L’enseignement supérieur à la croisée des chemins
Si l’économie de la connaissance est le nouveau logiciel de notre société, l’enseignement supérieur en est le processeur. Sous l’aiguillon de la mondialisation, les pays font le pari de l’avenir et du savoir en misant sur leur système d’enseignement et de recherche.
La France n’y échappe pas et consacre chaque année près de 30 milliards d’euros à son enseignement supérieur. Ce qui la place dans la moyenne de l’OCDE. Mais être moyen ne suffit pas, ce sont les premières places qu’il faut viser, et pour cela il faut accroître les moyens et leur utilité.
L’enseignement supérieur, l’oublié de la compétitivité
L’enseignement supérieur est le premier étage de la compétitivité. Pourtant, l’enseignement supérieur n’est pas une des composantes clés des dernières mesures en faveur de la compétitivité (CICE et Pacte de responsabilité).
Le système d’enseignement français est miné par de nombreuses fractures qui nuisent à son efficacité
Or le système d’enseignement français est miné par de nombreuses fractures qui nuisent à son efficacité. Entre les grandes écoles et les universités, entre les formations scientifiques et techniques et celles littéraires et de sciences humaines, entre les étudiants issus de milieu favorisé et les autres.
Le business model de l’enseignement supérieur fait sa révolution
Partant du constat que les ressources publiques tendront à diminuer à l’avenir, tous les orateurs se sont accordés sur l’importance de diversifier les sources, en particulier par les fondations d’anciens élèves et les partenariats avec le privé.
Inciter les donateurs à passer à l’acte
Jean-Bernard Lartigue (95), délégué général de la Fondation de l’X, a évoqué les succès de la Fondation, avec une première campagne ayant récolté 35 millions d’euros sur cinq ans et une seconde visant 100 millions d’euros. Mais, malgré une fiscalité avantageuse, la culture de la donation reste balbutiante en France, contrairement aux États- Unis.
Se regrouper pour attirer les meilleurs
C’était l’objectif de ParisTech, et c’est aujourd’hui celui de Paris- Saclay : créer un pôle de recherche et d’enseignement multidisciplinaire de niveau mondial.
Il y a déjà à Saclay douze grandes écoles, deux universités, des laboratoires privés, des entreprises, tous les ingrédients pour en faire une réussite.
De la persévérance et de la méthode sont nécessaires pour y parvenir ; et de la professionnalisation. Comme le souligne Yves Poilane (79), directeur de Télécom ParisTech et ancien président de ParisTech, avoir un projet ambitieux pour son établissement, mais aussi parler des success stories incite les donateurs à passer à l’acte.
Jacques Biot (71) a d’emblée affiché qu’il considère la Fondation comme un actionnaire important de l’École polytechnique, dont la place sera appelée à croître d’ici dix ans.
Jean-Bernard Lartigue propose également de constituer des fonds de dotation (« endowment ») suffisants pour générer des produits financiers permettant un jour de couvrir une part significative des dépenses récurrentes.
L’enseignement supérieur entre dans une logique économique
Autre source de financement : les formations elles-mêmes. Pour Alfred Galichon (97), professeur à l’IEP Paris, tout se joue sur les graduate students, le niveau master.
L’enseignement supérieur doit apprendre à travailler en synergie avec le reste de l’économie
Selon une approche utilitariste, il faut écarter la tentation du prestige (les titres ronflants masquant l’absence de débouchés) pour garantir la qualité. Dès lors se pose la question du « prix de marché » d’un master.
Et c’est alors l’enseignement supérieur qui entre dans une logique économique et se doit de définir son business model. David Thesmar (92), professeur à HEC et auteur, entre autres, de La Société translucide, rappelle qu’HEC raisonne déjà ainsi lorsqu’elle vend à prix d’or ses MBA.
La concurrence est mondiale
L’autre élément sur lequel s’accordent les orateurs est l’importance de la visibilité internationale. Le classement de Shanghai a été un électrochoc, il a révélé aux Français que les écoles dont ils étaient si fiers n’apparaissaient que parmi les universités de seconde zone. Pour l’École polytechnique, la concurrence c’est le MIT, Caltech, le Technion, la TUM ou Lausanne.
Certes, pour Alfred Galichon, tout ne résume pas à un classement et l’obsession de la visibilité a conduit à créer des monstres administratifs issus de la fusion des Universités. La taille ne fait pas la qualité, loin de là. La réforme de l’autonomie de 2007, partie d’une bonne intention, mais trop top-down, a créé un mikado institutionnel géant et nébuleux, fait d’IDEX, de LABEX et autres IRT.
Mais cela pousse les écoles et universités à se regrouper pour gagner en visibilité selon les standards internationaux, pour attirer les meilleurs étudiants et chercheurs.
Rapprocher secteur privé et enseignement supérieur
Pour être un moteur d’innovation, l’enseignement supérieur doit apprendre à travailler en synergie avec le reste de l’économie, en particulier les entreprises. L’École polytechnique, sous l’impulsion de son président, Jacques Biot, développe activement les formations à l’entrepreneuriat.
La tenure track est un processus qui aboutit, aux États-Unis, à la titularisation des professeurs après une période d’essai de six à huit ans. En France, après un concours souvent très sélectif pour devenir maître de conférences, les jeunes enseignants-chercheurs sont certes titularisés rapidement mais ils ne gagnent que 2000€ par mois et doivent parfois faire leurs cours à l’autre bout de la France.
Les élèves projetant de lancer leur start-up sont de plus en plus nombreux, notamment à partir des projets scientifiques collectifs (PSC), mais aussi dans le cadre des masters ad hoc développés par l’École.
Les laboratoires manifestent également un intérêt croissant pour la démarche entrepreneuriale et développent la recherche partenariale avec l’industrie. Yves Poilane partage son point de vue sur l’importance de stimuler l’entrepreneuriat et fait état de l’expérience plus que décennale de son école dans le domaine.
Cela suppose également, pour David Thesmar, de lever les lourdeurs et aberrations administratives qui infantilisent les chercheurs par trop de contrôles tatillons pour leur laisser davantage de liberté.
Il est par exemple aberrant que la limite d’âge pousse vers la sortie des chercheurs et enseignants de premier plan : à la London School of Economics, les enseignants d’un certain âge sont évalués chaque année et leur contrat prolongé ; aux États-Unis, il n’y a pas de limite d’âge, mais les enseignants savent se retirer à temps.
Le rôle-clé de la gouvernance
Cette transformation en profondeur ne peut s’opérer seule. Pour Alfred Galichon, il faut des personnalités d’envergure : ainsi, la Toulouse School of Economics, exemple de création réussie d’une école de niveau international au sein d’une université, est d’abord l’œuvre de Jean- Jacques Laffont et Jean Tirole.
Blocage idéologique et impuissance politique
L’échec en première année d’université atteint 60%, 20% la seconde – faute d’une sélection à l’entrée. Devant le refus de voir de l’argent privé financer l’enseignement ou la recherche, les universités se condamnent à rester sous tutelle financière et administrative publique. Il y a un blocage idéologique qui se traduit par une impuissance politique.
Mais il faut également des moyens. Jean-Robert Pitte, ancien président de la Sorbonne, compare les budgets : 100 millions d’euros pour 20 000 étudiants à l’université Paris-IV, contre 66 millions d’euros pour 1 000 étudiants à l’École polytechnique, soit de 1 à 13.
Et les présidents d’universités, englués dans la complexité de leur gouvernance, notamment en raison de la dépendance aux personnels liée à leur mode de désignation et sans ressources financières propres, sont bien incapables de tirer parti des réformes qui leur ont conféré davantage d’autonomie.
Pourtant, les universités accueillent 60% des effectifs de l’enseignement supérieur. Partout dans le monde, ce sont elles qui dynamisent le reste de l’économie.
Vers un système français à deux vitesses ?
Les questions sont venues conforter cette impression d’un enseignement supérieur à deux vitesses. Aux interrogations sur le design et sur les cours à distance, les MOOC, les représentants des grandes écoles ont répondu avec enthousiasme, tous ces sujets faisant partie de leur stratégie de développement.
Mais les universités peinent à rester dans la roue des grandes écoles, au risque d’un décrochage durable.
Faut-il alors, comme le suggère David Thesmar, assumer un système dual, ultra-élitiste d’un côté, ouvert au plus grand nombre de l’autre ? Ou bien peut-on réconcilier excellence et égalité d’accès ?
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Inepties sur l’enseignement supérieur
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