L’énergie : Comment concrétiser la modernisation du continent
Le problème de la production et la distribution de l’électricité, comme le montre l’acticle précédent, est en voie d’amélioration. Dans un secteur équivalent, celui des télécommunications, l’Afrique a pu montrer sa capacité à sauter les étapes, comme celle de la téléphonie fixe. Ces développements nécessitent des emplois locaux et les gouvernements doivent accroître la formation pour créer les compétences nécessaires.
Dans un contexte mondial marqué par une faiblesse de la demande, l’Afrique se démarque : surcapacités au nord de la Méditerranée, sous-capacités au sud. En résultent des prix élevés – jusqu’à 300 €/MWh pour un groupe diesel sollicité en urgence contre 25 €/MWh sur le marché européen.
“ La croissance soutenue dont bénéficie le continent nécessite quantité d’électricité ”
Rien d’étonnant à cela : la croissance soutenue dont le continent bénéficie en moyenne depuis vingt ans et qu’il faut lui souhaiter pour l’avenir, nécessite quantité d’électricité, pour satisfaire les besoins des ménages – éclairage mais pas seulement – et ceux des entreprises, l’électricité irriguant tous les secteurs, bien au-delà de son poids direct de quelques pour cent du PIB.
REPÈRES
L’Afrique réunit cinquante-quatre pays très différents par leurs cultures, leurs géographies, etc. Toute généralisation est une simplification réductrice.
La puissance électrique installée en Afrique est en ordre de grandeur celle de l’Allemagne. Et 69 % de cette puissance se concentre en Afrique du Nord et en Afrique du Sud.
La puissance raccordée dans le reste de l’Afrique équivaut à celle du Portugal. Près de 65 % de la population n’a pas accès à l’électricité et ce chiffre peut dépasser 85 % en zones rurales.
UNE OFFRE ÉNERGÉTIQUE INSUFFISANTE
Alors que l’Afrique est dotée d’immenses ressources en énergie, elle ne bénéficie que de peu d’électricité. Non seulement l’offre est faible, mais elle n’a pas crû au rythme de l’économie.
Un paradoxe et un frein à la diversification souhaitée des économies. Si les choses n’ont pas changé assez vite, ce n’est pas faute d’un sentiment d’importance ni d’urgence présent chez la majorité des chefs d’État.
Ce n’est pas non plus faute d’argent : l’épargne mondiale est considérable, elle va de plus en plus vers l’Afrique, mais pas encore assez vers l’Afrique électrique.
Cela tient sans doute d’abord à la gouvernance mais cela pourrait changer.
INNOVATION ET COÛTS EN BAISSE
AVANTAGE AU SOLAIRE DOMESTIQUE
Par comparaison aux moteurs diesel, l’autonomie, la qualité de l’alimentation, mais aussi la réduction du bruit et du coût sont des facteurs importants du développement du solaire domestique. Une famille rurale qui passe d’un système d’éclairage à base de kérosène au solaire économiserait en moyenne 70 dollars par an, à raison d’un coût de 0,5 dollar par jour.
Les faibles densités de population augmentent les coûts de transport. Ce n’est pas nouveau. Ce qui l’est, c’est la baisse des coûts de production, baisse conjoncturelle des énergies fossiles, baisse structurelle des renouvelables en particulier de l’éolien et du solaire.
Ces deux énergies, qui faisaient figure de solutions de luxe pour pays riches il y a trois ans, ont vu leurs coûts chuter spectaculairement, d’un facteur cinq au moins pour le solaire. Au Maroc, de l’éolien a même été proposé à 28 €/MWh. Qui plus est, ces moyens peuvent être placés à proximité des lieux de consommation et éviter le coût de réseaux nationaux par des solutions de mini-réseaux ou hors réseaux.
Ce n’est pourtant pas la solution universelle. Il appartient à chaque pays de faire ses choix de mix en fonction de ses ressources, de sa vision de l’intégration régionale, de ses choix d’aménagement du territoire, de ses besoins, notamment pour satisfaire la demande permanente, dite « de base ».
Mais il reste que les renouvelables, l’hydraulique mais aussi le solaire, etc., en combinaison avec le gaz et le stockage, ont un rôle croissant à jouer.
LE MÊME DÉVELOPPEMENT QUE LE TÉLÉPHONE MOBILE ?
Le développement des télécommunications est un point de comparaison intéressant : secteur capitalistique, industrie de réseau, service intermédiaire et final.
Il illustre la capacité de l’Afrique à sauter des étapes, comme celle de la téléphonie fixe, pour aller directement vers des solutions modernes.
Si l’on pousse la comparaison, on peut imaginer l’émergence d’un système électrique fondé sur des solutions à la fois centralisées et décentralisées.
D’un côté, de grandes installations raccordées au réseau national pour alimenter les mégalopoles et les grandes industries, de l’autre des solutions décentralisées, mix d’énergies renouvelables, de stockage et de (bio)gaz, pour alimenter les sites isolés, les villages et villes moyennes, clé d’un aménagement harmonieux du territoire.
L’exemple ne vaut pas que pour cela. Il montre aussi qu’une offre compétitive sait trouver sa demande : des milliards d’euros y ont été investis, qui obtiennent leur rémunération dans un chiffre d’affaires dûment et librement payé – et même prépayé grâce au digital –, pour des montants de quelques euros par mois.
Les usages premiers de l’électricité ne requièrent pas davantage.
DE NOMBREUSES INITIATIVES PUBLIQUES
Il n’est pas un plan de développement qui ne donne une large part à l’augmentation des capacités électriques.
“ Il appartient à chaque pays de faire ses choix de mix en fonction de ses ressources ”
Une priorité, qui vise à répondre aux attentes des entreprises comme des populations, exaspérées par les coupures fréquentes ou l’absence d’électricité , sentiment repris par des mouvements de revendication tels que « Y’en a marre » au Sénégal.
Du Sénégal au Kenya, de l’Égypte à l’Afrique du Sud, les initiatives sont nombreuses. Elles vont du niveau local (les cliniques et les écoles, priorités du Mozambique ou du Kenya), au niveau national et au-delà : les pays osent l’échange international, source de spécialisation, d’économies d’échelle et de résilience, par exemple entre le Ghana et la Côte‑d’Ivoire.
APPORTER L’ÉNERGIE NÉCESSAIRE
Une dynamique positive est engagée : des mégabarrages construits de gré à gré et au pas de course par China Corporation au tissu de start-ups, africaines ou non, développant les solutions domestiques de leasing solaire prépayé, en passant par les appels d’offres internationaux pour des parcs renouvelables, des choses se passent.
Peut-on aller plus vite et plus loin ?
Alors que l’Afrique est dotée d’immenses ressources en énergie, elle ne bénéficie que de peu d’électricité.
© NATALY REINCH / FOTOLIA.COM
AMÉLIORER LA GOUVERNANCE
Il n’y a pas de solution universelle mais on peut repérer des modèles intéressants conciliant le rôle souverain des États et les mérites de la concurrence. On en trouve hors d’Afrique – au Chili ou au Pérou – et en Afrique – au Maroc ou en Afrique du Sud par exemple.
“ Répondre aux attentes des entreprises comme des populations, exaspérées par les coupures fréquentes ”
S’agissant des moyens de production, on observe le succès d’organisations fondées sur une concurrence non pas « par le marché » comme en Europe mais « pour le marché » : un État se donne un plan de développement à cinq ans intégrant un mix énergétique et lance des appels d’offres pour concrétiser ce plan, au mieux-disant technico-économique.
Les compétiteurs, des consortiums d’entreprises étrangères et locales, industrielles et financières, conjuguent savoir-faire technique et ancrage territorial.
Ils investissent avec le souci d’obtenir l’assurance raisonnable d’un profit raisonnable, tiré de la vente de l’électricité à un acheteur fiable, une société disposant de la garantie de l’État et éventuellement de celle de la Banque mondiale.
PLUS DE CONFIANCE ET MOINS DE RISQUES
Ce système de garanties est utile mais non suffisant. Pour que ces garanties tiennent lieu d’assurances et non de soutiens systématiques vite épuisés, il faut que les prix de l’électricité reflètent ses coûts.
DES INITIATIVES INTERNATIONALES
Les initiatives internationales se multiplient, à l’image du nouveau programme de la Banque africaine de développement, qui a fait de l’électricité sa priorité.
La liste est longue : programme SE4ALL de l’Onu, Electrifi de l’Union européenne, Power Africa des États-Unis, fondation Énergies pour l’Afrique portée par Jean-Louis Borloo, etc.
Si ce foisonnement d’initiatives paraît parfois décousu, elles peuvent aider à la mise en œuvre de programmes nécessairement nationaux en aidant à partager les meilleures pratiques de gouvernance, en soutenant financièrement les projets qui le nécessitent, et en sécurisant les investisseurs par le droit.
Sans surprise, pour que le producteur produise, il faut que quelqu’un le paye : soit un donateur (espèce rare), soit l’État (au budget serré), soit l’investisseur (à ses dépens), soit le client (usuellement).
Est-ce possible ? L’exemple des télécommunications suggère une réponse positive et on ne voit pas de bonnes raisons pour que les choses soient différentes pour l’électricité. Sans préjudice des politiques sociales et d’aménagement du territoire.
Avec à la clé un cercle vertueux : plus de confiance et moins de risques impliquent un capital moins cher et plus de création de valeur ; pour l’investisseur ils impliquent plus d’investissements et plus de croissance pour l’Afrique.
DE BONNES COMPÉTENCES REQUISES
La question des compétences requises vaut pour toute l’économie : c’est par une formation adaptée à ses besoins et par l’entreprenariat que l’Afrique saura traduire la croissance de sa population active en amélioration du niveau de vie, qu’elle saura réduire le chômage et tirer le profit du « dividende démographique ».
Le développement de l’électricité nécessite des emplois majoritairement locaux, pour la construction et l’exploitation des systèmes.
Les gouvernements doivent accroître la formation pour créer ces compétences locales. Les centres de compétence pour l’évaluation des ressources renouvelables dans les universités font leur apparition et il y a un nombre croissant de connaissances via des institutions d’experts africains.
La connexion de ces institutions peut faciliter le développement des atlas nationaux et la conception des politiques de déploiement spécifiques.
Le développement des télécommunications illustre la capacité de l’Afrique à sauter des étapes, comme celle de la téléphonie fixe, pour aller directement vers des solutions modernes. © DPREEZG / FOTOLIA.COM
ET LE CLIMAT ?
L’Afrique n’est pas responsable du changement climatique mais, ironie du sort, elle en sera la première victime. Elle a intérêt à s’y adapter, mais peut-elle aussi contribuer à le limiter ?
“ Pour que le producteur produise, il faut que quelqu’un le paye ”
Chacun comprendra que les pays africains aient pour priorité l’accès à une énergie compétitive pour accompagner leur croissance. Et jusqu’il y a peu des experts internationaux imaginaient pour 2030 une Afrique alimentée en majorité à partir d’énergies fossiles, éolien et solaire ne représentant guère plus de 10 % des capacités exploitées à cet horizon pour 5 % de l’électricité produite.
Les choses pourraient changer avec la baisse du coût des renouvelables – hydraulique et biomasse mais aussi géothermie en Afrique de l’Est, éolien et solaire – qui permet de dessiner des mix compétitifs plus diversifiés et moins émetteurs de CO2.
Le développement de systèmes économes en énergie dans l’industrie, les bâtiments et les transports devrait aussi y contribuer.
Et si ces solutions n’étaient pas toujours compétitives, souhaitons que le soutien international, promis à la COP 21, puisse se concrétiser et combler cet écart, par une solidarité bienvenue entre peuples et entre générations.
La COP 22, qui se tiendra cet automne au Maroc, donnera l’occasion de concrétiser ces engagements, en Afrique et pour l’Afrique.