L’envers du décor : La création d’une coopérative familiale à Madagascar
La fierté des travailleurs de l’atelier saute aux yeux. Même si leurs conditions de vie, leur logement, leur santé, l’avenir de leurs enfants restent encore précaires, leur vie a changé
Nous sommes le long de la rivière Licrou au pied des collines à Tananarive, capitale de Madagascar. Ici s’étend sur plus d’un kilomètre une décharge de la ville qui fait vivre des milliers de personnes, adultes et enfants comme Sire (11 ans) : » Ici la nuit je récupère des papiers, des tissus, des bouteilles, des bouts de jean. Après ça je peux aller jouer au ballon pendant la journée, moi je suis Zidane. » Travailleur la nuit et Zidane le jour, Sire ne va pas à l’école. Toutes les nuits et jusqu’à 4 heures du matin, parents et enfants trient les déchets au rythme de l’arrivée des camions. Puis au petit matin ils vont vendre leur récolte dans les marchés. Si la nuit a été fructueuse, cela leur paie les repas de la journée.
Vivre comme les autres
Quitter la décharge est difficile car les familles y ont leurs habitudes pour survivre au jour le jour. Et, surtout, elles perdent confiance en elles, elles ne savent plus comment trouver un travail décent et se sentent en marge de la société. C’est auprès de ces familles que l’ONG ATD Quart Monde a choisi d’intervenir.
S’insérer dans le circuit économique
Un vrai travail
Après l’implantation de sept bibliothèques de rue dans le quartier, les parents nous ont interpellés. Ils nous ont dit : « C’est très bien ce que vous faites avec les enfants, mais nous, où est-ce qu’on peut apprendre ? Nous n’avons pas assez d’argent pour vivre, nous n’arrivons pas à inscrire nos enfants à l’école. » Alors est né le projet de la coopérative. La première question était : « Qu’est-ce que vous savez faire, qu’est-ce que vous avez envie d’apprendre ? » Avec l’idée que les plus pauvres peuvent intégrer le circuit économique ; c’est le grand enjeu, c’est vraiment l’idéal que portent les familles, de sortir du travail informel qui, parfois, est proche pour certains de la mendicité et d’avoir un vrai travail avec une vraie régularité, avec une vraie reconnaissance et donc aussi un vrai revenu.
Monique Veyres, déléguée nationale d’ATD Quart Monde à Madagascar
Avec plusieurs financements, notamment celui de l’ambassade américaine, un petit atelier de couture a ouvert, puis ATD a loué deux grands bâtiments en ville loin des décharges, et mois après mois des ateliers se sont mis en place : broderie, menuiserie, huilerie, tissage. D’autres partenaires financiers ont rejoint le projet comme Alcatel ou DTS (un des fournisseurs d’accès Internet à Madagascar). Aujourd’hui, 25 personnes travaillent à l’atelier. C’est Godefroy, volontaire d’ATD qui a mis sur pied ce projet d’atelier avec Dange, artiste et volontaire lui aussi. L’atelier a tout changé pour Désiré, menuisier qui ne trouvait plus de travail : » Les gens voient que je ne traîne pas sans rien faire. Les voisins me voient partir chaque matin comme les autres, c’est ça le grand changement. Peu importe si je gagne plus ou moins qu’avant. » » L’objectif, précise Godefroy, c’est d’être dans le circuit économique. On cherche des débouchés non seulement intérieurs, mais aussi extérieurs. On sous-estime les plus pauvres, or ils sont aussi des agents économiques. Leurs produits se vendent et c’est une fierté pour les familles de découvrir qu’ils sont sur les rayons des grands magasins. »
La nuit sur la décharge, le jour à l’atelier d’informatique
Un atelier d’informatique
Fiers de leur savoir-faire
Issus des décharges ou des quartiers très pauvres, les travailleurs de l’atelier sont fiers aujourd’hui de leur savoir-faire de leur nouveau métier. Clarisse, de l’atelier des brodeuses, veuve et maman de 7 enfants, a fait de nombreux petits boulots dans la rue pendant que ses enfants participaient aux bibliothèques de rue d’ATD Quart Monde : » Avant, je ne savais même pas tenir une aiguille. Je ne savais même pas écrire non plus ; au début je trouvais ça très dur et très difficile parce que je n’avais jamais fait ça. Ma vie a changé. »
Aujourd’hui, les ateliers fonctionnent, la structure est en train de se transformer en une véritable coopérative enregistrée auprès de l’administration. Celle-ci regroupera, outre la broderie, la menuiserie et le tissage, un atelier d’informatique qui fonctionne depuis quelques mois. Seize jeunes de 15 à 21 ans suivent une formation avec l’idée que les plus pauvres, les plus exclus ont aussi le droit d’avoir accès aux nouvelles technologies. Les ordinateurs attirent tous ces jeunes qui n’avaient pourtant jamais approché cet outil, et qui s’y sont mis rapidement, certains développant même un véritable talent pour l’informatique comme Naval (15 ans) : » Au début, j’avais très peur, je ne savais pas comment on utilisait un ordinateur, parce que je n’en avais jamais vu. J’ai appris Word, Power Point, Excel et la dactylo. Quand j’ai commencé, j’ai vu que l’ordinateur savait tout faire : écrire, faire des calculs, montrer des photos. ça m’a beaucoup étonné. Mon but, c’est d’apprendre tout en informatique, tout savoir pour avoir un meilleur avenir. Avant je pensais que je passerais ma vie sur la décharge. Mais je ne veux plus vivre là-bas, c’est pour ça que je fais beaucoup d’efforts pour apprendre. »
Règles de vie et impératifs d’entreprise
Travailler et apprendre ensemble
Au-delà de l’information et de la formation des jeunes, l’atelier informatique fournit des services à la coopérative pour vendre à l’étranger les ouvrages en broderie ou en tissage, par exemple l’export vers les USA de petits coussins brodés. Dans les deux bâtiments d’ATD, chaque jour les brodeuses, les menuisiers, les jeunes informaticiens se côtoient, se croisent, échangent, preuve vivante que les deux volets artisanat et informatique sont parfaitement liés et cohérents dans ce projet baptisé TAE : Travailler et Apprendre Ensemble. Une devise qui prend tout son sens dans la mise au point en cours d’un logiciel d’alphabétisation en malgache, qui sera ensuite testé avec les travailleurs de la coopérative, la plupart illettrés.
La formation, l’apprentissage sont au coeur du projet TAE, mais aussi l’appropriation des règles de vie en groupe et des impératifs d’une entreprise. Après quelques mois d’existence, les résultats sont déjà positifs. » C’est le début, on est encore au démarrage. Mais c’est vrai, quand on voit les personnes de la coopérative arriver, ce ne sont plus des pauvres qui viennent partager leurs soucis, ce sont des travailleurs qu’on accueille. Et on a un vrai plaisir à les regarder au travail, à voir l’énergie qu’elles y mettent, leur assiduité, leur respect de l’horaire et vraiment leur bonheur. » Marsone (60 ans), l’un des menuisiers de l’atelier : » Maintenant j’ai beaucoup d’espoir, je vais m’en sortir, je vis beaucoup mieux qu’avant quand j’étais sur la décharge ; ici ma vie dépend seulement de mon travail et ça me plaît beaucoup ; j’ai pris des habitudes sérieuses. » Le chemin est encore long pour que la coopérative assure son existence, mais un premier pari a déjà été remporté : réunir des partenaires très différents : des exclus, des responsables d’entreprises, des volontaires, des formateurs pour combattre la misère et créer des emplois décents, un pari conforme à la philosophie d’ATD, partout dans le monde.
Cet article est inspiré d’une émission diffusée il y a quelques mois sur Radio France International, produite par Stéphanie Paillet et réalisée par Marc Minatel.