L’enjeu de l’eau en Israël
L’eau a toujours été un élément vital de la civilisation au Proche-Orient, comme en témoignent les chroniques et comme le montrent les fouilles archéologiques. Malgré les progrès considérables et les innovations remarquables développés en Israël depuis un demi-siècle dans l’exploitation des ressources et dans l’optimisation des usages de l’eau, la situation reste problématique.
Les solutions techniques existent. Leur mise en œuvre implique une volonté politique de coopération régionale, appuyée par la communauté internationale.
Extraction de potasse sur la mer Morte © AMBASSADE D’ISRAËL
En première partie, un état des lieux vous est proposé, pour permettre de comprendre la situation en Israël et d’identifier les difficultés actuelles.
Israël se situe à la jonction du climat méditerranéen et désertique. La répartition des pluies connaît de grandes variations régionales : 500 mm à 700 mm/an dans la bande côtière, moins de 100 mm/an jusqu’à 25 mm/an dans le Néguev, la mer Morte et la vallée de l’Arava.
La répartition saisonnière est très contrastée : 75 % des pluies pendant les trois mois d’hiver se présentent sous forme de précipitations brèves et torrentielles, avec un ruissellement important, et une quasi-sécheresse pendant plus de six mois par an. À noter également l’hétérogénéité des séries annuelles : on observe des groupes d’années pluvieuses, à 20 % au-dessus de la moyenne, et des groupes d’années sèches, à 20 % en dessous de la moyenne. Ces facteurs renforcent le risque de pénurie.
Les ressources en eau
Les ressources en eau sont constituées par les éléments suivants :
. Un réservoir de surface, constitué par le lac de Tibériade, d’une superficie de 170 km², situé à moins 210 mètres sous le niveau de la mer. Il est alimenté par le Jourdain supérieur et ses affluents, les rivières Dan, Banias (prenant sa source au Golan) et Hasbani (prenant sa source au Liban).
Les apports moyens annuels sont de 550 millions de m3. Le potentiel de prélèvement maximum est de 400 à 500 millions de m3/an. Le lac de Tibériade joue aussi un rôle de réservoir, en jouant sur son niveau qui peut fluctuer entre les cotes ‑208 et ‑214.
Il est important de noter que l’eau du lac est légèrement salée, avec une teneur en sel de 215 mg/l due à l’activité tectonique du rift, visible en surface par les sources thermales autour du lac.
. Un aquifère côtier situé dans une structure de sables et de grès constituant la bande côtière, d’une centaine de km du nord au sud et de 3 à 20 km d’est en ouest. Cet aquifère est alimenté par infiltration des eaux de surface. Exploité par forages, il offre un potentiel de 250 à 300 millions de m3/an. Sa structure permet aussi de l’utiliser comme réservoir de stockage souterrain, se prêtant à la technique de recharge.
. Un aquifère de montagne situé sous les collines de Judée et de Samarie, sur une aire de 100 km du nord au sud, et 20 km d’est en ouest, dans des structures karstiques, avec des écoulements rapides. Alimenté par infiltration de surface, il donne naissance aux sources du Yarkon et de la rivière Taninim. Le potentiel annuel est de 350 millions de m3/an, essentiellement avec le captage de la source du Yarkon.
. Plusieurs aquifères de moindre importance, correspondant à des bassins géologiques locaux, sont répartis entre la Galilée occidentale, le mont Carmel, le Golan et le flanc oriental des monts de Samarie. Le potentiel cumulé de ces ressources atteint 400 millions de m3/an, accessible par forages.
À ces ressources conventionnelles s’ajoutent des ressources marginales
L’aquifère profond d’eau fossile saumâtre sous le Néguev et la vallée de l’Arava est exploité par forage profond jusqu’à plus de 1 000 m. Il fournit une eau contenant, outre 600 à 1 400 mg de sel par litre, une teneur élevée en H2S et en ions métalliques.
Une partie de ces eaux est exploitée après traitement local simple, une autre partie alimente une unité de dessalement par membrane à Eilat.
Plusieurs sources d’eau saumâtre dans la vallée du Jourdain, au pied des monts Guilboa et dans la baie de Haïfa, sont exploitées directement pour l’aquaculture, avec des espèces de poissons adaptées. Le potentiel exploité correspond à 120–140 millions de m3/an.
Le dessalement d’eau de mer a été pratiqué depuis longtemps, mais toujours à l’échelle d’unités pilotes, pour accompagner les efforts de développement de nouvelles technologies. À ce jour, une seule unité industrielle est opérationnelle à Eilat, d’une capacité de 8 000 m3/jour. Elle utilise la technique d’osmose inverse.
Enfin, des essais sont faits pour le captage des eaux de ruissellement dans des bassins de rétention. Ce moyen permet d’ajouter 40 millions de m3/an à la ressource globale.
Les besoins en eau
En face des ressources, il convient de faire l’état des besoins, répartis entre deux catégories d’utilisateurs : d’un côté, les villes et les industries, de l’autre l’agriculture.
La consommation d’eau par les villes a été de 580 millions de m3 en 1996, soit environ 100 m3/an par personne, comparable à celle des pays européens.
L’industrie consomme au total 120 millions de m3/an, au prix de grands efforts de recyclage des eaux de process.
Les besoins de ce groupe de consommateurs répondent aux caractéristiques suivantes : demande relativement constante durant l’année, concentration géographique de la demande dans la partie centrale du pays, exigence d’une qualité d’eau potable, croissance régulière de la demande avec l’accroissement démographique et avec l’élévation du niveau de vie.
Le lac de Tibériade © ONIT
La consommation par l’agriculture varie selon les disponibilités : elle a fluctué au cours des dix dernières années entre 940 et 1 490 millions de m3/an.
Des efforts remarquables ont été réalisés pour une utilisation optimum de l’eau en agriculture, avec l’invention de la micro-aspersion, de l’irrigation goutte à goutte, de la gestion informatique des besoins en temps réel, du développement d’espèces végétales tolérant les eaux salines. La valeur de la production agricole a triplé en vingt ans, en termes réels, sans augmentation de la consommation d’eau.
Après quelques écarts au-delà du raisonnable, chèrement payés par la dégradation de la qualité des aquifères, la consommation agricole s’est stabilisée aux environs de 1 200 millions de m3/an.
Les besoins de l’agriculture sont de nature différente du groupe précédent : la demande est très saisonnière, concentrée durant les mois d’été. Les besoins sont géographiquement plus diffus, avec une demande forte au sud du pays, dans la partie nord du Néguev. Différentes qualités d’eau sont utilisables selon la nature des récoltes ou des élevages. La demande dépend des disponibilités en eau et du prix, composante notable du prix de revient global des productions agricoles.
Les ressources globales mobilisables, dans le cadre d’une gestion durable, varient ainsi selon les années de 1600 à 1 800 millions m3/an. Les besoins globaux s’élèvent en moyenne à 1 900 millions m3/an, avec un ajustement assuré par l’agriculture.
Le déficit structurel est couvert par le recyclage de l’eau des villes vers l’agriculture. Les stations de traitement des eaux usées ont pour objectif de purifier l’eau jusqu’à atteindre les normes d’une eau pour irrigation sans restriction.
Sur les 580 millions de m3/an utilisés par les villes, 320 millions de m3/an d’eaux usées sont collectés et traités, et, à ce jour, 220 millions de m3/an sont réutilisés, ce qui assure l’équilibre entre ressources et besoins.
Cet équilibre, assuré par la mobilisation de toutes les ressources, est tendu, sans marge de flexibilité, à la merci d’une série d’années sèches, et fragilisé par une demande croissante des villes.
Il est rendu plus difficile encore par des contraintes de qualité de l’eau. L’approvisionnement des villes et de l’industrie en eau potable est assuré à partir des meilleures ressources. Cela exclut l’emploi d’eau saumâtre, d’eau recyclée, d’eau de ruissellement.
De son côté, l’agriculture ne peut utiliser les eaux de qualité inférieure que pour des cultures à faible valeur ajoutée, comme les céréales. Sa place sur le marché international est assurée par des cultures spéciales : fleurs, primeurs, aromates, avocats, agrumes… qui exigent des eaux de bonne qualité.
La gestion de l’eau
La gestion de l’eau en Israël doit résoudre un problème géographique : 2⁄3 des ressources sont dans le nord du pays, 2⁄3 des besoins urbains et industriels sont dans la partie centrale, 2⁄3 des besoins agricoles sont dans le sud. Ceci a amené le gouvernement à réaliser, au début des années 60, un grand adducteur nord-sud, qui achemine 400 millions de m3/an, et une conduite de transport de 110 millions de m3/an amenant les eaux traitées de la région de Tel-Aviv vers le nord du Néguev.
La gestion de l’eau doit également résoudre un problème d’adéquation dans le temps, et assurer le stockage d’une quantité importante d’eau pour l’usage agricole pendant la saison sèche. Ceci est réalisé par un réseau de réservoirs à ciel ouvert, et aussi en jouant sur les capacités de stockage du lac Tibériade et sur la recharge artificielle de l’aquifère côtier en hiver.
Sur le plan économique, il convient de retenir les éléments suivants : le consommateur israélien paie un prix unique pour l’eau, révisé chaque année par le Parlement. Il est de l’ordre de 5 F/m3 sans la redevance d’assainissement, fixée par les collectivités locales. L’agriculteur bénéficie d’un prix subventionné, dépendant de la qualité de l’eau, de l’ordre de 1,40 F/m3 pour l’eau la meilleure.
Sur le plan des institutions, la société d’État Mekorot gère les infrastructures nationales de production et de transport, correspondant à environ 65 % des ressources. Le solde est réparti entre divers conseils régionaux, municipalités et personnes privées, pour des besoins locaux.
La responsabilité de la distribution d’eau potable et de l’assainissement est exclusivement celle des villes ou de syndicats intercommunaux.
L’autorité de planification, de régulation et de contrôle est le Commissariat à l’Eau, sous la tutelle du ministère des Infrastructures.
Les perspectives à moyen et long terme du secteur de l’eau posent de sérieux problèmes et constituent un enjeu politique national et international de première importance.
Il est prévu que l’évolution des besoins augmente à un rythme soutenu, en raison d’une croissance démographique forte et de l’élévation du niveau de vie. On prévoit une demande d’un milliard de m3/an avant 2010 pour les villes et les industries, au lieu de 700 millions aujourd’hui.
Il faut prendre en compte aussi un partage de ressources dans le cadre des négociations de paix dans la région. Un accord a déjà été signé avec la Jordanie pour livrer 150 millions de m3/an.
Une première tranche de 50 millions de m3/an a été mise en œuvre.
D’autres accords seront à négocier avec l’Autorité palestinienne et, le moment venu, avec la Syrie.
L’évolution des besoins concerne également la qualité de l’eau :
L’eau distribuée, conforme aux anciennes normes internationales d’eau potable, ne satisfait pas les consommateurs sur le plan organoleptique.
La révision des normes, plus exigeantes sur les critères de turbidité, de teneur en nitrates et en pesticides, et la demande pressante des consommateurs pour une eau de meilleur goût, vont conduire à une remise en ordre de la politique de qualité de l’eau.
Face à cette évolution des besoins, quelle réponse apporter pour les ressources ?
Il est possible de développer encore les ressources actuelles, avec des coûts marginaux de plus en plus élevés.
Ainsi, la priorité est aujourd’hui donnée à l’équipement des villes en retard pour le recyclage en agriculture de leurs eaux usées. La consommation d’eau croissante des villes équipées va également développer les quantités d’eau recyclée.
Israël dispose, on l’a vu plus haut, d’un potentiel non négligeable d’eaux saumâtres. Il est possible de les dessaler dans des conditions économiques intéressantes.
Les techniques de récupération des eaux de ruissellement se perfectionnent et permettent de développer encore cette ressource.
Mais ces efforts ne permettent pas de résoudre durablement le problème.
Deux solutions sont envisageables : l’importation d’eau et le dessalement de l’eau de mer.
L’importation d’eau a donné lieu à de nombreuses idées, comme le transport par réservoirs souples géants (méduses), ou l’utilisation de tankers pétroliers obsolescents. L’analyse économique montre que l’ensemble des infrastructures au départ et à l’arrivée, en sus des moyens de transport, obère dès le départ la rentabilité de cette option : le prix du mètre cube dépasse le seuil d’un dollar, et n’est plus compétitif par rapport au dessalement d’eau de mer. L’option comporte de plus des risques évidents de nature géopolitique qui compromettent sa faisabilité.
L’idée la plus séduisante serait l’utilisation conjointe d’un gazoduc sous-marin pour amener gaz russe et eau turque dans la région.
Le dessalement de l’eau de mer est une solution incontournable pour augmenter les ressources globales de la région. Les développements technologiques s’accélèrent, tant dans la voie thermique que dans celle des membranes. Les prix de revient sont en baisse régulière et se situent nettement en dessous du dollar/m3. La cible d’un coût de 50 cents paraît envisageable pour de grandes unités. Le lancement de tels projets dépend aujourd’hui des décideurs politiques.
La gestion de la qualité de l’eau devient elle aussi un enjeu important. La mise aux nouvelles normes et la satisfaction des besoins des consommateurs passent par un programme important d’investissement. Le projet le plus spectaculaire est celui d’une filtration centrale sur l’adducteur national, pour traiter les 400 millions de m3/an qui y transitent. Il faut aussi prévoir le traitement de l’eau de nombreux forages, dont la teneur en nitrates augmente et dépasse la nouvelle norme.
Enfin, le problème général de salinité de l’eau en Israël engendre des conséquences préoccupantes : l’irrigation avec de l’eau légèrement salée du lac de Tibériade conduit à une accumulation de sel dans les terrains, puis dans les aquifères. L’effet est cumulatif pour toutes les ressources, et constitue un vrai défi sur le long terme.
La complexité et l’interdépendance des nombreux problèmes de gestion de l’eau expliquent que la politique de l’eau soit menée directement par le gouvernement.
Les grands principes de la politique de l’eau en Israël sont clairs :
- respect des critères de gestion durable des ressources : les prélèvements sont limités à la capacité de reconstitution de chacune des ressources ;
- satisfaction prioritaire des besoins non agricoles, en quantité et en qualité, au juste prix économique ;
- restitution des eaux usées retraitées à l’agriculture, qui devra se contenter des autres ressources disponibles. La régulation se ferait par quota ou par réduction des subventions.
C’est tout l’avenir de l’agriculture qui est en jeu. Au prix actuel, la part de l’eau dans la valeur des productions agricoles atteint en moyenne 30 %. Une modification radicale de cet équilibre bouleversera le monde agricole. Sa fonction économique remise en partie en cause, il sera amené à assumer davantage une nouvelle fonction de gestionnaire de paysage.
Le domaine de l’eau, comme l’ensemble des activités économiques du pays, est concerné par une autre tendance forte des gouvernements israéliens, de droite ou de gauche : le retrait de l’État et des collectivités locales de leur rôle d’acteurs économiques, et le développement de la privatisation.
Ainsi, le gouvernement ne prévoit plus de financement public pour l’ensemble des projets concernant l’eau. Les projets de stations de traitement d’eaux usées sont depuis deux ans proposés à des consortiums privés par appel d’offres, sous forme de contrat DBO (design, build and operate) ou BOT (build, operate and transfer).
Une nouvelle loi sur la privatisation des services municipaux de distribution et de gestion des réseaux est à l’étude.
Enfin, un aspect important des développements à venir concerne l’approche régionale du problème de l’eau, dans le cadre des négociations pour la paix.
Une approche régionale conduit à imaginer des projets plus ambitieux, à réaliser des infrastructures binationales entre Israël, au cœur du sujet, et ses voisins, et ce dans le cadre de financements internationaux.
Parmi les projets évoqués, citons l’établissement sur la côte méditerranéenne, au sud de Tel-Aviv, de grandes unités de dessalement par tranches de 100 millions de m3/an, pouvant aussi approvisionner Gaza, ou encore la réalisation d’une conduite mer Rouge-mer Morte, avec participation de la Jordanie, permettant le dessalement par osmose inverse sous la pression hydrostatique, d’une capacité de 400 millions de m3/an.
Le marché israélien et régional ouvre des opportunités passionnantes aux grands opérateurs internationaux, aux sociétés d’ingénierie, aux équipementiers du monde entier : Français, Britanniques, mais aussi Américains, Sud-Africains, Japonais… tous sont présents pour suivre de près l’évolution de cette région captivante.