L’enseignement de la mécanique à Moscou
Avant d’intégrer l’École polytechnique, j’ai étudié pendant trois années au Département de mécanique appliquée de l’université Bauman à Moscou. L’université Bauman (UB) est un grand institut technologique avec quelque 16 000 étudiants. Le rôle de l’UB ressemble un peu au rôle de Polytechnique en France. Parmi nos anciens il y avait des grands savants et des grands ingénieurs (Lebedev, Toupolev, Korolev), des ministres et des hommes politiques, plusieurs cosmonautes, des militaires
La mécanique est une des matières principales pour la formation des ingénieurs à l’UB. La méthode d’enseignement était mondialement connue sous le nom de » la méthode russe de la préparation des ingénieurs « . Je vais parler surtout de l’enseignement à l’UB et un peu de l’université de Moscou.
La faculté de mathématiques et mécanique de la célèbre université de Moscou est un centre de niveau mondial de l’enseignement de la mécanique. L’esprit de l’enseignement est proche de celui de Polytechnique : il comprend d’abord le cours classique et le plus général de la mécanique des milieux continus très mathématisé. Ensuite, en fonction de la chaire choisie (élasticité, plasticité, mécanique des composites, hydromécanique), les étudiants suivent des cours spécialisés. L’objectif direct de l’enseignement est de maîtriser les lois les plus générales de la mécanique ainsi que les méthodes modernes de solution numérique en insistant sur la validité et le développement des outils plus que sur la résolution des problèmes appliqués. L’idée est qu’après cet enseignement fondamental les diplômés pourront soit travailler dans la recherche soit s’adapter sans grandes difficultés à l’industrie.
Une approche complètement différente est réalisée à l’UB. Certes, une des raisons en est la différence naturelle entre une université et un institut technologique. L’axe de l’enseignement est dirigé du particulier au général.
On commence avec un cours de mécanique dite théorique, c’est-à-dire basée sur deux concepts : le point matériel et le corps absolument rigide. La cinématique, la statique et la dynamique d’un système des points matériels sont abordées dans ce cours.
On suit juste après le cours de la résistance des matériaux (RDM). Ce cours est une des grandes marques de l’UB, il permet aux étudiants d’avoir la compréhension du comportement des systèmes simples et néanmoins les plus utilisés dans l’industrie.
Ce cours insiste fortement sur l’application des méthodes de RDM là où c’est possible, car c’est plus facile et rapide en considérant bien les limites de ces méthodes.
Parallèlement le cours de la science des matériaux fait mieux comprendre leur nature, leurs caractéristiques mécaniques et les modes de leur traitement thermique. On visite quelques ateliers de mécanique et on commence par le cours sur les bases de construction des machines. Dans ce cours nous pouvons contrôler notre niveau dans les matières citées ci-dessus et commencer à nous interroger sur les lois plus générales de la mécanique parce qu’on ne peut pas tout calculer et on est forcé d’utiliser des » recommandations « .
En effet, il est impossible de trouver une bonne solution, par exemple, pour des corps dits » solides « , c’est-à-dire de même ordre de grandeur sur tous les trois axes, sauf des cas triviaux, car on ne satisfait les conditions aux limites dans le cadre de la RDM qu’au sens de Saint-Venant. Or, dans le cadre de la RDM, des hypothèses très restrictives sont faites. D’ici viennent l’importance et la nécessité de la théorie de l’élasticité étudiée en troisième année : d’une part on augmente ainsi le nombre des problèmes qu’on peut aborder, d’autre part on explique d’où viennent les » recommandations » et les limites de validité de la RDM.
La valeur importante vient des cours spécialisés de notre Département suivis pendant la période de la troisième à la sixième année d’études – la mécanique des structures où on apprend des méthodes classiques de la résolution des problèmes typiques (plaques, coques, disques), la dynamique analytique et la théorie des vibrations des masses continues et ponctuelles, la théorie appliquée de la plasticité, la stabilité des systèmes mécaniques, les méthodes expérimentales, la mécanique des composites, la résistance constructive, etc.
L’enseignement évolue au cours du temps : les cours des bases mathématiques de CFAO, de l’apprentissage des meilleurs logiciels du calcul ont été introduits. D’habitude on a quelques devoirs à domicile pour toutes les matières, mais les matières les plus importantes sont approfondies sous forme de projets. En général ces projets sont personnels.
Au début d’un semestre les sujets sont distribués, le travail est contrôlé par les tuteurs de projet. Le travail à effectuer est important, constitué de quatre parties (mécanique, mathématiques, informatique, dessin industriel) et incite à étudier des articles, chercher de l’information complémentaire au cours magistral. Chaque semaine on rencontre les tuteurs et cette interaction permanente est très utile. À la fin on doit soutenir le projet devant le jury du Département.
L’activité extrascolaire est vivement conseillée. D’abord, c’est la tradition des olympiades universitaires, le développement de l’habileté à résoudre des problèmes importants et difficiles, en provenance de la vie réelle, de la mécanique industrielle de façon simple et à la fois précise, savoir chercher des astuces. Vous pouvez estimer le niveau et l’intérêt de ces problèmes à partir du remarquable livre de l’ancien professeur de l’UB, V. Feodossiev, Problèmes choisis, qui a été traduit en plusieurs langues.
La deuxième source d’inspiration est constituée par des séminaires sur l’élasticité, sur la plasticité, etc., qu’on peut suivre au Département ou à l’université de Moscou. Ce sont des séminaires de professeurs connus de la recherche actuelle. Notre Département a des liaisons étroites avec des instituts de recherche, des bureaux de construction : l’Institut central de l’aérohydrodynamique, le Centre de Khrounitchev, la Corporation » Energuia « , etc. Il y a des possibilités pour nous de rejoindre de vraies équipes de recherche à partir de la troisième année d’études et de faire une partie du travail donc d’avoir une certaine responsabilité. Après la troisième année, chaque été, on effectue des stages d’approfondissement obligatoires, d’un mois environ, plutôt dans des bureaux de construction.
Je pense que l’idée directrice de l’enseignement de la mécanique dans notre Département est de former des ingénieurs de la plus grande érudition possible, aptes à faire jouer leur intuition, des ingénieurs mécaniciens généralistes capables le cas échéant de faire l’analyse exacte, tout comme un mécanicien théoricien.
Le Département de mécanique appliquée fut fondé en 1868 et depuis il a mérité une réputation irréprochable au moins dans l’ex-Union soviétique. Beaucoup de gloire a été apportée par la contribution du Département au développement du programme spatial et d’armement stratégique. Ceci veut dire qu’on bénéficie de bonnes traditions ce qui aide à l’enseignement en encourageant les étudiants.
L’ouverture internationale résulte de la possibilité des professeurs de faire certains cours en anglais et en français. Des études à l’étranger, dans les centres de haut niveau, sont favorisées et j’en suis la preuve.