L’encouragement des patrons des grandes entreprises
L’analyse des rencontres avec les chefs de grandes entreprises, organisées sous forme de petits-déjeuners, fait apparaître des points de consensus et des débats entre ces grands patrons. S’adressant à un public d’anciennes élèves des grandes écoles, leurs propos sont tournés vers les femmes cadres supérieures et leur accès aux fonctions de direction.
REPÈRES
L’Association Grandes Écoles au féminin (GEF), qui regroupe les associations d’anciens élèves de dix grandes écoles, X, Mines, Ponts, Centrale Paris, HEC, ESSEC, ESCP Europe, INSEAD, ENA et Sciences-po, auditionne depuis 2008, sous une forme à la fois dense et conviviale, les responsables des plus importantes entreprises françaises sur le thème de l’accès des femmes aux postes de direction.
LES CONSENSUS
Women matter
Tous ces patrons semblent avoir repris à leur compte le titre de l’étude McKinsey qui montrait la forte corrélation entre présence de femmes dans la hiérarchie des entreprises et performance.
Quand il y a des femmes, la discussion est plus riche
Il est, certes, encore question de justice ou d’équité : « Elles ont la même formation et la même ambition que les hommes ; il faut les traiter de la même manière. »
Mais il s’agit surtout d’efficacité : la diversité et la complémentarité des talents rendent l’entreprise plus riche et plus performante. « Quand il y a des femmes, la discussion est plus riche. »
De plus, les femmes représentent 51 % de la population et donc la moitié des talents : « On ne peut pas désespérer la moitié du corps social. »
Des freins spécifiques
Les méfaits de la cooptation
Le modèle dominant est aujourd’hui masculin et cette réalité entraîne des phénomènes qualifiés par certains de « clonage » qui handicapent les femmes dans l’accès aux postes de haute responsabilité qui se fait souvent par cooptation. On parle de « culture ambiante » et de « sélection naturelle ».
Tous reconnaissent l’existence de freins spécifiques aux femmes, même lorsqu’elles ont fait les mêmes études que les hommes et sont créditées, dans notre pays au moins, de la même compétence. La plupart sont prêts à changer cet état de fait même si on a entendu : « Je souhaite introduire une femme dans le comité exécutif : je ne serai pas populaire. » Le manque de confiance des femmes est très souvent cité en négatif, « elles ne sont pas convaincues qu’elles peuvent tout faire », mais aussi en positif : « elles se vantent moins », « elles revendiquent moins ». L’absence de réseau est évoquée par certains.
La recherche de l’équilibre
Les mères travaillent
La troisième étude GEF, « Regards croisés hommes-femmes », montre que 96% des femmes ayant un ou deux enfants, dont un de moins de trois ans, travaillent. Ce pourcentage reste à 85 % pour celles qui ont trois enfants et plus, dont un de moins de trois ans. De plus, leur temps de travail varie de manière non significative. Certains patrons ont même indiqué que la maternité est un prétexte des hommes.
Mais le principal point évoqué par les hommes interviewés est la maternité et l’équilibre recherché entre vie professionnelle et vie familiale. Les femmes le voient différemment, et certains patrons ont du reste parlé du cas de refus de promotion « parce qu’on ne peut pas faire ça à une femme qui vient d’avoir un enfant ». On peut donc se demander si la maternité est un frein, plus parce qu’elle modifie le regard de la société que pour ses conséquences réelles sur l’envie de travailler des femmes.
LES DÉBATS
Femmes intuitives ou wonder women
Tous ne pensent pas qu’il existe des spécificités féminines : « différencier les qualités des hommes et des femmes est sexiste », dit l’un. « Elles ont la même ambition et la même formation. Il faut les traiter comme des hommes », dit l’autre. « Les femmes ont aussi le goût du pouvoir. »
Efficace et pratique
À côté d’un vocabulaire positif mais assez stéréotypé, la femme cadre supérieur apparaît dans tous ces entretiens comme « efficace », « plus intéressée par la réalité », « avec un regard beaucoup plus pratique que les hommes », « claire sur les sujets où elle a des choses à dire » : « elles n’ont pas de temps à perdre, elles sont plus pragmatiques et plus directes ». Cette unanimité reflète sans doute un biais de sélection : une femme ne peut être cadre supérieur que si elle a cette efficacité.
Beaucoup, pourtant, parlent de qualités féminines : « des antennes plus larges et plus fines », « moins d’ego », « plus de sensibilité, un oeil plus aigu sur la nature humaine », « les verbes épanouir, équilibrer sont plus féminins », « les femmes raisonnent plus à long terme, elles ont un radar de prévision de l’avenir supérieur », « plus d’intuition, meilleure appréhension des situations ».
Les qualificatifs sont souvent vagues : « elles apportent beaucoup », « les discussions sont plus riches », « les femmes ont quelque chose d’important à apporter ».
Des réformes lentes ou rapides
Beaucoup soulignent la difficulté : « Ça prendra du temps. »
Les femmes raisonnent à plus long terme
Pour certains, l’évolution doit être rapide et s’appuyer sur des évaluations objectives d’indicateurs.
Pour d’autres, l’évolution doit être lente pour éviter les échecs visibles et se donner le temps de construire des viviers de femmes : « Ce sont les petites choses qui font avancer. »
Les mesures à prendre
Avis mitigés sur les quotas
Les quotas partagent. Certains sont réservés : « il ne faut pas isoler les femmes », « les quotas sont déresponsabilisant », « il faut éviter qu’on puisse dire : elle est là parce qu’elle est une femme ». D’autres pensent que les quotas sont la seule solution même si elle est difficile : « J’assume une discrimination positive. »
L’organisation quotidienne du travail est citée : « pas de réunion après 7 heures, ni de mail le vendredi à 23 heures », mais, somme toute, moins qu’elle ne le serait pour d’autres catégories professionnelles.
En revanche reviennent l’identification des hauts potentiels sur une fourchette d’âge plus large, la prise en compte des congés de maternité, la mise en place de congés de paternité, ou l’évaluation sur des critères objectifs. Si beaucoup insistent sur une impulsion donnée par le haut et notamment par les conseils d’administration, certains soulignent le rôle clé du middle management.
LE POINT DE VUE DES FEMMES
Les quelques femmes interrogées confirment globalement la vision de leurs homologues masculins. Trois femmes ont été reçues par GEF, avec des profils très différents : une philosophe, une ministre et une chef d’entreprise, les deux dernières anciennes élèves de nos écoles.
L’égalité n’existe pas
Un milieu mixte est plus créatif
Michela Marzano a peint un tableau assez sombre de la situation des femmes d’aujourd’hui : « Nous sommes en régression. L’égalité n’existe pas de facto. »
Elle constate que l’attitude des femmes est de plus en plus codifiée et qu’on leur demande de paraître et de contrôler plus que de savoir faire ou savoir être. La société leur demande une chose et son contraire : avoir de l’expérience sans présenter de signe de l’âge. Pour Michela Marzano, le clivage masculin-féminin sur les valeurs et les tâches est un piège. Mais, pour terminer sur une note positive, les enfants intègrent les valeurs et ni hommes ni femmes ne doivent culpabiliser.
Une société plus riche
Nathalie Kosciusko-Morizet (92) partage le pessimisme de Michela Marzano en constatant que Le Deuxième Sexe de Simone de Beauvoir reste d’une troublante actualité. Elle n’y voit pas de complot : la situation des femmes vient de motifs culturels et la cooptation favorise toujours les hommes.
Les L de l’X
Réseau de femmes autour des carrières professionnelles au féminin, de la promotion d’expérience professionnelle de femmes, et de la promotion des métiers scientifiques, les L de l’X organisent des conférences sur des sujets professionnels et des rencontres sur des thèmes variés. Elles promeuvent les études scientifiques dans les lycées et collèges et la mixité dans les entreprises par le biais de la participation à Grandes Écoles au féminin (GEF).
Sur la maternité, à rebours des clichés, elle évoque la culpabilité des enfants dont les mères ont arrêté de travailler pour les élever. Dans le débat sur les « qualités des femmes », elle prend très clairement le parti de ceux qui ne veulent pas parler de qualités spécifiques : « Les femmes sont aussi brutales que les hommes. »
Pour elle, souligner que la féminité est différente revient à considérer que la condition standard est celle de l’homme. Elle n’en plaide pas moins pour une plus grande mixité car un « milieu mixte est plus créatif ». La confrontation des vues émanant de sexes différents va générer une société non pas plus douce mais plus riche.
Un changement naturel
Clara Gaymard trouve bien réel le « plafond de verre », cet obstacle virtuel qui bloquerait l’ascension des femmes. Aux patrons qui s’opposent aux quotas sous prétexte que ce serait humiliant pour les femmes, elle oppose que « ce qui est humiliant est de ne pas pouvoir monter la marche ». Les femmes ont cependant moins de confiance en elles et craignent de ne pas être acceptées. Pourtant leur différence apporte quelque chose de plus. Clara Gaymard estime que, tant que la proportion de femmes dans les postes de dirigeants n’aura pas atteint 50 %, on reculera. Mais elle pense que dès que la priorité est donnée au changement, celui-ci devient naturel.
Ces vues de femmes confirment les statistiques. Leur énergie et leur engagement dans la lutte contre le plafond de verre sont un réconfort pour toutes les femmes.
UN ENJEU FONDAMENTAL
Les propos repris ici ne rendent évidemment pas toute la richesse et la finesse des propos, et le choix des citations reflète les centres d’intérêt de l’auteur. Au-delà du contenu, il est remarquable que tous ces grands patrons aient pris le temps de venir à ces conférences et de les préparer. Ce message symbolique fort encourage toutes les femmes, quel que soit leur niveau dans la vie des entreprises, à poursuivre leur vie professionnelle.
Ont participé à ces petits-déjeuners
Jean-Paul Bailly (La Poste), Henri de Castries (AXA), Pierre-André de Chalendar (Saint-Gobain), Louis Gallois (EADS), Clara Gaymard (General Electric), Henri Giscard d’Estaing (Club Med), Andrew Gould (Schlumberger), David Jones (Havas), Nathalie Kosciusko-Morizet (secrétaire d’État, à l’époque de l’entretien), Michel Landel (Sodexo), Jean-Bernard Lévy (Vivendi), Christophe de Margerie (Total), Michela Marzano (philosophe), Frédéric Oudéa (Société Générale), Patrick Pelata (Renault), Gilles Pélisson (Accor), Guillaume Pépy (SNCF), Benoît Potier (Air Liquide), Pierre Pringuet (Pernod Ricard), Baudoin Prot (BNP Paribas), Stéphane Richard (France Télécom), Augustin de Romanet (Caisse des dépôts et consignations), Jean-Philippe Thierry (AGF), Thierry de la Tour d’Artaise (SEB).
D’autres petits-déjeuners sont prévus.