L’envers du décor : Un élève raconte sa participation au projet : La main à la pâte
À partir d’octobre 2006, Frédéric Simon (2006) a passé six mois à l’École des mines de Nantes pour un stage de formation humaine et militaire dans le cadre du projet La main à la pâte. En accord avec lui, nous avons composé cet article d’extraits de son rapport de fin de stage.
L’opération La main à la pâte a été lancée en 1996 à l’initiative du professeur Georges Charpak, prix Nobel de physique 1992, et de l’Académie des sciences. Elle vise à encourager l’enseignement des sciences à l’école primaire et à promouvoir une démarche d’investigation scientifique. L’élève est amené à se poser des questions, à émettre des hypothèses, à concevoir puis réaliser des expériences, à formuler lui-même des conclusions. Les enseignants souhaitant mettre en oeuvre cette démarche peuvent être accompagnés par un scientifique, le plus souvent un étudiant en sciences. C’est dans ce contexte que j’ai exercé une activité d’accompagnement.
Des missions d’accompagnement sous l’égide d’un tuteur
Depuis le début de l’opération, l’EMN accueille chaque année un ou deux polytechniciens dans le cadre de leur stage de formation humaine. Dès mon arrivée, mes missions m’ont été précisées par l’équipe chargée du projet. Le coordonnateur était mon tuteur. Mon rôle principal a été d’accompagner en sciences et technologie des enseignants d’écoles primaires de Loire-Atlantique. J’ai en outre été chargé d’aider à la coordination et à la gestion des ressources et de développer des modules de sciences.
Une école pionnière
Dès la rentrée 1996, l’École des mines de Nantes (EMN) a participé au projet La main à la pâte en envoyant ses étudiants volontaires dans des classes de Loire-Atlantique pour accompagner des enseignants. L’équipe chargée du projet à l’EMN a ainsi développé un mode d’accompagnement original auprès des enseignants du premier degré. Elle a notamment conçu, en collaboration avec des enseignants, des modules sur différents thèmes ainsi que des mallettes contenant le matériel nécessaire à la réalisation des séances.
L’accompagnement scientifique est une aide proposée aux enseignants du premier degré volontaires pour accueillir la démarche La main à la pâte. L’accompagnateur suit une classe d’école primaire sur une certaine période, selon un rythme défini en concertation avec l’enseignant. Il aide celui-ci à concevoir une progression sur un thème donné et à la mettre en oeuvre. Il propose des expériences et se met d’accord avec lui sur l’organisation pédagogique des séances, leur planification et le niveau de formulation visé pour la conclusion. En aucun cas, il ne prend la classe en charge : l’enseignant reste seul responsable de la séance, de la pédagogie et de l’autorité au sein de la classe.
Ainsi, l’accompagnement scientifique est une façon de soutenir l’enseignant et doit lui permettre d’acquérir son autonomie. Yves Quéré, un des pères du projet, a insisté sur ce point : » Les sciences ne doivent pas s’arrêter après votre passage. » Durant ce stage, j’ai accompagné 30 enseignants, dans des écoles souvent éloignées de Nantes, ma disponibilité me facilitant les déplacements nécessaires.
Le travail ne se limite évidemment pas à l’animation de ces séances de travail. J’ai pu assister le responsable de l’équipe dans ses tâches de coordination. J’ai également développé des modules de sciences. Il en existait 18 à mon arrivée, sur des thèmes aussi variés que l’électricité, les états de l’eau ou la croissance des plantes. Après avoir animé en classe des séances proposées dans un module, il m’est arrivé d’y apporter des améliorations. J’ai aussi développé deux nouveaux modules, l’un portant sur le sable, l’autre sur le réchauffement climatique.
Une expérience humaine aux multiples facettes
Ces six mois passés à Nantes ont été riches tant du point de vue du nombre de relations entretenues que de leur diversité. Outre les membres de l’équipe, j’ai en effet côtoyé des enseignants, des enfants et des étudiants de l’EMN.
Tout d’abord, les relations au sein de l’équipe La main à la pâte sont une des très bonnes surprises de ce stage. Il est tout à fait possible d’entretenir avec son supérieur hiérarchique des relations de franche camaraderie, de confiance, de réciprocité, sans que jamais pour autant son autorité soit mise en défaut. J’en ai discuté avec le coordonnateur à la fin de mon stage. Il m’a avoué que la qualité de ses relations avec son supérieur hiérarchique l’avait incité à adopter la même attitude vis-à-vis de ses stagiaires.
L’accompagnement scientifique est une étroite collaboration avec l’enseignant. Les séances sont préparées ensemble. La gestion de la classe est partagée. Il est donc tout à fait indispensable d’assurer une bonne communication avec l’enseignant. Chacun doit pouvoir dire à l’autre ce qui va, ce qui va moins bien. Les propositions de chacun doivent être prises en compte par l’autre. C’est pourquoi tisser une relation de confiance avec l’enseignant est très important. L’accompagnement se passe beaucoup mieux lorsque l’on discute pendant la récréation de tout autre chose que des sciences ou lorsqu’on déjeune à l’école. C’est a posteriori que j’ai pris conscience de cette dimension fondamentale de l’accompagnement scientifique.
Une grande proximité avec les enfants
L’accueil gratifiant des enfants
L’attitude des enfants est très gratifiante pour l’accompagnateur. Sa venue est attendue avec impatience, il est souvent accueilli par de larges sourires, qui, tout comme les dessins offerts et les gestes d’affection, me resteront longtemps en mémoire. Le statut de l’accompagnateur est une chance magnifique : je ne représentais pas l’autorité, mais je n’étais pas non plus un copain. J’étais plutôt perçu comme une sorte de grand frère. Cette dimension affective m’a beaucoup marqué.
Je passais chaque semaine une dizaine d’heures dans les classes, donc beaucoup de temps avec les enfants, des tout-petits de maternelle (3 ans) jusqu’aux » grands » du CM2 (10 ans). Je retiens surtout leur enthousiasme pour les sciences : la très grande majorité des classes accompagnées ont montré un enthousiasme débordant, spontané, d’une certaine façon instinctif, pour les sciences. C’est ce que j’espérais et je n’ai pas été déçu.
Travailler avec des enfants m’a fait progresser dans deux domaines. D’abord se faire comprendre des enfants. Il m’a fallu adapter mon vocabulaire. C’est vrai pour le vocabulaire scientifique, mais le travail sur l’expression est plus large. Il faut faire des phrases courtes, bien mettre en valeur l’enchaînement logique des phénomènes, ne pas hésiter à répéter la même chose de différentes manières pour que tout le monde comprenne. De plus l’occasion se présente parfois d’aborder en fin de séance des notions liées au thème d’étude mais qui le dépassent largement. Il s’agit alors d’être vigilant et de se limiter dans ses explications à ce que les élèves sont susceptibles de comprendre. La tentation d’aborder des notions trop complexes n’est jamais loin. Y résister est à mon sens une forme de maturité.
Des enseignants proches de leurs élèves
J’ai fréquenté pendant six mois des enseignants de l’école primaire. Un point m’a particulièrement frappé : les maîtres sont beaucoup plus proches de leurs élèves que les enseignants du secondaire. J’ai aussi été frappé par leur bonne connaissance de l’histoire familiale des enfants. Il semble que la plupart des parents fassent confiance à l’enseignant auquel ils se livrent. Sa vigilance doit être constamment en éveil pour détecter d’éventuels problèmes. À l’inverse des enseignants du secondaire, le maître ne peut pas se décharger de cette responsabilité sur ses collègues : il est seul à voir ses élèves. J’ai accompagné des classes de toutes conditions sociales.
Enfants en grande difficulté
Certaines écoles étaient situées dans des quartiers très favorisés et d’autres en ZEP (Les Dervallières, La Bottière et l’école Saint-Martin). En ZEP, j’ai brutalement pris conscience du problème de l’égalité des chances. Ces enfants, qui souvent ne parlent pas français chez eux, dont l’histoire familiale est parfois lourde à porter (les enseignants m’en parlaient assez spontanément), ne partent pas dans la vie avec les armes qui ont été les miennes. L’absence de mixité sociale n’arrange rien. C’est la première fois que je rencontrais des enfants en grande difficulté. D’un concept théorique abordé dans les journaux, la ZEP est devenue pour moi une réalité. Je pense être aujourd’hui beaucoup plus sensible aux dysfonctionnements de l’ascenseur social.
Devenir responsable des autres
J’ai fait pendant ce stage l’expérience de la responsabilité. Les enseignants comptaient sur moi, pour le matériel sans lequel la séance ne peut avoir lieu, pour la formulation des conclusions, pour répondre à certaines questions des enfants. Mon sérieux, la qualité de mon travail n’engageait pas que moi. C’était une situation nouvelle : pendant mes études, si je ne travaillais pas, j’en étais la seule victime. J’ai découvert combien il est gratifiant d’avoir des responsabilités. Ce stage a complètement chamboulé mon mode de vie.
Après vingt ans passés au sein du cocon familial, je me suis retrouvé dans une ville inconnue, où je ne connaissais personne, à travailler au sein d’une équipe alors que j’avais toujours préféré travailler seul. J’estime avoir fait preuve d’une bonne faculté d’adaptation, m’être rapidement habitué à mon nouvel environnement. J’ai notamment découvert qu’il est fondamental de faire preuve d’humilité. Après quelques semaines d’accompagnement, j’ai commencé à me sentir très à l’aise dans les classes.
Une approche très concrète
Les sujets traités permettent de facilement appréhender les réalités. Par exemple, les séances consacrées aux liquides abordent tour à tour la congélation de l’eau, l’évaporation des liquides, les mélanges, le contrôle d’un critère de pureté de l’eau, la dissolution du sel dans l’eau, la purification de l’eau et le principe du château d’eau. S’agissant de la congélation de l’eau on amène les élèves à mélanger du sel à de la glace et constater que la température s’en trouve abaissée, puis à évaluer approximativement l’influence de la quantité de sel sur le refroidissement provoqué. Il leur est demandé de tracer la courbe de congélation de l’eau à la température ambiante, de l’interpréter, etc.
J’avais mon idée sur la façon d’amener les notions, de guider la classe dans sa recherche. Il m’est arrivé d’être dubitatif quant à la façon dont l’enseignant amorçait la séance. Pourtant, j’ai souvent dû reconnaître que les élèves réagissaient très bien et qu’en fin de compte la séance était réussie. Il existe toujours plusieurs façons de procéder. On peut faire aussi bien, voire mieux en procédant autrement que je le pensais. Il me faudra garder cela à l’esprit dans le futur.
Une occasion d’enrichissement et de découverte
Ce stage de formation humaine a été une vraie chance. Après toutes ces années d’études où je ne travaillais que pour moi, et seul de surcroît, j’ai découvert le travail en équipe et le bonheur de se sentir utile. En me sortant d’une logique purement scolaire, en me plaçant devant des situations inédites, il m’a fait gagner en maturité.
Les conditions dans lesquelles j’ai été accueilli ont beaucoup contribué à la réussite du stage. Mon tuteur a pris son rôle à coeur et m’a constamment guidé, conseillé, suivi. Il faut que cette collaboration entre l’École polytechnique et l’École des mines de Nantes se poursuive : La main à la pâte apporte beaucoup aux polytechniciens stagiaires, qui de leur côté réalisent une part importante des accompagnements en Loire-Atlantique.
Enfin, je voudrais souligner le choc qu’a été pour moi la découverte des classes de ZEP. Je n’imaginais pas que des enfants si jeunes puissent déjà avoir accumulé tant de retard. Je n’aurai probablement plus jamais la même attitude vis-à-vis des problèmes d’exclusion et de mixité sociale.