L’environnement, un enjeu de la religion chrétienne
L’exigence de développement durable peut être située dans la perspective de deux enjeux théologiques majeurs : l’alliance et la promesse. En nous appelant à redéfinir notre mode de vivre ensemble sur la même planète, le développement durable fait écho à la notion d’alliance biblique. Il invite à faire une nouvelle expérience de la » terre promise » entendue » sous le mode d’un don reçu pour être partagé « .
Pour de nombreux écologistes, et notamment pour ceux qui se réclament de l’écologie profonde, la destruction de la planète aurait comme cause fondamentale une tradition judéo-chrétienne à l’origine, via la révolution scientifique, de notre modernité techno-industrielle si prédatrice à l’égard du milieu naturel. Dans une telle perspective, exprimée il y a trente ans par le médiéviste américain Lynn White dans son célèbre texte The Historical Roots of Our Ecological Crisis, le christianisme porterait une lourde part de responsabilité dans la mise en péril des écosystèmes terrestres. Lynn White assène que les racines de nos problèmes sont » largement religieuses » et que la crise écologique que nous connaissons s’approfondira tant que nous n’aurons pas rejeté l’axiome chrétien selon lequel la nature n’a d’autre raison d’existence que d’être au service de l’homme. Sur cette base argumentative ont fleuri les critiques les plus radicales. Or, de telles positions mésestiment, voire nient parfois purement et simplement, l’éthique écologique dont est porteur le message évangélique.
Toute la création
En effet, le Nouveau Testament propose une lecture des rapports entre l’homme et la nature qui ne manque pas de souligner l’importance de l’attention que Dieu porte à cette dernière. Ainsi, alors qu’il les envoie en mission, le Christ dit à ses disciples : » Ne vous inquiétez pas pour votre vie de ce que vous mangerez, ni pour votre corps de quoi vous le vêtirez. […] Regardez les corbeaux ; ils ne sèment ni ne moissonnent, ils n’ont ni cellier ni grenier, et Dieu les nourrit ! Combien plus valez-vous que les oiseaux ! […] Regardez les lis, comme ils ne filent ni ne tissent. Or, je vous le dis, Salomon lui-même, dans toute sa gloire, n’a pas été vêtu comme l’un d’eux. » (Luc 12, 22–27) Pour les chrétiens, c’est toute la création qui attend sa rédemption. Comme l’écrit Paul dans son Épître aux Romains (8,18−21) : » J’estime […] que les souffrances du temps présent ne sont pas à comparer à la gloire qui doit se révéler en nous. Car la création en attente aspire à la révélation des fils de Dieu : si elle fut assujettie à la vanité -, et non qu’elle l’eût voulu, mais à cause de celui qui l’y a soumise -, c’est avec l’espérance d’être elle aussi libérée de la servitude de la corruption pour entrer dans la liberté de la gloire des enfants de Dieu. »
La destruction insensée du milieu naturel
La théologie chrétienne reprendra ces thèmes. On pense à François d’Assise (1181 ou 1182–1226), poussant à l’extrême le sentiment de fraternité cosmique. Dans le chapitre XII des Fioretti, il enjoint aux oiseaux de se garder du péché d’ingratitude et de toujours s’appliquer à glorifier Dieu. Dans son Cantique des créatures, il loue Dieu d’avoir créé ses » frères » Soleil et Vent, ses soeurs Lune, Étoiles, Eau, Terre mais également l’air, les nuages, les fruits, les » fleurs diaprées » et l’herbe. Plus récemment, l’encyclique Centesimus Annus (1991) aborde la question de l’écologie en dénonçant » la destruction insensée du milieu naturel » qui résulte, selon le document du Vatican, d’une erreur anthropologique répandue à notre époque, à savoir le fantasme de la maîtrise totale du réel.
La beauté de l’univers
Le Catéchisme de l’Église catholique récapitule tous ces thèmes en soulignant qu’il n’existe rien qui ne doive son existence à Dieu, que toutes les créatures sont interdépendantes et solidaires et que chacune d’entre elles possède sa bonté et sa perfection.
La beauté de la création reflète l’infinie beauté du Créateur
Certes, il existe une hiérarchie entre les créatures et l’homme occupe le sommet de la création, mais cela ne lui confère aucune légitimité pour détruire la nature de façon inconsidérée. Le paragraphe consacré à la beauté de l’univers mérite en cela d’être cité in extenso : » L’ordre et l’harmonie du monde créé résultent de la diversité des êtres et des relations qui existent entre eux. L’homme les découvre progressivement comme lois de la nature. Ils font l’admiration des savants. La beauté de la création reflète l’infinie beauté du Créateur. Elle doit inspirer le respect et la soumission de l’intelligence de l’homme et de sa volonté. »
Comme on le voit, et ainsi que le souligne Jean Bastaire, » il est impossible d’avancer l’idée d’une » mentalité judéo-chrétienne » hostile à la nature. C’est le contraire qui est vrai : une estime si infinie de la création qu’elle l’éternise et ne dissocie par sur ce point ultime – la résurrection finale – le sort de l’homme et celui des autres créatures, après le passage par la mort qui purifie l’ensemble de l’oeuvre divine empoisonnée par le péché. »
Dessiner les contours d’une éthique
L’homme, collaborateur de Dieu
Le pape Jean-Paul II écrit que l’homme » croit pouvoir disposer arbitrairement de la Terre, en la soumettant sans mesure à sa volonté, comme si elle n’avait pas une forme et une destination antérieure que Dieu lui a données, que l’homme peut développer mais qu’il ne doit pas trahir.
Au lieu de remplir son rôle de collaborateur de Dieu dans l’oeuvre de la création, l’homme se substitue à Dieu et, ainsi, finit par provoquer la révolte de la nature, plus tyrannisée que gouvernée par lui. »
Et le pape de conclure le paragraphe par ces mots : » L’humanité d’aujourd’hui doit avoir conscience de ses devoirs et de ses responsabilités envers les générations à venir. »
Il ne convient donc pas de disqualifier, sous de faux prétextes, la pensée biblique mais au contraire de tenter de voir si celle-ci n’est pas susceptible d’aider à dessiner les contours d’une éthique, d’un rapport au monde apte à orienter le comportement des hommes. Il s’agirait alors, comme l’écrivait André Néher il y a presque cinquante ans à propos de la pensée juive antique, » d’arracher à des principes anciens toute leur signification dans ce qu’elle a d’éternellement valable et de faire surgir, ainsi, dans des contextes renouvelés, leur indestructible et constructive jeunesse. »
Le » contexte renouvelé « , c’est notamment aujourd’hui celui de l’exigence de développement durable, exigence qui peut être située dans la perspective de deux enjeux théologiques majeurs : l’alliance et la promesse.
De fait, en nous appelant à redéfinir notre mode de vivre ensemble sur la même planète, le développement durable fait, d’une certaine façon, écho à la notion d’alliance biblique. Pour reprendre les termes d’André Néher : » La création consiste […] à établir un rapport nouveau à l’espace et au temps, une alliance entre des éléments qui étaient confondus. »
Un don reçu pour être partagé
Le développement durable invite, ensuite, à renouveler l’expérience de la promesse eschatologique, autrement dit à faire une nouvelle expérience de la » terre promise » entendue » sous le mode d’un don reçu pour être partagé « . Une notion théologique plus » concrète » pourrait, par ailleurs, être mise au service de l’objectif de durabilité : la destination universelle des biens. Celle-ci renvoie à l’idée que Dieu a confié la Terre à la » gérance commune » de l’humanité pour qu’elle en prenne soin, la maîtrise par son travail et profite de ses fruits.
Une utilisation laïque
En fait, la plupart des notions ainsi forgées ou mobilisées peuvent être utilisées de façon » laïque » comme le sont par exemple de nos jours les Droits de l’homme. La proclamation de ces derniers au xviiie siècle est, comme le montre notamment Henri Bergson, la traduction dans l’ordre politique moderne de l’affirmation prophétique de l’inviolabilité de la personne voire un aboutissement de l’idée de justice universelle présente chez Isaïe.
Les enseignements bibliques peuvent donc aider, au-delà de leur dimension strictement religieuse, à élaborer une » économie éthique » c’est-à-dire, pour reprendre une formule de François Perroux, une économie » au service de tout l’homme et de tous les hommes « . Un tel projet s’inscrit dans le droit fil de ce que la théologie juive nomme de la belle expression de » réparation du monde » (tikoun olam1), réparation, voire amélioration, à laquelle chacun se trouve invité à participer. 1. Voir Colloque des intellectuels juifs, Éthique du Jubilé. Vers une réparation du monde ? Paris, Albin Michel, 2005.
BIBLIOGRAPHIE
- Lynn White Jr., » The Historical Roots of Our Ecological Crisis « , Science, 10 mars 1967, vol. 155, n° 3767, p. 1203–1207.
- Jean Bastaire, » L’exigence écologique chrétienne « , Études, n° 4033, septembre 2005, p. 207.
- André Néher, » Le rôle du prophétisme dans le mouvement de l’économie du XXe siècle « , in L’Encyclopédie française, tome IX, L’univers économique et social, Paris, Société nouvelle de l’Encyclopédie française, 1960, p. 9.64−4.