L’envers du décor « Travailler et apprendre ensemble » à Madagascar
Le projet a vu le jour en 2006. Il a fallu pour cela que des partenaires qui n’avaient pas de raison de se rencontrer pour une initiative contre la misère se rencontrent, se reconnaissent, élaborent ensemble et passent à l’action.
Le tour de table, les acteurs, ce sont : Alcatel-Lucent, industriel de télécommunication bien connu, Data Telecom Service (DTS, principal fournisseur des services informatiques de la grande île), la Banque mondiale, et enfin ATD Quart Monde.
Une finalité à la fois pédagogique et économique
Le projet MMM comporte deux volets distincts, dont le point commun est l’accès aux nouvelles technologies :
– la mise en place d’un programme de découverte et d’initiation à l’informatique pour des jeunes (13−25 ans) de milieu très défavorisé. Vingt jeunes en lien avec ATD Quart Monde ont démarré en novembre 2006 une formation à l’informatique organisée par modules de trois mois. Ils touchent chacun une petite bourse de formation qui leur permet d’avoir l’esprit plus disponible pour apprendre. Des partenariats avec d’autres associations permettent à huit autres jeunes de suivre un module d’initiation à l’informatique de trois mois, et permettra à d’autres jeunes de bénéficier des connexions Internet lorsqu’elles seront mises en place. Une première ébauche de logiciel d’alphabétisation en malgache, dont la mise au point pourrait être achevée d’ici un an, a été élaborée ;
– la création, avec des adultes, d’une coopérative artisanale fabriquant des produits pour le marché intérieur (huile d’arachide, meubles en bois, vêtements) et qui utilisera Internet pour la vente à l’export de broderies et tissages. L’ambassade des États-Unis et l’entreprise CFAO ont soutenu l’achat des premiers équipements, maintenant utilisés par les 23 adultes qui suivent actuellement une formation et travaillent à la constitution d’une coopérative. L’objectif est d’offrir à ceux qui y travaillent un emploi décent qui permet de sortir de la misère, dans les conditions du commerce équitable.
Des connexions Internet à haut débit seront disponibles gratuitement pendant deux ans sur cinq terminaux de connexion. Une connexion est effective depuis quelques jours dans le local des jeunes en formation informatique, où un formateur de DTS a commencé à initier jeunes et adultes à l’usage d’Internet.
Vaincre la misère pour que les droits de l’homme soient respectés
Offrir un emploi décent dans les conditions du commerce équitable.
« Ce projet s’inscrit dans les initiatives évoquées le 17 octobre lors de la Journée mondiale du refus de la misère car « là où les hommes sont condamnés à vivre dans la misère, les droits de l’homme sont violés ».
Quand, au lieu d’aller à l’école, des enfants sont obligés de gagner de l’argent pour contribuer à la survie de leur famille, quand des femmes et des hommes sont acculés à vivre de récupération dans les ordures, quand des familles entières dorment dans la rue, les droits de l’homme sont violés. Les droits fondamentaux au logement, à l’éducation, à la santé, au travail, à la culture ne sont pas effectifs. Lorsque cette privation des droits fondamentaux est persistante, l’être humain est atteint dans son humanité même et dans sa dignité.
Ses capacités sont entravées au point qu’il n’est plus en état d’assumer ses responsabilités. La société le lui reproche durement, lui-même se le reproche, et il est acculé à vivre dans la honte et l’humiliation. C’est parce que la misère engendre la honte et détruit l’être humain qu’elle est intolérable et doit être éradiquée.
Une démarche volontaire
Il faut apprendre à agir « avec eux » et non pas « pour eux » en prenant pour référence la personne la plus en difficulté
Pour cela, il faut soutenir et renforcer les efforts que font chaque jour les plus défavorisés pour résister à la misère qui les oppresse et pour améliorer leur condition. Mais quand on est sans moyens, l’exclusion ne peut être surmontée. C’est pourquoi ils ont besoin de s’associer avec d’autres personnes qui, elles aussi, refusent l’exclusion. Le projet pilote que nous mettons en œuvre aujourd’hui a pour origine la démarche des volontaires permanents d’ATD Quart Monde qui, il y a dix-huit ans, sont venus s’immerger dans des lieux de grande pauvreté pour rencontrer leurs habitants, apprendre d’eux, agir « avec eux » et non pas « pour eux », en prenant pour référence la personne la plus en difficulté.
C’est une démarche à contre-courant, car la tendance générale est bien plus de se protéger des pauvres, de vivre le plus loin possible des quartiers qu’ils habitent ou des écoles qu’ils fréquentent, que de chercher à les rencontrer, à dialoguer avec eux, à vivre en proximité. Les différences de conditions de vie, d’apparence, de langage, entre les nantis et les plus défavorisés engendrent de part et d’autre la peur et la méconnaissance.
C’est alors que la deuxième partie du message du 17 octobre apparaît dans toute son exigence et sa radicalité : « S’unir pour faire respecter les droits de l’homme est un devoir sacré. »
S’unir avec les plus défavorisés implique de dépasser sa peur pour les rencontrer et découvrir tous leurs efforts et talents cachés, pour créer des liens de collaboration et d’amitié. S’unir entre organismes aussi différents que ceux qui sont à cette table, une ONG, deux entreprises et une institution internationale, est aussi une démarche qui demande beaucoup de temps et implique de dépasser de nombreux préjugés. Certains affirment que la création de richesse est la responsabilité des entreprises et des autorités publiques, et la lutte contre la misère la responsabilité des ONG et des travailleurs sociaux. D’autres affirment qu’il y a d’un côté les riches, ne cherchant que leur profit, et de l’autre les pauvres, désirant justice et fraternité. Le message que nous affirmons aujourd’hui refuse tous ces simplismes.
Un projet qui ouvre le chemin
Notre témoignage est une affirmation que la persistance de la misère est un problème de société, un problème de droits de l’homme et de démocratie, et que chaque institution, chaque personne doit apporter sa pierre pour la combattre. Les entreprises, les ONG, les institutions nationales ou internationales, les courants spirituels, religieux et artistiques doivent assumer leur part. Notre projet commun est modeste par sa taille et sa durée, mais il est novateur. Il nous a permis de nous rencontrer, d’apprendre à travailler ensemble et à nous faire confiance.
J’espère vivement qu’il ouvre un chemin sur lequel nous irons plus loin ensemble dans les années à venir. S’unir contre la misère est un « devoir sacré » dit Joseph Wresinski, c’est-à-dire un impératif moral proposé à chacun, quelles que soient son origine ou ses croyances. En effet, le préambule de la Déclaration universelle des droits de l’homme affirme : « L’avènement d’un monde où les êtres humains seront libres de parler et de croire, libérés de la terreur et de la misère, a été proclamé comme la plus haute aspiration de l’homme. »