vingt ans), sont compétitifs par rapport au thermique. Les projets privés, aux taux moins favorables, le deviennent.
Le Cap- Vert, idéalement situé sous les alizés, est le deuxième pays éolien au monde après le Danemark (24 %).
DE L’INTÉRÊT DES INTERCONNEXIONS
GÉOTHERMIE
Au Kenya, la production géothermique a triplé entre 2008 et 2013, devenant la première source (44 %). Elle consiste, dans les zones volcaniques sismiques, à puiser, à quelque 2 000 à 5 000 mètres de profondeur, de l’eau naturellement chaude et sous pression pour alimenter des turbines à vapeur.
La demande est en forte croissance (+ 5 % par an) et la construction d’interconnexions électriques à haute tension fait émerger des systèmes à l’échelle régionale (Southern African Power Pool, Eastern Africa Power Pool, West African Power Pool). Ces grands réseaux vont permettre d’une part des économies d’échelle, par la construction de centrales plus efficaces, d’autre part une meilleure répartition des ressources et enfin l’intégration des projets d’énergie renouvelables.
Le Burkina Faso importe ainsi aujourd’hui de l’électricité de Côte d’Ivoire, et demain du Ghana, et peut espérer arrêter ses unités diesel.
La Guinée et l’Éthiopie vont pouvoir développer leur potentiel hydroélectrique.
Des projets solaires et éoliens de quelques dizaines à quelques centaines de mégawatts, posant des problèmes de stabilité des réseaux en raison de leur intermittence, peuvent se connecter à ces grands réseaux.
DU SOLAIRE POUR TOUS, PARTOUT ?
L’électrification solaire, avec un stockage par batterie, est pratiquée depuis trente ans mais est restée marginale, le service après-vente, et en particulier le remplacement des batteries, posant souvent problème.
“ La demande est en forte croissance de + 5 % par an ”
Une révolution technologique et commerciale, permise par la baisse du coût des panneaux, le développement du mobile banking et l’éclairage à LED, se traduit par un début de massification de systèmes solaires individuels « connectés », qui offrent des services de base – éclairage, recharge de téléphone, radio – que le client paie au moyen de son téléphone et qui sont désactivables à distance en cas de non-paiement.
La facturation et le recouvrement se font de façon automatique, sans circulation d’argent liquide.
Des centaines de milliers de tels systèmes ont déjà été vendus en Afrique de l’Est, sous différents modèles économiques (achat à crédit ou abonnement à un service, l’équipement restant la propriété du vendeur).
Beaucoup d’opérateurs électriques sont en quasi-faillite, à quelques exceptions près comme au Kenya (ici, la centrale géothermique d’Olkaria). © JÉRÔME SAULIÈRE
LES SMART GRIDS AU SERVICE DE L’AFRIQUE
L’industrie de l’électricité attend beaucoup des smart grids : réduction des pertes grâce au comptage intelligent et à la mesure des flux en temps réel, optimisation de la gestion de la production, plus diversifiée et répartie, prévisibilité des productions éolienne et solaire, stockage, pilotage de la demande (report de certains usages aux heures creuses), etc.
En Afrique, étant donné le niveau des pertes techniques et les coûts de production actuels, les services offerts par les smart grids seront d’autant plus rentables.
VERS UNE MEILLEURE GOUVERNANCE ?
En 2004, la Kenya Power and Lighting Company (KPLC) restait sur trois exercices financièrement déficitaires.
“ 2012, année de l’accès universel à une énergie durable ”
La renégociation de son contrat d’approvisionnement en électricité, la mise en place d’une nouvelle formule tarifaire, avec ajustement mensuel automatique en fonction des prix du pétrole et de l’hydrologie, et une courte délégation de la gestion à une société canadienne ont permis un redressement spectaculaire : de 2004 à 2009, les pertes ont diminué de 20,5 % à 16,2 % et le nombre de clients a pratiquement doublé (de 0,8 à 1,3 million).
Depuis, KPLC est cotée à la Bourse de Nairobi et dégage des résultats positifs sans subvention.
Des producteurs privés investissent, ce qui permet au secteur public de se concentrer sur son programme géothermique, grand succès, et sur le développement de l’accès à l’électricité.
La remise sur pied, financière et opérationnelle, des opérateurs électriques est donc possible. C’est la condition sine qua non d’une amélioration de la situation.
UNE ATTENTION POLITIQUE UNIQUE
Le Cap-Vert, idéalement situé sous les alizés, est le deuxième pays éolien au monde. © MATTHIEU BOMMIER
Depuis quelques années, et particulièrement depuis 2012, année de l’accès universel à une énergie durable (Sustainable Energy for All), l’électricité en Afrique est l’objet d’une attention particulière : Fonds vert pour le climat, initiative américaine Power Africa (7 milliards de dollars en dons), annonces de François Hollande (6 milliards d’euros sur l’énergie en Afrique sur 2016–2020), fondation Énergies pour l’Afrique de Jean-Louis Borloo, etc.
L’augmentation de la taille des réseaux, le développement des technologies renouvelables et numériques et l’attention politique particulière actuelle laissent espérer un avenir plus brillant qu’aujourd’hui.
À condition de bien avoir en tête d’une part que la durabilité des systèmes électriques passe par la durabilité financière des opérateurs électriques et la bonne gouvernance, d’autre part que l’accès pour tous, qui demande des investissements lourds pour de très faibles quantités d’énergie, est un défi bien spécifique qui ne se résoudra pas en augmentant simplement l’offre d’énergie dans les réseaux électriques, et enfin que la transition énergétique exige des politiques volontaristes car les renouvelables, malgré leur rentabilité sur le long terme, ne se développent pas spontanément (plus complexes, plus capitalistiques que les projets thermiques).
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blueEthiopia
L’accès à l’électricité est un véritable enjeu pour le développement en Afrique. Bien des pays représentent aussi une véritable opportunité pour un développement qui court-circuite les générations émettrices de CO2 comme dans les pays plus anciennement industrialisés. Henri BOYÉ, membre du conseil d’administration de blueEnergy, a encouragé l’ouverture de cette petite ONG vers le continent Africain et en particulier vers l’Ethiopie avec le partenariat de la Fondation EDF et une ONG éthiopienne, MCMDO. Plus de précisions sur : blueEthiopia