L’engagement dans le bénévolat associatif
L’engagement dans le bénévolat constitue un enjeu vital pour le développement, voire la survie de nombreuses associations. Cet engagement est équivalent d’une tranche d’âge à l’autre : mais le taux observé en France est bien moindre que dans d’autres pays développés. Pour répondre à des besoins croissants, un effort pédagogique est à développer en direction des jeunes, par le système éducatif ; des adultes, en partenariat avec les entreprises ; des retraités, par l’accompagnement au moment de l’arrêt de la vie professionnelle.
Le bénévolat associatif en France en quelques chiffres
Chaque bénévole consacre en moyenne quatre-vingt-six heures par an à son engagement
Selon des chiffres tirés d’une importante enquête menée sous la direction de Viviane Tchernonog (CNRS-Matisse), le nombre de personnes engagées dans le bénévolat associatif serait d’environ 14 millions de personnes en 2005. Ce chiffre aurait progressé régulièrement de 3,8 % par an depuis 1999. Le taux d’engagement est donc de 28 % de la population de plus de 15 ans. Mais, contrairement aux idées acquises, le taux d’engagement est à peu près équivalent selon les tranches d’âge. Chaque bénévole passe en moyenne quatre-vingt-six heures par an dans son ou ses engagements (contre quatre-vingt-une heures en 1999). Ces chiffres positifs vont à l’encontre des propos sur » la crise du bénévolat » ou l’égoïsme des Français ! Il convient de noter toutefois que cette étonnante progression s’explique prioritairement par la progression du nombre des associations (70 000 créations nouvelles tous les ans, solde net estimé à + 35 000 par an) ; en moyenne, chaque association n’a donc pas plus de bénévoles. C’est en quelque sorte » l’offre associative « , considérable et très diversifiée, qui tire la progression du bénévolat. Mais ces chiffres restent en deçà de ce que l’on peut constater en Angleterre, aux Pays-Bas, en Allemagne, au Canada ou aux USA. Dans ces pays, les valeurs du bénévolat ne sont pas transmises seulement par la famille, mais aussi par l’école, l’université et l’entreprise.
Des besoins non couverts
S’engager dans le bénévolat : l’exemple des retraités
Les retraités ne sont pas surreprésentés dans la vie associative et le bénévolat. La totalité des 14 millions de bénévoles associatifs représente 28 % de la population française de plus de 15 ans. Dans la tranche 60–69 ans le taux de bénévolat est de 29 % environ ; dans la tranche des plus de 70 ans, 19 %.
Dans ce contexte globalement favorable, on pourrait dire que tout va bien et que les associations n’ont aucun problème pour trouver des bénévoles. Il n’en est rien, bien au contraire. 1) Telles que Moloch, les associations sont insatiables : toute association digne de ce nom – et le plus grand nombre en est digne – dit qu’avec les moyens qu’elle a elle n’a pas à rougir. Beaucoup affirment que si elles avaient deux fois plus de moyens, elles auraient deux fois plus d’actions et de résultats. Et bien sûr, les ressources essentielles d’une association sont les bénévoles, qu’il s’agisse des dirigeants associatifs ou des bénévoles de terrain plus ou moins engagés. 2) Les bénévoles choisissent et les associations doivent faire preuve d’attractivité, car il y a de fait concurrence sur une ressource toujours insuffisante. Le tissu associatif est immense et diversifié, même si sa lisibilité, en particulier locale, est insuffisante. Du coup les bénévoles potentiels ou actuels sont sollicités par de multiples canaux. 3) Les compétences demandées sont souvent de plus en plus pointues. Ce qu’on appelle de plus en plus » le professionnalisme des bénévoles » renvoie à des besoins de compétences spécifiques. Pour prendre un exemple parmi des centaines, les associations qui s’occupent des personnes les plus exclues doivent avoir des bénévoles spécialistes des questions d’écoute, de conseil familial, de santé, de droit administratif, de logement, de formation, etc. 4) Il y a réellement » crise » sur la question du renouvellement des dirigeants associatifs. C’est en tant que tel un » sujet dans le sujet « . Les raisons de cette difficulté sont multiples : montée objective des responsabilités et de la complexité (dont bien sûr les problèmes de financement), disponibilité insuffisante, nécessité de charisme, insuffisance de formation, mauvaise délégation dans les équipes dirigeantes. 5) Ajoutons à cela que le mouvement associatif a du mal à développer et à accueillir convenablement une demande de bénévolat très diversifiée correspondant à ses besoins et à bien employer les bénévoles dont elle dispose déjà.
Une triple réponse pour combler ce déficit
Plaisir et utilité
Le monde associatif, qui a un besoin constant à la fois de plus de bénévoles et de bénévoles aux compétences de plus en plus pointues, ne saura pas attirer et fidéliser des bénévoles retraités, s’il ne sait pas s’adapter aux attentes, aux rythmes et aux différentes caractéristiques sociologiques des catégories de retraités.
Les choix et équilibres à trouver doivent être effectués selon deux critères, d’égale importance, celui du plaisir et celui de l’utilité.
Les pays qui ont des taux d’engagement bénévole supérieurs à la France ont utilisé, peu ou prou, trois leviers pour développer » une pédagogie de l’engagement » permettant de dépasser les seules transmissions des valeurs familiales :
- une implication du système éducatif pour un apprentissage à l’engagement précoce des enfants et des étudiants ; les systèmes éducatifs et les enseignants y sont très impliqués ;
- une implication des entreprises pour encourager, faciliter, accompagner et reconnaître l’engagement de leurs salariés ;
- un accompagnement des retraités pour une bonne transition entre le travail et la retraite et un appui leur permettant de trouver un nouvel équilibre de vie, dans lequel leur besoin d’utilité sociale sera reconnu et valorisé. C’est ce dernier axe qui est développé à titre d’exemple de l’action de France Bénévolat.
L’une des grandes craintes, pas totalement infondée, des retraités pour s’engager dans le bénévolat associatif est d’être impliqué sans limites et de retrouver toutes les contraintes de la vie professionnelle (avec la représentation symbolique du petit doigt qu’on met dans la machine et de tout le corps qui y passe ensuite !). Du coup, on voit beaucoup de retraités qui hésitent et qui finalement ne s’engagent pas, devant cette crainte de retrouver un niveau de contraintes identique au travail, d’autant plus pervers qu’il se situe souvent sur un registre culpabilisant, la noblesse de la cause justifiant tous les investissements.
Se sentir utile
Dans toutes les enquêtes menées auprès de retraités, la grande majorité des interviewés exprime le besoin d’avoir des activités socialement reconnues, de » servir à quelque chose « . C’est même souvent le choix et la mise en oeuvre de ces nouvelles activités, au sein d’un nouvel équilibre de vie, qui marquent la fin du deuil social du travail rémunéré. Ces activités peuvent relever, soit de la solidarité familiale (l’appui aux enfants, aux petits-enfants, aux ascendants), soit de ce qui s’appelle le bénévolat informel ou de proximité (la solidarité et la convivialité de quartier), soit enfin du bénévolat institué qui, en France, passe le plus souvent par le bénévolat associatif, compte tenu de la place toute particulière qu’y tiennent les associations.
Ce réinvestissement est d’autant plus facile que la personne s’est constituée dans son parcours de vie un capital de lien social, en dehors même des relations professionnelles. Faute de l’avoir fait suffisamment avant le départ, c’est tout un retissage qui est à refaire.
L’implication des retraités dans des activités socialement utiles a donc un double effet positif : pour eux, dans ce que certaines institutions de retraite commencent à appeler » la prévention sociale » ; pour la collectivité, par les effets du développement du lien social et de la solidarité. Quand ils témoignent, les bénévoles redécouvrent d’ailleurs, souvent sans le savoir, le concept » du don et du contre-don » très ancré dans toutes les civilisations traditionnelles et très bien mis en exergue par Marcel Mauss1.
Sur un registre plus collectif, sans vouloir implicitement tenir un discours normatif sur la nécessité d’avoir un engagement » pour être un bon retraité « , il est clair que la reconnaissance de la place des retraités dans la société passe par la reconnaissance de leur utilité sociale.
Réussir le passage à la retraite
On ne quitte pas impunément quarante ans, ou plus, d’une vie largement » formatée » par le travail, son rythme, ses contraintes, ses satisfactions, les relations qu’il a créées… L’entrée dans la retraite est un tournant dans la vie du nouveau retraité, un passage, un réaménagement parfois radical des conditions de son existence dans lequel interviennent plusieurs facteurs :
Les compétences demandées sont de plus en plus pointues
- La transition est plus facile quand la retraite est voulue comme un vrai projet de vie et anticipée, que la succession est prévue et que la personne concernée est impliquée dans le processus de succession : » le sentiment du boulot bien fini « .
A contrario, la transition est plus difficile quand la retraite est une simple opportunité (exemple : des avantages financiers attractifs) ou une nécessité (exemple : problèmes de santé). Elle est extrêmement difficile quand elle est une obligation, même acceptée, surtout dans le cadre de départs anticipés, toujours perçus comme un licenciement, quelles que soient les conditions financières de départ. Dans des cas extrêmes, le deuil de la vie professionnelle ne peut pas être fait.
- La transition est plus facile quand le déploiement d’activités nouvelles est en continuité avec les activités anciennes et permet de mobiliser des compétences jugées utiles et reconnues socialement. Sur ce registre, il peut y avoir des processus de compensation étonnants : ainsi l’exemple de Bernard G., ingénieur de haut niveau, qui fait des maquettes avec ses petits-enfants en les gérant comme des projets industriels… !
- Dans tous les cas de figure, le passage d’un temps imposé et sous contraintes à un temps choisi, mais plus morcelé, est un véritable apprentissage… qui demande du temps. À l’évidence, et sauf exceptions, ce nouvel apprentissage est plus facile pour les femmes que pour les hommes, car les femmes ont appris, par nécessité, à gérer des temps sociaux plus diversifiés.
- Les proches, et tout particulièrement le conjoint, seront des appuis ou des obstacles à ce remaniement identitaire du retraité. Parfois, le refus d’envisager la retraite est lié à la crainte de perdre la reconnaissance du conjoint et des enfants (surtout si ces derniers sont jeunes pour des couples reconstitués).
Développer une pédagogie adaptée
France Bénévolat
France Bénévolat est une association loi 1901 qui a notamment pour objet d’assurer la promotion du bénévolat, d’accueillir dans ses centres locaux les bénévoles potentiels et de les orienter vers les associations susceptibles de leur procurer une activité correspondant à leurs goûts, souhaits et compétences.
France Bénévolat est par ailleurs à la disposition des associations pour les aider à définir leurs besoins en missions bénévoles, à trouver les bénévoles prêts à s’engager dans leur projet associatif.
Au travers de son activité, France Bénévolat veut également contribuer à une meilleure gestion des ressources humaines bénévoles en vue d’aider les associations à apporter un meilleur service à tous leurs membres ou bénéficiaires.
France Bénévolat dispose, en mars 2008, d’un réseau territorial d’environ 240 centres, antennes ou relais (voir liste et adresses sur le site). L’objectif est d’atteindre 310 implantations territoriales à fin 2009.
Comme déjà indiqué, le monde associatif a un besoin constant, à la fois de plus de bénévoles, et de bénévoles aux compétences de plus en plus pointues. À lui de trouver les voies et moyens pour attirer des personnes qui n’ont pas la chance de connaître l’engagement par tradition familiale, ce que les sociologues appellent » les sociabilités familiales « . Il faut développer » une pédagogie de l’engagement « , en commençant souvent par des engagements ponctuels permettant » d’apprendre l’association et le bénévolat « , ses contraintes, ses spécificités, ses grandeurs… mais aussi ses limites, avant éventuellement de s’engager plus fortement au sein d’un projet de vie bien mûri. Car, dans l’autre sens, on constate les échecs complets de certains de ces nouveaux bénévoles qui se précipitent dans le bénévolat, dans une démarche occupationnelle, pour compenser le vide de l’entrée en retraite ou pour reproduire en milieu associatif les schémas de pouvoir et d’organisation qu’ils ont connus dans l’entreprise. On aboutit souvent à des catastrophes à la fois pour les associations et pour les personnes concernées. Déceler les motivations profondes, faire comprendre la spécificité associative, s’approprier le projet associatif, trouver le bon équilibre entre l’engagement et les autres centres d’intérêt légitimes, faire comprendre que l’animation de bénévoles n’a rien à voir avec le management de salariés. Ces étapes sont les éléments de processus d’apprentissage, d’autant plus longs et plus aléatoires que ce » nouvel entrant » a peu connu la vie associative auparavant.
Une pédagogie et un processus à généraliser
Un accompagnement des retraités leur permet de trouver un nouvel équilibre
Les fondements et principes de cette pédagogie sont également applicables à d’autres bénévoles, étudiants ou adultes actifs. Il est donc indispensable que le monde associatif ne considère pas ses bénévoles comme une ressource taillable et corvéable sans limites, parce que non rémunérée et sans statut juridique, mais comme une richesse humaine et une relation équilibrée où chacun doit trouver son compte. Il est indispensable de ne pas introduire de hiérarchie de valeurs entre les différentes catégories de bénévoles (les dirigeants, les militants, les réguliers, les occasionnels…), même si ces catégorisations sont indispensables pour mieux cerner et mieux comprendre le phénomène complexe du bénévolat. À l’inverse aussi, aux bénévoles de savoir établir des règles du jeu dans une relation adulte-adulte, sans lien de subordination, mais en respectant leur engagement. Car, » le bénévole régulier est un bénévole occasionnel que l’association a su élever « 2.
1. Essai sur le don, Marcel Mauss (1923)
2. Bernard Vitre, délégué régional Bretagne de France Bénévolat
Passerelles et compétences
Mettre ses qualités professionnelles à disposition des associations de solidarité pour des missions ponctuelles et compatibles avec sa vie professionnelle : c’est le principe du bénévolat de compétences.
Passerelles et Compétences est une association qui met en relation des professionnels souhaitant offrir ponctuellement leurs compétences à des projets de solidarité et des associations.
Une association prend contact avec Passerelles et Compétences. Un bénévole de l’équipe interne(une « passerelle », elles sont 40 aujourd’hui) rencontre l’association pour analyser le besoin, vérifier que la mission soit compatible avec une activité professionnelle, qu’elle fait bien appel à une compétence particulière et qu’elle ne se substitue pas à un emploi salarié. Une annonce est ensuite écrite expliquant la vocation de l’association et le profil recherché. Elle est ensuite diffusée à des personnes relais qui la font circuler dans leurs réseaux professionnels et personnels. Le candidat bénévole se fait connaître à la « passerelle » qui le reçoit pour lui expliquer la mission, valider ses compétences ou l’orienter au besoin sur une autre mission.
Passerelles et Compétences a initié 600 recherches de bénévoles, dont 150 l’an dernier. Environ 250 associations ont bénéficié de l’aide de 400 personnes, exerçant pour la plupart une activité professionnelle et pensant ne jamais avoir le temps de s’engager, qui ont réalisé des missions de bénévolat de compétences ponctuelles, adaptées à leurs contraintes personnelles, et répondant à leurs aspirations profondes.
Passerelles et Compétences est représentée à Paris, Lyon et en Poitou-Charentes. Elle vient de lancer trois nouvelles implantations à Nantes, Aix-en-Provence et Strasbourg.
Patrick Bertrand