L’enseignement technique : une voie de formation toujours en quête de reconnaissance
L’enseignement technique a joué au cours des dernières décennies un rôle indiscutable de promotion sociale et d’insertion au prix d’adaptations importantes, voire de profondes remises en cause et si aujourd’hui la crise a contribué à bloquer cet ascenseur social, on peut s’interroger sur les évolutions apportées à l’institution. La période est propice car nous connaissons un répit démographique, c’est l’occasion, la tension sur les lycées se faisant moins pressante, d’apporter les correctifs souhaitables.
Encore faut-il garder en mémoire que les réformes du système de formation sont indissociables des modes de pensée collective qui confèrent au technique l’image d’un enseignement manuel démodé et dévalué alors que la majorité des formations offertes sont plus ouvertes qu’on ne le croit aux nouvelles technologies et plus aptes à offrir des débouchés professionnels que bien des voies généralistes aux issues incertaines.
En ces temps de consultation sur “ Quels savoirs enseigner dans les lycées ” (printemps 1998) et de Charte pour une nouvelle réforme des lycées, il est essentiel de préserver la double mission assumée par l’enseignement technique : faciliter l’insertion des jeunes en préservant le lien social et contribuer à la compétitivité future du pays.
Un état des lieux
Traiter de l’enseignement technique implique d’en bien préciser le cadre et de définir les types d’enseignement.
Deux voies de formation
Après la Seconde Guerre mondiale un certain nombre d’intellectuels comme Wallon, Fourastié, Friedman contribuèrent par leur prise de position à valoriser l’enseignement technique et, ce faisant, à favoriser son intégration dans l’appareil scolaire. Le mouvement s’est opéré avec la réforme Berthoin de 1959 et l’institution d’un enseignement général long, classique, moderne et technique et d’un enseignement court, l’enseignement professionnel correspondant aux anciens centres d’apprentissage évoluant en collèges d’enseignement technique (CET).
La terminologie officielle confirmera cette évolution en distinguant les deux voies : un enseignement technique et un enseignement professionnel qui constituèrent un ordre d’enseignement séparé, avec ses structures propres, destiné en priorité aux enfants des milieux ouvriers. Le lycée technique se verra progressivement reconnu comme établissement du second degré pour devenir lycée d’enseignement technologique afin d’intégrer au début des années quatre-vingt-dix le cadre générique du LEGT (lycée d’enseignement général et technologique).
La réforme des lycées à partir de 1992 regroupe les baccalauréats technologiques en quatre domaines : industriel (STI), tertiaire (STT), médico-social et hôtellerie, auxquels s’ajoutent encore une quinzaine de brevets de techniciens plus spécialisés avec un effectif réduit (environ 10 000 élèves en terminale). Ce qui caractérise ces formations au cours des trois dernières décennies, c’est la réduction quantitative de la part dévolue aux contenus proprement techniques au profit d’un enseignement plus scientifique – l’exemple des séries industrielles est caractéristique avec une réduction drastique des horaires d’atelier non compensée par un développement des stages en entreprise. En réalité ces baccalauréats sont devenus des propédeutiques pour la poursuite massive à Bac + 2 vers les classes de STS et plus faiblement d’IUT où sera apporté le complément professionnel.
Avec une autre logique, l’enseignement professionnel a progressivement trouvé sa spécificité. Les changements d’appellation témoignent de la difficulté à conserver le double ancrage : d’un côté une formation sous statut scolaire, de l’autre une relation forte avec le monde du travail.
Les collèges d’enseignement technique (CET) ont laissé la place aux lycées d’enseignement professionnel (LEP) en 1976 dont la connotation scolaire est gommée avec l’intitulé lycée professionnel (LP) en 1986. Les formations dispensées ont des contenus plus pratiques avec des références aux métiers ce qui implique la mise en œuvre de travaux productifs et des liens plus étroits avec l’environnement professionnel.
Au cours de la décennie 1980, la crise économique et donc de l’emploi et les considérables mutations technologiques ont provoqué une crise profonde qui fut en grande partie surmontée à la fin des années 1980. L’action menée fut conduite conjointement dans trois directions : un rapprochement avec les milieux professionnels qui se traduit par la mise en place de l’alternance sous statut scolaire accompagnée d’une politique des jumelages écoles-entreprises (réf. Circulaire du 1er octobre 1984), une actualisation des contenus de formation et la création d’un baccalauréat professionnel (1985) ouvrant un niveau de technicien à des formations plafonnées jusqu’alors au niveau V, enfin un renouvellement des équipements lourds grâce au plan machines-outils (1983−1985) relayé par le dispositif des contrats de plan État-Régions. Cette mutation a nécessité l’adaptation des enseignants aux nouvelles exigences professionnelles. Le recrutement s’est élargi aux diplômés de l’enseignement technique supérieur pour succéder aux anciens maîtres d’atelier, issus de l’entreprise pour la plupart, et plus aptes à faire face à la transversalité des métiers qui impose de substituer au binôme un homme/une machine, celui d’un système/une équipe.
La traduction de ce mouvement est illustrée par quelques chiffres. C’est ainsi que les CAP en trois ans sont en voie de disparition (21 000 élèves) – remplacés par des CAP en deux ans – et, a contrario, les BEP ont bénéficié de ce glissement (462 000). Dans le même temps le nombre de spécialités sanctionnées par un CAP est réduit à 240 (300 en 1990) et 34 des BEP accueillent plus de 90 % des effectifs. L’enseignement professionnel y a gagné en élévation du niveau de qualification ce qui répond globalement à la demande des milieux professionnels, mais la page du centre d’apprentissage et de l’identité ouvrière est bien tournée et l’appel à de jeunes professeurs techniciens a accéléré l’évolution.
Rappel de quelques données
Dans les années quatre-vingt les lycées ont » craqué » connaissant une progression jusqu’à 7 % l’an (en 1987). Cette poussée intense de scolarisation s’est faite principalement au bénéfice de l’enseignement général – une croissance tout aussi forte s’est opérée au niveau des STS dont les effectifs passent de 46 000 en 1976 à 111 000 en 1985.
Après l’explosion scolaire qui s’est traduite par une certaine désaffection de l’enseignement technique et surtout professionnel, notamment pour les filières industrielles, le mouvement s’est enrayé depuis 1991–1992 en même temps que l’on a observé, la menace du chômage aidant, un retour vers les filières techniques.
En 1998 l’enseignement technique et professionnel concerne la moitié d’une classe d’âge en lycée et près de 60 % en y ajoutant l’apprentissage. Chaque année plus de 600 000 diplômes techniques et professionnels sont délivrés du CAP-BEP en passant par les baccalauréats professionnels, brevets de techniciens et BTS-DUT.
Au cours des quinze dernières années de profonds changements ont marqué cet enseignement : suppression du palier d’orientation vers le CAP (trois ans) à la fin de la classe de cinquième, rénovation du contenu des CAP et BEP, création du baccalauréat professionnel (1985), ouverture de la préparation de tous les diplômes par la voie de l’apprentissage.
Ces évolutions se traduisent dans les résultats au baccalauréat dont les pourcentages d’admis par génération ont plus que doublé depuis 1985, passant de 29,4 % à 61,5 % – pour un tiers environ ce gain est dû au baccalauréat professionnel : 101 609 inscrits en 1985. C’est ainsi que le baccalauréat professionnel représente 16 % des candidats, 28 % pour le baccalauréat technologique et 56 % pour le baccalauréat général.
De nouveaux progrès devraient être enregistrés dans les niveaux de formation atteints. C’est ainsi que la part d’une génération accédant au niveau du baccalauréat devrait atteindre 72 % d’ici 2003. Un des objectifs majeurs affirmé par la loi d’orientation de 1989 et confirmé par la loi quinquennale sur l’emploi (article 54) est d’assurer à tous une formation professionnelle « minimale ». Ainsi le niveau à atteindre serait au moins équivalent au CAP ou au BEP. On table ainsi sur 22 % d’élèves supplémentaires arrivant en terminale professionnelle (CAP-BEP) ou en seconde ou première de lycée. L’accueil des jeunes pourra se faire en particulier par la création de « sections d’apprentissage en lycées ». En lycée professionnel on estime en 2003 à 70 000 élèves dans ce dispositif de formation ce qui porterait les effectifs des LP à 840 ou 850 000, contre 814 000 à la rentrée 1993, et renforcerait l’enseignement professionnel.
Les dépenses de l’éducation ont progressé pour répondre à la croissance des effectifs et aux efforts pour améliorer les niveaux de qualification.
En 1997 la dépense intérieure d’éducation est de 592 milliards de francs, soit 7,3 % du PIB. Le coût moyen par élève est de 35 700 F, soit une dépense d’éducation de 10 100 F par habitant.
L’enseignement technique pèse bien sûr d’un poids particulier à la fois par le fait d’un encadrement plus important, mais aussi par des dépenses en capital et en fonctionnement plus élevées (notamment pour les filières industrielles). Ainsi pour le second cycle général la dépense moyenne est de 46 900 F contre 59 900 F pour le technologique. Et, sur l’ensemble d’une scolarité, le coût pour une durée de seize ans menant à un baccalauréat technologique est de 550 000 F et pour un baccalauréat professionnel 654 000 F. Ce financement est assuré pour l’essentiel par l’État (64,6 %) et les collectivités territoriales (20,4 %), s’ajoutent en troisième rang les ménages (6,9 %) puis les entreprises (5,8 %).
Quelles perspectives pour l’enseignement technique
Jusqu’en 1984, l’accent a été porté sur l’échec scolaire. Puis, la crise économique aidant, ce débat fut relayé par le thème de la qualité en même temps qu’émergeait plus fortement une logique économique plus brutale où l’emportent les notions de rentabilité, de productivité. L’Éducation n’est plus, comme le souligne B. Charlot, « un levier pour changer la vie, elle est une obligation pour trouver un emploi ».
C’est dans cette perspective qu’il faut, me semble-t-il, analyser le volontarisme éducatif des années 1980 et le choix, sous le ministère Chevènement, du slogan des 80 % qui eut ensuite valeur d’orientation nationale (cf. loi du 10 juillet 1989, article 3). L’injonction visant à adapter formation et emploi devient très forte à l’égard des enseignants, mais également des entreprises quand on assigna au système éducatif d’anticiper sur les besoins futurs en prenant appui sur les travaux conduits en 1985 par le Bureau d’information et de prévisions économiques (BIPE). Le rappel de quelques données donne l’ampleur des mutations à opérer.
Évolution prévue des emplois dans l’industrie entre 1982 et 2000 | ||
Niveaux | 1982 | 2000 |
VI (sans qualification) | 12 millions d’actifs 56% | 8 millions 32% |
V (CAP – BEP) | 4,8 millions d’actifs 22% | 7,4 millions 30% |
IV – III – II – I (Bac et supérieur) | 4,9 millions d’actifs 22% | 9,4 millions 38% |
Il s’agit là de projections, mais ces données ont fortement pesé sur les orientations nationales et, en conséquence, sur les choix régionaux. C’est ainsi que fut créé le baccalauréat professionnel (loi de décembre 1985) qui devait correspondre à un profil valorisé d’ouvrier technicien et un profil de métier correspondant à une spécialisation donnée par un CAP. À noter que le nombre de jeunes sortis du système scolaire sans diplôme ou qualification a été réduit en dix ans de 10 à 5 %, soit environ 40 000 par an.
Sur ce canevas général se sont bâtis dans les Régions les schémas prévisionnels de formation, certains, au nom d’une bonne adéquation emplois-formation, se sont limités à élaborer une projection tendancielle de l’existant, ce qui ne garantit pas une bonne adaptation aux changements ; d’autres ont mieux su articuler formation initiale et continue et favoriser la mobilité professionnelle.
Une nouvelle étude du BIPE (1996) porte sur les recrutements de débutants pour la période 1996–2005. Cette étude plus ciblée nuance et précise la précédente analyse. La part des emplois les plus qualifiés continue à progresser mais à un rythme moins soutenu. C’est ainsi que les ouvriers qualifiés représenteraient 69 % des emplois ouvriers en 2005 contre 56 % en 1985. À l’autre bout de la chaîne, les cadres supérieurs formeraient 14 % des emplois contre 9,3 % en 1985. Pour l’essentiel les créations nettes d’emplois concerneront les professions intermédiaires, principalement les emplois tertiaires (175 000/an).
Quant aux emplois techniques, ils connaîtraient une quasi-stagnation, la forte baisse des effectifs ouvriers non qualifiés (31 000/an) n’étant pas compensée par les pertes de techniciens (16 000/an) et d’ingénieurs. Dans ce contexte les niveaux de diplômes des jeunes tendent à croître dans toutes les catégories d’emploi.
Dans un contexte de compétitivité économique une nouvelle logique s’impose, celle de l’efficacité qui met désormais en priorité de nouveaux objectifs : faire primer le qualitatif sur l’effort quantitatif.
En conclusion, les difficultés d’insertion des jeunes sortant du système éducatif sans aucun diplôme ne pourront que s’accentuer. La demande de titulaires d’un diplôme à BAC + 2 ou équivalent continue à croître. Elle pourrait même, dans un environnement économique favorable, dépasser les capacités de sorties du système éducatif. Mais surtout subsiste comme risque majeur l’insuffisance globale du nombre d’emplois offerts plus que celui d’un déséquilibre structurel entre les besoins de l’économie et les sorties du système éducatif, ce qui pèsera sur la tendance à l’allongement des études initiales : la réalité de l’emploi pour les titulaires de BTS-DUT, surtout dans les professions tertiaires, incite souvent à la poursuite d’études.
Ce changement de perspective s’accompagne à la fois d’une déconcentration du système en renforçant l’autonomie des acteurs de terrain, enseignants et entreprises, et en conséquence, en faisant prévaloir une logique de la demande qui correspond aux besoins de l’entreprise et à laquelle doit correspondre une formation du jeune. B. Charlot schématise fort bien le passage d’une démarche traditionnelle de transmission des savoirs à la nouvelle logique que l’on peut décrire « comme une demande d’un service spécifique sur le marché de la consommation ».
Savoirs structurés en disciplines
Valeurs culturelles et sociales |
Transmission de ces savoirs
Inculcation de ces valeurs |
Formation de l’individu | Accès à l’emploi |
Nécessités de la production | Demandes de l’entreprise en personnel formé | Offre d’emploi sur le marché du travail | Demande de formation du jeune et de sa famille | Définition d’une formation de « qualité » |
La diversité apparaît comme le corollaire nécessaire de la logique de la demande qui se traduit par une différenciation des lieux de formation. Celle-ci n’est plus le monopole du système scolaire et il doit même s’introduire une émulation entre les établissements et d’autres centres de formation, c’est une façon de préparer les jeunes à la compétition, à l’innovation. Cette mutation s’est opérée avec une participation croissante de l’entreprise dans le dispositif de formation, qu’il s’agisse de séquences éducatives instituées par C. Beullac, jumelages, formation en alternance inscrite comme temps fort du cursus (par exemple : 16 à 20 semaines pour le baccalauréat professionnel), développement de l’apprentissage jusqu’au niveau d’ingénieur.
La donne a profondément changé. Dans les années 1960 est né le concept de la « relation formation-emploi ». Depuis la vision mécaniste initiale s’est fortement estompée et l’on pense maintenant à une « relation simultanée » et non plus consécutive, la formation s’acquérant « dans » et « par » l’emploi au sein de l’entreprise devenue désormais formatrice.
Il importe d’introduire une « relation simultanée » à tous niveaux et ce d’autant que le développement de nouvelles technologies milite pour l’ouverture de l’école sur l’environnement économique. C’est plus largement toute une stratégie de partenariat qui se met en place. Cette synergie de partenariat ne peut être à sens unique et les milieux professionnels réclament maintenant un partage de responsabilité dans la conception et la gestion de l’offre de formation.
La demande des milieux professionnels s’exprime à la fois en termes de reconnaissance sociale, du coût de formation lié à l’alternance et, ce n’est pas le moindre – l’enjeu porte sur des milliards de francs -, des contenus de formation et de leur validation. Autant les entreprises reconnaissent à l’école, avec des nuances, la capacité de faire acquérir les compétences technologiques, autant les compétences professionnelles relèvent de la pratique, de l’expérience acquise sur le terrain avec de plus en plus une nouvelle composante, celle des compétences comportementales caractérisées par le sens de l’organisation, l’autonomie, l’aptitude à communiquer, toutes choses que l’École est mal préparée à dispenser. C’est d’ailleurs l’un des objectifs de l’alternance que de responsabiliser l’élève, de favoriser sa socialisation dans un cadre de travail. Ce cadre général est évolutif et la dialectique entre les avancées technologiques et l’organisation de travail exige une adaptabilité qui remette constamment en cause les tendances à la permanence du système éducatif.
C’est ainsi que l’on assiste à une recomposition du travail dans l’industrie s’accompagnant d’une réduction des emplois spécialisés : Renault, par exemple, a obtenu une validation du CAP « Exploitant d’installations industrielles ». Cette recomposition marquée par une plus grande polyvalence n’est pas propre à ce secteur d’activité, de nouveaux emplois pluriprofessionnels se créent en intégrant des métiers réputés spécialisés. Doit-on dans ce contexte conserver la multiplicité des CAP ou engager sans tarder des regroupements sur des socles professionnels plus larges ? Un rapprochement entre le dispositif scolaire et une nouvelle conception des emplois qui évite la logique de qualification étroite au poste de travail atténuerait l’un des freins à l’insertion des jeunes diplômés.
Les rigidités ne touchent pas seulement la formation initiale, elles concernent également de larges pans de la population active alors que notre pays connaît globalement un déficit de qualification. Au cours de la dernière décennie les entreprises ont très largement anticipé, au nom d’une flexibilité externe, sur les sorties du système éducatif et, compte tenu de la loi de l’offre et de la demande, souvent en embauchant à niveau de diplôme supérieur à la qualification réelle, au détriment de la mobilité interne des personnels en place. Or le chantier est à entreprendre par les deux bouts de la chaîne, formation initiale et continue. Le propos n’a rien du discours incantatoire, il exprime un enjeu pour notre société actuellement trop rigide et traduit en termes d’orientation forte une donnée démographique qui est le vieillissement de la population active en France. On estime qu’entre 1990 et 2010 les effectifs des 25–45 ans se réduiront de 1,2 million et qu’en revanche les plus de 45 ans se renforceront de 5,8 millions. La nécessité d’une formation continuée s’impose donc avec force, le problème éducatif des prochaines années n’est plus, comme on le pense trop souvent, au niveau de l’accès au Savoir, mais tout autant du maintien du Savoir et de la compétence.
Cet enjeu de conduire de pair formation initiale et formation continue se double d’une nouvelle contrainte, celle de l’entrée en force de nouvelles technologies aux évolutions rapides. Pour la formation des élèves et des étudiants le développement de l’alternance apporte une réponse partielle à la mise à niveau technologique des contenus de formation – la rénovation des diplômes est actuellement assurée avec une périodicité de cinq à sept ans maximum – et la mise en œuvre des contrats État-Régions a permis l’introduction d’équipements modernisés dans les établissements. En revanche on ne souligne pas assez le travail en amont dont tout dépend, la formation des enseignants et la qualité de leur qualification technologique et professionnelle. La pénétration en force de nouvelles technologies a imposé aux responsables de formation à la fois :
- d’accroître la technicité de l’enseignant par un travail expérimental, la réalisation de projets sur la base de supports industriels réels et des stages en entreprise,
- de renforcer les acquis en sciences fondamentales, seuls garants d’une bonne adaptabilité future.
Cette dualité est essentielle pour l’enseignant du technique qui articule à la fois théorie et pratique. Il se définit par rapport à une discipline et donc un système de savoirs, mais en même temps il met en œuvre des techniques dans une classe et agit en professionnel. En permanence existe une tension constante entre les deux logiques, celle de la discipline d’appartenance et celle de la pratique – cette spécificité conduit d’ailleurs à poser le problème de l’alternance. L’enseignant du technique apparaît donc comme « multimédiateur » bien sûr près des élèves, mais aussi comme diffuseur de technologie et de savoir près des PME-PMI rattachées au réseau de relations des lycées.
Dresser un état des lieux, recenser les évolutions possibles, définir des objectifs pour insuffler une nouvelle dynamique à l’enseignement technologique et professionnel, tout cela relèvera de l’action académique, voire de l’incantation tant que ces voies de formation garderont près des familles une image négative et seront considérées par les élèves comme des filières de relégation – tout particulièrement pour l’enseignement professionnel. Le handicap tient à la fois à une représentation erronée qu’ont les parents de certains métiers qui n’a plus rien à voir avec la réalité actuelle et plus encore à un obstacle culturel que l’on retrouve à tous niveaux y compris en classe préparatoire pour la nouvelle filière Physique-Technologie (PT) dont les effectifs se réduisent alors même que le nombre de places offertes en écoles d’ingénieurs s’accroît.
En ces temps de réformes annoncées solennellement par la publication de « Chartes » – charte de l’école du xxie siècle (janvier 1999), charte des lycées -, des études particulières sont nécessaires pour le « technique ».
C’est ainsi que les recteurs William Marois et Daniel Bloch font une série de propositions pour l’enseignement professionnel et Christian Forestier traite de la voie technologique de la seconde au BAC + 2. Une nouvelle fois l’enjeu porte sur la nécessaire revalorisation de l’image de ces formations – pour les séries industrielles il s’agit désormais de terres de mission. Si les conclusions n’apportent pas de profond bouleversement elles ont au moins l’intérêt de systématiser des pratiques : pour la voie professionnelle l’élaboration de chartes de partenariat accessibles depuis des sites Web, le développement d’une politique plus active de formation et de transfert de technologie avec les PME-PMI (création de plates-formes associant des établissements), répartition sur l’ensemble de l’année scolaire des périodes de formation en entreprise (le concept « d’enseignement professionnel intégré » succéderait à l’alternance) ; pour la voie technologique l’effort doit porter sur le rééquilibrage entre les séries STI (technique industrielle), STL (technique de laboratoire) et les séries tertiaires aux effectifs pléthoriques. Pour ce faire on cherchera à valoriser la série scientifique « sciences de l’ingénieur » (10 % des bacheliers scientifiques) et par ailleurs on développera des passerelles en créant des premières d’adaptation en lycées professionnels. Ces évolutions devront aller de pair avec le défrichage engagé en formation continue pour favoriser la mobilité professionnelle (validation des acquis, certification des compétences).
L’action en cours est nécessaire mais elle n’est pas suffisante tant que les voies technologique et professionnelle ne seront pas reconnues aux yeux du public comme d’égale dignité avec les autres voies de formation – cela passe aussi par l’enseignement dispensé dans des établissements aussi prestigieux que ceux traditionnellement réservés à l’enseignement général. En bout de chaîne, le marché de l’emploi et les perspectives de carrière à l’issue des études dans l’enseignement technique sont les éléments les plus convaincants pour considérer dans l’opinion publique qu’il s’agit d’une voie d’excellence à l’égal d’autres voies de formation. Mais ce registre va bien au-delà de mesures institutionnelles ou de campagne de promotion…