L’entrepreneuriat, clé de la reprise
Les pouvoirs publics doivent travailler à un niveau microéconomique, les gouvernements pour créer un environnement favorable à la reprise, les banques centrales pour s’assurer que le crédit se débloque pour les entreprises, en particulier les PME.
L’efficacité de l’action politique repose maintenant tout entière sur la bonne articulation entre micro et macro, et à cette intersection se situe un acteur économique fondamental : l’entrepreneur.
REPÈRES
L’ouvrage proposé par les auteurs, intitulé Comment (re)faire de la France un pays entreprenant ? (L’Harmattan, 2013 ; voir recension p.62) s’appuie sur les travaux du think tank X‑Sursaut qui s’est penché sur cette question cruciale pour l’avenir économique de la France lors d’un colloque en décembre 2012, réunissant des entrepreneurs, des chefs d’entreprises, des hauts fonctionnaires et des chercheurs.
Il en ressort que la France, pas plus que l’Europe, ne manque de personnes voulant entreprendre, soit pour créer leur propre entreprise, soit pour lancer un projet au sein d’une structure existante. Mais la création d’entreprises est plus dynamique aux États-Unis que de notre côté de l’Atlantique, car ce qui nous fait défaut, c’est « l’esprit d’entreprise ».
Cultiver la volonté d’entreprendre
L’acte d’entreprendre n’est pas valorisé en France. On préfère s’indigner plutôt que de chercher des solutions et de les appliquer avec patience et effort. Le système induit une plus forte aversion au risque.
La structure de notre société n’est pas favorable à l’entrepreneuriat
Les Américains peuvent plus facilement se lancer dans des paris technologiques, alors que les entrepreneurs français sont davantage présents sur des secteurs plus protégés, comme les services ou le commerce, ce qui explique le décalage d’innovation et de création de nouveaux grands groupes entre nos deux pays.
Cette frilosité tient sans doute à des facteurs culturels, mais il serait trop simple de conclure à l’atavisme et de s’accommoder de fatalisme. C’est la structure de notre société qui n’est pas favorable à l’entrepreneuriat, qui l’entrave par mille petites choses.
L’entrepreneur qui a échoué en France aura souvent besoin de plusieurs années pour liquider ses dettes et pouvoir repartir à zéro, contre quelques mois à peine aux États-Unis. En Allemagne, l’entrepreneur devra même renoncer la plupart du temps à tout poste à responsabilité dans un grand groupe. Si l’échec est si lourd à porter, qui osera entreprendre ?
Créer une culture du risque
Il est donc important de créer un environnement favorable à l’entrepreneuriat : c’est un travail de fourmi pour dépoussiérer tous ces tics législatifs ou réglementaires accumulés avec le temps qui font passer l’entrepreneur au mieux pour un homme cupide et sans scrupule, au pire pour un escroc en puissance.
Dédommager les conservateurs
La fiscalité a une incidence financière pour l’entrepreneur, bien sûr, mais aussi symbolique : c’est la collectivité qui reconnaît ainsi son importance. Accepter le changement, c’est aussi l’organiser : la « destruction créatrice » implique que certains seront lésés. Pour éviter qu’ils n’entravent l’innovation par leur position conservatrice, il faut les dédommager, par un transfert des gagnants vers les perdants, via des fonds de reconversion ou de formation professionnelle.
Contrairement aux États- Unis, l’entrepreneuriat en Europe, et en France, n’est pas une affaire purement individuelle, elle résulte aussi d’une aventure collective. Statistiquement, les entrepreneurs qui réussissent sont ceux qui sont dotés d’un solide capital financier et social : des compétences, des moyens, un réseau.
Par des aides publiques comme le statut de « jeune entreprise innovante » qui permet de bénéficier d’une exonération de charges sociales et fiscales, des réseaux comme ceux des pôles de compétitivité ou des chambres de commerce et d’industrie, ou encore un accompagnement de proximité par des pépinières d’entreprises, l’entrepreneur a la possibilité d’être soutenu durant les premières années de son projet.
Revaloriser les métiers du changement
L’entrepreneur est celui qui parvient à « combiner les forces et les choses que nous avons à notre portée ». Encore faut-il que celles-ci soient bien à sa disposition, et c’est là le rôle premier des pouvoirs publics : offrir des opportunités. Cela veut dire, tout d’abord, revaloriser les « métiers du changement » : ingénieur, chercheur, technicien ou professeur.
Les écoles d’ingénieurs françaises mettent de plus en plus tôt leurs étudiants au contact des réalités industrielles et technologiques pour développer chez eux l’esprit d’entreprise, en accueillant sur leur site, comme à Palaiseau sur le campus de l’X, grandes entreprises et laboratoires.
Offrir des opportunités
Cela veut dire aussi donner les moyens financiers.
Donner du temps
Créer une culture d’entreprise veut également dire donner une perspective. L’entrepreneuriat a besoin de temps. Il faut lui en donner, donc avoir une stabilité fiscale et réglementaire. La valse législative est un « tue‑l’avenir », nul ne peut investir sans horizon dégagé. La lourdeur et l’inertie de la réglementation et de la fiscalité sont décourageantes.
Les systèmes d’entrepreneuriat des différents pays, voire des villes, sont en concurrence pour attirer les meilleurs talents, les capitaux prêts à soutenir l’innovation et les idées les plus créatives. Se placer dans une perspective entrepreneuriale est un impératif pour ne pas rater le coche de la reprise.
Les PME souffrent du manque de financement : les banques leur prêtent peu, l’accès aux marchés financiers est difficile et l’autofinancement ne peut pas tout. Brancher l’épargne sur le financement de l’innovation, refaire des banques des partenaires de long terme des entreprises et développer les fonds dédiés à l’entrepreneuriat (capital-risque) sont nécessaires.
Les jeunes pousses croissent beaucoup moins vite en France qu’aux États-Unis, faute d’être soutenues par des business angels. L’entrepreneur a besoin de financeurs prêts à prendre des risques avec lui. Cela signifie également avoir accès aux ressources énergétiques, en trouvant le bon équilibre entre une énergie nucléaire peu coûteuse mais risquée, et de nouvelles sources d’énergie plus respectueuses de l’environnement mais dont le modèle économique et technique reste à définir.
Cela veut dire, enfin, mieux assurer le passage de la recherche vers ses applications industrielles ou économiques.
Donner de la visibilité
Les structures d’accompagnement des entrepreneurs sont nombreuses, il y a bien plus de fées bienveillantes que de berceaux à bénir. Mais, en définitive, l’entrepreneur se sent souvent bien seul au milieu de cette « aventure collective ».
Clarifier les dispositifs, souvent concurrents et redondants, est important. Il faut les regrouper, en supprimer certains ; en un mot, se mettre à la place de « l’utilisateur » et être pragmatique. Mais rationalisation ne veut pas dire uniformisation. Un entrepreneur en biotechnologie n’a pas du tout les mêmes besoins que celui qui crée un négoce de machines-outils.
Encourager le long terme
L’entrepreneur a besoin de financeurs prêts à prendre des risques avec lui
Il faut, encore, encourager les capitaux patients et les actionnaires de long terme, résister à la tentation des évaluations permanentes, protéger les idées naissantes par des brevets.
Les pouvoirs publics ont les moyens d’anticiper à bien des égards : en donnant des perspectives de long terme, en ayant une logique de marchés publics tournée vers les besoins futurs et les solutions innovantes, en développant des formations adaptées aux métiers de demain ou en finançant des recherches qui ne porteront leurs fruits que dans dix ou vingt ans.
Pas de fatalité, mais un sursaut
Il n’y a de fatalité ni à la stagnation économique ni au déclin. C’est notre façon de voir qui est pessimiste, mais les citoyens qui ont des idées et qui font bouger les lignes sont nombreux. Il faut leur en donner les moyens, la France en a besoin pour reprendre son destin en main .
Et c’est par mille petites choses pragmatiques que la France peut renouer avec sa tradition de créativité et de dynamisme. Ce n’est pas pour rien que le mot entrepreneur en anglais vient du français.
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Ingénieur des Mines au départ, ayant buté sur la servitude du salariat, j’ai commencé à créer des entreprises à partir de 2006, soit 10 ans après ma sortie du monde éducatif.
Ce qui m’a le plus aidé ? Mes 5 années passées à faire du consulting, véritable boîte à outil du business, et troisième cycle d’économie appliquée.
Développons les enseignements pratiques et la mise à jour des compétences tout au long de la vie, c’est cela dont je pense nous avons besoin.
Merci à vous et à X‑Sursaut