L’entrepreneur en France, ce mal-aimé !

Dossier : Créer des entreprisesMagazine N°584 Avril 2003
Par Philippe HAYAT (85)

Par­mi toutes les dif­fi­cul­tés que ren­contre la créa­tion en France, nom­breuses sont celles qui prennent en otage le can­di­dat à l’entreprise.
L’a­na­lyse qui suit est issue d’une expé­rience entre­pre­neu­riale per­son­nelle et de cen­taines de ren­contres avec des chefs d’en­tre­prises, qu’ils aient été les clients, four­nis­seurs, com­pé­ti­teurs ou les per­sonnes que l’au­teur a aidé à entreprendre.

L’entrepreneuriat est mal compris en France

La créa­tion d’en­tre­prises est absente des pré­oc­cu­pa­tions natio­nales : elle est pra­ti­que­ment absente de l’en­sei­gne­ment (très récente dans les écoles de com­merce) ; mais éga­le­ment absente des débats poli­tiques, foca­li­sés davan­tage sur les grandes entre­prises et les enjeux macroé­co­no­miques. Com­ment peut-il en être autre­ment, alors que les chefs d’en­tre­prises repré­sentent 6 % des dépu­tés, contre 23 % pour les ensei­gnants et 17 % pour les fonctionnaires ?

Cer­taines idées reçues teintent néga­ti­ve­ment la créa­tion d’en­tre­prises : la créa­tion d’en­tre­prises est plus sou­vent consi­dé­rée comme un par­cours du com­bat­tant et le sacri­fice de sa vie pri­vée que comme une véri­table aven­ture, source d’é­pa­nouis­se­ment et de réa­li­sa­tion de soi-même. Cette image est d’ailleurs sou­vent véhi­cu­lée par les entre­pre­neurs eux-mêmes, que l’on montre plus sou­vent abat­tus que ravis.

Les der­nières lois sociales vont à l’en­contre de l’es­prit entre­pre­neu­rial : com­ment insuf­fler le goût de l’ef­fort lors­qu’on annonce qu’il est désor­mais pos­sible de tra­vailler moins en gagnant autant, et lors­qu’on oppose tra­vail et loi­sir ? Com­ment culti­ver l’es­prit de conquête, lors­qu’on se résout à par­ta­ger la capa­ci­té d’emploi exis­tante plu­tôt que cher­cher à l’aug­men­ter ? Com­ment favo­ri­ser la moti­va­tion des équipes, fac­teur fon­da­men­tal de réus­site d’une petite entre­prise, lors­qu’on ne cesse d’op­po­ser les inté­rêts du sala­rié à ceux de son entre­prise (réduc­tion du temps de tra­vail, dia­bo­li­sa­tion des réduc­tions d’ef­fec­tifs) ? Com­ment res­pon­sa­bi­li­ser les déci­deurs en leur impo­sant de façon auto­ri­taire des lois uni­formes, indé­pen­dantes du contexte spé­ci­fique à chaque entre­prise (heures sup­plé­men­taires régle­men­tées…) ? Com­ment enfin res­pon­sa­bi­li­ser l’in­di­vi­du dans sa rela­tion au tra­vail en maquillant, par des mesures coû­teuses et arti­fi­cielles (dur­cis­se­ment des plans sociaux), le fait qu’une situa­tion pro­fes­sion­nelle est aujourd’­hui faite d’incertitudes ?

L’i­dée de départ des 35 heures aurait pu don­ner lieu à un débat de socié­té riche et posi­tif concer­nant l’é­qui­libre des vies pro­fes­sion­nelle et per­son­nelle. Elle a au contraire conduit à déva­lo­ri­ser le goût de l’ef­fort, et fina­le­ment la notion même de la valeur du travail.

Cet état d’es­prit qui règne en France fait consi­dé­rer l’emploi comme un objec­tif de l’en­tre­prise, alors qu’il n’est qu’une consé­quence de sa bonne san­té. Car l’en­tre­prise cherche, avant tout, à péren­ni­ser son ave­nir en aug­men­tant sa capa­ci­té d’au­to­fi­nan­ce­ment et de déve­lop­pe­ment, et en rému­né­rant conve­na­ble­ment ses action­naires pour ren­for­cer son capital.

Le phé­no­mène est irré­ver­sible : la concur­rence étant aujourd’­hui ins­tan­ta­née et mon­diale toute légis­la­tion pri­vi­lé­giant la sau­ve­garde de l’emploi relève d’un com­bat d’ar­rière-garde, alors que le vrai pro­blème est de déve­lop­per les moyens de for­mer et réin­sé­rer ceux qui se trouvent aujourd’­hui dépas­sés par les exi­gences des éco­no­mies nouvelles.

Les PME, plus sen­sibles aux sou­bre­sauts et aux aléas du mar­ché et de la concur­rence, ont plus besoin de capa­ci­té de réac­tion et de sou­plesse, que de contraintes. Elles ne se déve­loppent que grâce à leurs sala­riés, qui seront d’au­tant mieux rému­né­rés et épa­nouis que leur entre­prise se porte bien ; conver­gence des inté­rêts des sala­riés et de leur entre­prise qui ne doit pas être détruite par une légis­la­tion à contre-courant.

La situation personnelle de l’entrepreneur reste précaire

La pré­ca­ri­té ne se situe pas au niveau des assu­rances mala­die et vieillesse.

Il existe plu­sieurs sta­tuts pour l’entrepreneur :

  • le tra­vailleur indé­pen­dant (entre­prise indi­vi­duelle ; 50 % des cas), un non-sala­rié, dont le patri­moine pro­fes­sion­nel se confond avec ses biens propres ;
  • le gérant majo­ri­taire (EURL ou SARL) qui a créé la socié­té qu’il dirige, et qui déli­mite son patri­moine pro­fes­sion­nel ; éga­le­ment un non-sala­rié (30 % des cas) ;
  • le diri­geant sala­rié des autres types de socié­tés (SA, etc.), un sala­rié, mais en tant que man­da­taire social (révo­cable « ad nutum » sans droit aux Assedic).

Si le diri­geant sala­rié est bien cou­vert comme tout sala­rié, qu’en est-il du chef d’en­tre­prise non sala­rié (80 % des cas) ?

Les assu­rances d’un non-sala­rié et d’un sala­rié sont équi­va­lentes depuis le 1er jan­vier 2001. L’en­tre­pre­neur non sala­rié peut, de plus, sous­crire une garan­tie sup­plé­men­taire « arrêt de tra­vail pour cause d’ac­ci­dent » lui confé­rant les mêmes droits que ceux du régime salarié.

Le sys­tème des retraites est plus inté­res­sant pour le non-sala­rié que pour le sala­rié : depuis 1973, même sécu­ri­té vieillesse (régime de base Orga­nic). Mais, l’en­tre­pre­neur non sala­rié peut sous­crire une retraite com­plé­men­taire par capi­ta­li­sa­tion (loi Made­lin de 1994) qui s’a­vère plus effi­cace que les caisses de retraite par répar­ti­tion du régime sala­rié, à mon­tant de coti­sa­tion identique.

Les coûts de la cou­ver­ture maladie/vieillesse d’un non-sala­rié et d’un sala­rié sont équi­va­lents dans la mesure où la dif­fé­rence per­met­tra au gérant majo­ri­taire de coti­ser à une retraite com­plé­men­taire par capi­ta­li­sa­tion pour béné­fi­cier d’une cou­ver­ture équivalente.

Le sta­tut de gérant majo­ri­taire s’a­vère par­ti­cu­liè­re­ment inté­res­sant depuis la loi Made­lin de 1994 (déduc­ti­bi­li­té des charges payées au titre de la cou­ver­ture sociale mala­die, décès/invalidité et vieillesse).

Cela per­met de ver­ser à l’en­tre­pre­neur un reve­nu net de charges (envi­ron 35 %, déduc­tible du résul­tat de la socié­té) tout en sépa­rant son patri­moine pro­fes­sion­nel de son patri­moine privé.

Le vrai pro­blème de la cou­ver­ture sociale pour l’en­tre­pre­neur, outre l’ex­cep­tion notable du chô­mage, réside dans le fait de devoir coti­ser à ces assu­rances sans même géné­rer du chiffre d’af­faires ; un coût lourd en début d’ac­ti­vi­té, qu’il sup­porte seul puisque sa richesse et celle de l’en­tre­prise se confondent.

De nom­breux entre­pre­neurs sont exclus de l’as­su­rance chô­mage : alors que l’en­tre­pre­neur, sala­rié avant la créa­tion, peut béné­fi­cier de l’as­su­rance chô­mage, en cas de ces­sa­tion d’ac­ti­vi­té au cours des trente-six pre­miers mois, ceux qui n’ont jamais coti­sé à l’as­su­rance chô­mage (tra­vailleurs indé­pen­dants, étu­diants, fonc­tion­naires ou man­da­taires sociaux) en sont exclus. Sont exclus éga­le­ment les entre­pre­neurs ayant dépo­sé leur bilan après trois ans d’ac­ti­vi­té. Certes les diri­geants peuvent sous­crire à des assu­rances chô­mage per­son­nelles (hor­mis les pro­fes­sions libé­rales), mais elles sont imparfaites.

Le congé pour créa­tion d’en­tre­prise, offrant en théo­rie la pos­si­bi­li­té au sala­rié de retrou­ver son poste en cas d’é­chec, com­porte des contraintes ren­dant le dis­po­si­tif peu utilisé.

Par ailleurs, l’en­tre­pre­neur, qui aurait démis­sion­né pour mon­ter son pro­jet, vit sur son seul patri­moine pen­dant la phase d’é­tude pré­créa­tion, contrai­re­ment au sala­rié licen­cié qui touche ses droits Assedic.

L’en­tre­pre­neur est sou­vent res­pon­sable sur son patri­moine per­son­nel : la déli­mi­ta­tion entre les patri­moines per­son­nel et pro­fes­sion­nel du chef d’en­tre­prise s’a­vère sou­vent dif­fi­cile à éta­blir. Le tra­vailleur indé­pen­dant est res­pon­sable sur ses biens propres. C’est éga­le­ment le cas pour le chef d’en­tre­prise ayant dû concé­der une cau­tion per­son­nelle lors de l’ob­ten­tion d’un prêt. Au risque opé­ra­tion­nel propre à toute ini­tia­tive vient donc s’a­jou­ter un risque exis­ten­tiel tou­chant au patri­moine familial.

L’en­tre­pre­neur encourt des risques pénaux par­fois injustes : pour com­plé­ter la pano­plie des risques de l’en­tre­pre­neur, signa­lons que le Code du tra­vail ne com­porte pas moins de 140 dis­po­si­tions sanc­tion­nées péna­le­ment pour le man­da­taire social. Les garde-fous ten­dant à empê­cher le chef d’en­tre­prise de négli­ger la sécu­ri­té de son per­son­nel ou de prendre des liber­tés avec les comptes de sa socié­té sont bien sûr légi­times. Force est de consta­ter que la ten­ta­tion est grande pour cer­tains juges de faire du « patron » un sus­pect a prio­ri, ou une cible de choix.

La fiscalité personnelle de l’entrepreneur est décourageante

La conjonc­tion des fis­ca­li­tés s’a­vère lourde à sup­por­ter : l’en­tre­pre­neur est assu­jet­ti à la fis­ca­li­té comme tous ; mais, s’il paye l’im­pôt sur le reve­nu (taxa­tion sur les pla­ce­ments et IRPP) il paye, au titre de l’ISF, un impôt sur la valeur de ses biens à laquelle vient s’a­jou­ter la valeur de sa par­ti­ci­pa­tion dans la socié­té : ce qui peut conduire à un taux glo­bal de pré­lè­ve­ment sur ses reve­nus très important.

Cet effet fis­cal est com­plé­té par une taxa­tion, en cas de vente, sur la plus-value réalisée.

La com­pa­rai­son euro­péenne est mal­heu­reu­se­ment sans appel : la France reste dans les normes euro­péennes, en ce qui concerne l’im­pôt sur les socié­tés (33,3 % vrai­sem­bla­ble­ment à par­tir de 2003) et celui sur les plus-values (26 %, voire 0 si le pla­ce­ment se trouve dans un PEA). Elle a fait un effort sur l’im­pôt sur les micro­so­cié­tés (15 % pour les socié­tés réa­li­sant moins de 38 112 € de béné­fice, à par­tir du 1er jan­vier 2002).

En revanche, la France est à l’a­vant-der­nier rang euro­péen concer­nant l’im­pôt sur la for­tune (nul en Alle­magne, Ita­lie et Grande-Bre­tagne), au der­nier rang euro­péen concer­nant le taux mar­gi­nal d’im­pôt sur le reve­nu (60,5 %, contre 47 % pour l’Al­le­magne, 46 % pour l’I­ta­lie et 40 % pour la Grande-Bre­tagne), au der­nier rang euro­péen concer­nant la fis­ca­li­té des divi­dendes (62,4 %, contre 47,5 % pour l’Al­le­magne, 44,9 % pour l’I­ta­lie et 53,4 % pour la Grande-Bre­tagne), (source Medef).

Enfin, la France se situe éga­le­ment au der­nier rang concer­nant l’im­pôt sur la trans­mis­sion d’en­tre­prise (38,7 %, contre 11 % pour l’Al­le­magne, 15,5 % pour l’I­ta­lie et 0 pour la Grande-Bre­tagne), (source Medef). Ce qui entraîne de graves consé­quences sur la péren­ni­té d’une entre­prise, les des­cen­dants du fon­da­teur pou­vant être contraints de vendre l’en­tre­prise fami­liale pour en régler les frais de transmission.

L’im­pôt de soli­da­ri­té sur la for­tune entraîne des situa­tions aber­rantes : les dis­po­si­tions de la régle­men­ta­tion fran­çaise conduisent à des ano­ma­lies qui ont des effets néga­tifs. Pas­sé cer­taines limites (déten­tion de moins de 25 % du capi­tal, repré­sen­tant moins de 75 % de son patri­moine) la par­ti­ci­pa­tion dans la socié­té n’est plus consi­dé­rée comme outil de tra­vail ; non enri­chi (il ne pos­sède que du « papier » ; il a même res­treint son salaire pour inves­tir dans sa socié­té), l’en­tre­pre­neur doit payer chaque année entre 0,55 % et 1,8 % de la valeur esti­mée de ses actions ; valeur dont on ne peut pré­ju­ger l’é­vo­lu­tion. Une fois encore, des moti­va­tions d’ordre dog­ma­tique (l’ISF, mal­gré sa modi­ci­té) prennent le pas sur l’ef­fi­ca­ci­té économique.

La fis­ca­li­té fait perdre à la France une part de son attrac­ti­vi­té : on constate ain­si le départ à l’é­tran­ger de patri­moines impor­tants, qui auraient pu être inves­tis dans la créa­tion d’en­tre­prises en France. Les chiffres offi­ciels (2 mil­liards d’eu­ros par an) semblent sous-esti­més. Les contri­buables (25 000 en 1997 ; 24 000 en 1998) ont trans­fé­ré leur domi­cile fis­cal à l’é­tran­ger. Envi­ron 75 mil­liards d’eu­ros de capi­taux ont quit­té la France entre 1996 et 2000. Les experts estiment aujourd’­hui la fuite des capi­taux à envi­ron 8 mil­liards d’eu­ros par an (source Rap­port d’In­for­ma­tion 2000–2001 du Sénat).

L’entrepreneur est seul face à la complexité de la création

La créa­tion d’en­tre­prises est d’une com­plexi­té effrayante : l’en­tre­pre­neur est confron­té à un nombre impres­sion­nant de para­mètres juri­diques, sta­tu­taires et fis­caux, sur les­quels il doit se posi­tion­ner dans les trois pre­miers mois d’activité :

  • types d’ac­ti­vi­té : agri­cole, pro­fes­sion libé­rale, arti­sa­nale ou commerciale,
  • formes juri­diques pour l’en­tre­prise : de l’en­tre­prise indi­vi­duelle jus­qu’à la socié­té arti­sa­nale ou commerciale,
  • sta­tuts pour le chef d’en­tre­prise com­por­tant des cou­ver­tures sociales différentes,
  • mul­ti­pli­ci­té d’or­ga­nismes sociaux, selon le sta­tut choi­si, cor­res­pon­dant à des régimes différents,
  • fis­ca­li­tés pour le diri­geant d’entreprise,
  • centres d’en­re­gis­tre­ment,
  • un pro­ces­sus d’ap­port en nature, fré­quent dans le cas d’as­so­cia­tion de com­pé­tences et de savoir-faire, éga­le­ment com­plexe et contraignant.

Les struc­tures d’ac­com­pa­gne­ment sont par­ti­cu­liè­re­ment inef­fi­caces : la plu­part des entre­pre­neurs res­tent encore livrés à eux-mêmes lors­qu’ils créent leur entre­prise. Bien que de nom­breuses mesures de sim­pli­fi­ca­tion admi­nis­tra­tive aient vu le jour depuis 1994 et que la créa­tion, en 1981, des Centres de For­ma­li­tés des Entre­prises (Chambres de com­merce et de métiers) ait ren­du pos­sible la cen­tra­li­sa­tion des for­ma­li­tés de créa­tion. Mais ces Centres res­tent avant tout des centres d’en­re­gis­tre­ment, et non des lieux d’ac­cueil, d’in­for­ma­tion, d’o­rien­ta­tion ou de formation.

Les Chambres de com­merce ont accor­dé par la démarche « entre­prendre en France » un accom­pa­gne­ment à 3 000 créa­teurs en 1998, 1,5 % du nombre total des créa­teurs, contre 15 000 ini­tia­le­ment pré­vus (source Ins­pec­tion géné­rale des finances). Au total, 3 000 struc­tures publiques ou para­pu­bliques ont pour mis­sion d’ac­com­pa­gner les entre­pre­neurs (les Chambres de com­merce, Chambres des métiers, Bou­tiques de Ges­tion, plates-formes de France Ini­tia­tive Réseaux, etc.).

À titre d’exemple, dans les seules Chambres de com­merce, près de 4 000 employés sont affec­tés à la créa­tion d’en­tre­prises, soit deux créa­tions par employé et par mois ! Mal­gré ces moyens, seule­ment 10 % des créa­teurs béné­fi­cient chaque année d’un accom­pa­gne­ment. Par ailleurs, l’offre inégale de ces réseaux et leur éven­tuelle concur­rence sur le ter­rain dimi­nuent leur effi­ca­ci­té (Rap­port de l’As­sem­blée natio­nale de jan­vier 2001).

L’État impose des charges illogiques au démarrage

L’en­tre­prise com­mence par payer des charges avant de géné­rer du chiffre d’af­faires : par­mi elles figurent, en par­ti­cu­lier, les charges sociales. Par exemple, dans le cas d’une entre­prise indi­vi­duelle, un mon­tant for­fai­taire de l’ordre de 3 000 € est pré­le­vé en l’ab­sence de toute réfé­rence d’activité.

Notons au pas­sage que l’exo­né­ra­tion de charges sociales pour l’embauche du pre­mier sala­rié vient d’être sup­pri­mée à par­tir du 1er jan­vier 2002 (rem­pla­cée par un allé­ge­ment de coti­sa­tions lié aux 35 heures !).

Le niveau des charges sociales est rédhi­bi­toire : ce n’est plus l’ob­jet d’un débat, puisque tout le monde s’ac­corde à les trou­ver trop éle­vées. Lorsque l’en­tre­prise rému­nère un sala­rié 1 000 €, cela lui coûte 1 500 €, et le sala­rié n’en reçoit que 800 avant impôt sur le revenu !

Quelques réduc­tions de charges existent pour les bas salaires, les chô­meurs longue durée, etc., mais glo­ba­le­ment le pro­blème demeure entier pour la majeure par­tie des entre­prises et des emplois.

Les entre­prises fran­çaises subissent un lourd han­di­cap par rap­port à leurs concur­rentes euro­péennes : à salaire et situa­tion iden­tiques (reve­nu net après impôt de 70 €) le coût pour l’en­tre­prise serait en France de 179 k€, contre 116 en Alle­magne, 111 en Grande-Bre­tagne, 172 en Ita­lie, 141 aux Pays-Bas. Pour un céli­ba­taire, le coût pour l’en­tre­prise en France s’é­lève à 229 k€, contre 129 en Alle­magne, 116 en Grande-Bre­tagne, 189 en Ita­lie, 147 aux Pays-Bas (source Fran­cis Lefebvre).

L’en­tre­prise finance la TVA de ses achats à la place de l’É­tat : les achats effec­tués par la jeune entre­prise sont payés TTC, c’est-à-dire qu’elle paie la TVA. Le rem­bour­se­ment de celle-ci par l’É­tat n’in­ter­vient que lorsque l’en­tre­prise com­mence à géné­rer du chiffre d’af­faires (en déduc­tion de la TVA due sur les ventes).

Il en résulte un besoin de finan­ce­ment (finan­ce­ment si dif­fi­cile à obte­nir) des­ti­né à finan­cer… l’État !

La taxe pro­fes­sion­nelle est absurde : véri­table ser­pent de mer, ce sujet a été abor­dé par tous les gou­ver­ne­ments et consti­tue tou­jours un contre­sens éco­no­mique. Cette taxe touche les fac­teurs de pro­duc­tion, donc péna­lise les entre­prises qui recrutent et qui inves­tissent. Elle est payée avant toute créa­tion de richesse, puisque son mode de cal­cul est fixe quel que soit le pro­fit réalisé.

Les salariés ne sont pas convenablement intéressés

Le suc­cès d’une entre­prise réside essen­tiel­le­ment dans sa capa­ci­té à faire tra­vailler une équipe d’hommes et de femmes, moti­vée autour d’un pro­jet com­mun pour lequel ils s’é­pa­noui­ront, pour leur plus grand bien et celui de leur socié­té. Il est donc fon­da­men­tal que les sala­riés se sentent inté­res­sés à la fois au suc­cès de leur propre tra­vail et à l’a­ve­nir de leur entre­prise en par­ti­ci­pant à son capital.

Les plans d’in­té­res­se­ment usuels sont très limi­tés : la par­ti­ci­pa­tion des sala­riés aux béné­fices de l’en­tre­prise (pas toutes les entre­prises) ne suf­fit pas, par ses mon­tants, à déve­lop­per une réelle moti­va­tion finan­cière. Elle ne per­met pas non plus la pro­prié­té de capi­tal, géné­ra­teur poten­tiel de plus-value. Le plan d’in­té­res­se­ment, facul­ta­tif, s’ins­crit dans le même contexte. Enfin, le Plan d’É­pargne Entre­prise res­semble plus à une retraite com­plé­men­taire qu’à une par­ti­ci­pa­tion capi­ta­lis­tique ; de plus, ses mon­tants sont limités.

Le régime des stock-options n’est pas favo­rable aux sala­riés : sa fis­ca­li­té, ses contraintes et sa com­plexi­té en font un outil peu inté­res­sant, les taux d’im­po­si­tion variant en fonc­tion tant de l’im­por­tance de la plus-value que de la date de cession.

Les délais (quatre et six ans) ne tiennent en outre pas compte de l’an­cien­ne­té du sala­rié, mais de la date d’at­tri­bu­tion des stock-options.

Le dis­po­si­tif des BSPCE reste incom­plet : la créa­tion des BSPCE (bons de sous­crip­tion de parts de créa­teur d’en­tre­prise) consti­tue une avan­cée impor­tante, mais encore impar­faite. Ils sont réser­vés à des entre­prises com­mer­ciales de moins de quinze ans, pou­vant être cotées sur le nou­veau mar­ché ou ses équi­va­lents euro­péens, déte­nues au moins à 25 % par des per­sonnes phy­siques. Ils per­mettent une fis­ca­li­té inté­res­sante sur les plus-values. Mais ce dis­po­si­tif exclut les PME vieilles de plus de quinze ans, les PME cotées sur le second mar­ché et les PME issues de l’es­sai­mage ; il exclut éga­le­ment les non-sala­riés des PME (admi­nis­tra­teurs, consul­tants, etc.), qui y trou­ve­raient une moti­va­tion pécu­niaire en l’ab­sence de capa­ci­té de rému­né­ra­tion de l’entreprise.

D’une manière géné­rale, l’ad­mi­nis­tra­tion fis­cale se montre très sus­pi­cieuse en matière d’at­tri­bu­tion d’ac­tions à un sala­rié ; un prix pré­fé­ren­tiel reste très mal vu, car il peut cacher un salaire dégui­sé, exo­né­ré de charges sociales (une décote de 5 à 10 % sur le prix de la tran­sac­tion finan­cière la plus récente est tolérée).

Enfin, un sala­rié ayant exer­cé ses bons de sous­crip­tion d’ac­tions se retrouve en géné­ral pro­prié­taire de moins de 25 % de l’en­tre­prise. Ses actions ne sont donc plus consi­dé­rées comme un outil de tra­vail, et entrent dans l’as­siette d’im­po­si­tion à l’ISF. Si ce patri­moine dépasse 715 000 €, le sala­rié devra payer un impôt sur une richesse aléa­toire qu’il n’a pas encore per­çue. Para­doxa­le­ment, un outil de tra­vail n’est pas l’en­tre­prise dans laquelle on travaille…

En matière de conclusion

La créa­tion d’en­tre­prises consti­tue le sujet des années à venir, tant dans le domaine éco­no­mique que social. Plus que des mesures diverses essayant d’en­cou­ra­ger les uns (les entre­pre­neurs) sans s’at­ti­rer les foudres des autres (les poli­tiques et une par­tie de l’é­lec­to­rat), il convien­drait de déclen­cher un vrai choc psy­cho­lo­gique : se décla­rer fran­che­ment en faveur des entre­pre­neurs, et tout faire pour les encou­ra­ger et leur faci­li­ter la tâche.

Une tâche dif­fi­cile et de longue haleine.

Et pour­tant, il y a urgence…

Phi­lippe Hayat pos­sède une expé­rience de créa­teur de plus de dix ans (Les Bâches de France, Kan­ga­roo Vil­lage, incu­ba­teur de pro­jets). Il tra­vaille aujourd’­hui à la Socié­té Géné­rale où il s’oc­cupe de capi­tal-risque. Il est pro­fes­seur à l’ES­SEC, où il a fon­dé la filière « Créa­tion d’entreprise ».

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