Léon LALANNE (1829)
Jean-Amédée LATHOUD, avocat général honoraire à la cour de cassation, donne un portrait se son aïeul, un X républicain engagé.
Issu d’une famille bourgeoise attachée aux Bourbons, Léon Lalanne naît le 3 juillet 1811, rue de Fleurus à Paris. Orphelin à 9 ans de son père médecin, il entre boursier au lycée Louis-le-Grand où il fait de brillantes études secondaires jusqu’à la classe de mathématiques spéciales, en compagnie notamment d’Évariste Galois.
Le premier novembre 1829, à l’âge de 19 ans, il est admis à l’École polytechnique, puis deux ans plus tard à l’École des ponts et chaussées. À partir de son premier poste d’ingénieur des Ponts, dans l’arrondissement de Mortain, la carrière de Léon Lalanne sera exemplaire.
Lecomte Hippolyte (1781−1857). Combat de la rue de Rohan, le 29 juillet 1830.
Paris, musée Carnavalet.
UN HOMME ENGAGÉ
Engagé, Léon Lalanne l’est dès la révolution de 1830 alors qu’il est encore élève à l’École. Il décrira cinquante années plus tard avec émotion, dans la notice nécrologique de son camarade à l’X Eugène Belgrand, l’exaltation des jeunes polytechniciens au moment des journées de juillet 1830 : manifestation des élèves allant applaudir par provocation leur maître Arago à l’Académie des sciences pour son éloge engagé du savant libéral Fresnel ; il évoque ensuite ses camarades marchant à la tête des combattants dans les rues de Paris pour réclamer un régime parlementaire.
Premiere élection la Garde nationale :
Le premier scrutin démocratique de la nouvelle République est celui des officiers de la Garde nationale : Léon Lalanne est élu le 5 avril 1848 dans son arrondissement de Paris chef de bataillon de la 11e légion, dont le colonel, également élu ce jour-là, est Edgar Quinet.
« C’est à partir de cette époque – écrira-t-il plus tard dans une note datée du 23 février 1883 à l’appui de sa candidature au Sénat – que j’ai adopté les idées républicaines, sans jamais m’en écarter. »
Léon Lalanne a une forte personnalité : en poste dans l’arrondissement de Mortain, le 7 novembre 1835 – il a 24 ans – il aura un incident grave avec le sous-préfet, à l’occasion d’une séance de la société littéraire : prenant à part le représentant de l’État, Léon Lalanne lui reprocha la dénonciation qu’il avait adressée au préfet pour les propos qu’il aurait tenus lors d’un récent banquet de la Garde nationale locale.
Dans son rapport adressé au directeur général des Ponts et Chaussées relatant l’incident, le préfet de la Manche demande le déplacement dans un autre département de cet ingénieur « doué d’une imagination ardente, professant des opinions ultralibérales ayant des relations habituelles avec les hommes les plus opposés au système et aux actes du Gouvernement… Il exerce une influence fâcheuse sur l’esprit du pays. »
UN ÉMINENT SCIENTIFIQUE
Léon Lalanne publie de très nombreux articles et ouvrages jusqu’à la révolution de février 1848, qui témoignent d’une puissance de travail considérable.
“J’ai adopté les idées républicaines, sans jamais m’en écarter”
Il présente à l’Académie des sciences des notes sur des machines à calcul, sur une machine permettant de calculer les volumes de terrassement, une balance algébrique pour la résolution des équations jusqu’aux sept premiers degrés…
Il publie en 1839 des articles dans les Annales des Ponts et Chaussées sur les premiers chemins de fer en Autriche. En 1839, il traduit de l’allemand, pour les Annales des Mines, une note de Humboldt – rencontré à Berlin – sur les volcans du plateau de Quito. En 1840, il publie un Essai philosophique sur la technologie.
DÉMOCRATE ET VULGARISATEUR
Démocrate soucieux de l’éducation populaire, Léon Lalanne participe, avec d’autres comme son frère Ludovic, bibliothécaire de l’École des chartes, ou Édouard Charton (fondateur du Magasin pittoresque et futur collaborateur d’Arago, ministre de l’Instruction sous la Deuxième République) à la rédaction d’ouvrages de vulgarisation ambitieux : L’encyclopédie nouvelle, Un million de faits – aide-mémoire universel (1842), Patria (1847), et L’instruction pour le peuple – Cent traités (1848).
Il se charge dans ces ouvrages en particulier des articles scientifiques et technologiques. Avec d’autres jeunes polytechniciens, il donne des cours bénévolement, pour venir en aide à des élèves pauvres méritants.
SUR LE TERRAIN
Lalanne est aussi un ingénieur de terrain : en 1837, il participe à une expédition de prospection minière dans la vallée du Donetz, dirigée par Frédéric Le Play (X 1825), ingénieur des Mines et futur précurseur de la sociologie. Lalanne était responsable de la géologie, de la topographie, du relèvement des affleurements constatés, des relevés de météorologie…
Léon Lalanne prit une part active à la construction de la ligne de chemin de fer de Paris à Sceaux dont le terminus construit place Denfert-Rochereau est aujourd’hui la plus vieille gare de Paris. Geralix – CC BY-SA 3.0
Il prit l’initiative de publier un reportage personnel sur ce voyage dès 1839 dans le Magasin pittoresque de son ami É. Charton, ce que lui reprocha Le Play. Pourtant, lui répondait Léon Lalanne : « Je n’ai pas levé un coin du voile qui cache l’effroyable pourriture morale où croupit le peuple russe. Ai-je parlé de la nullité des hommes qui composent les premiers corps de l’Empire ? Du régime infâme qui y règne ? De l’espionnage porté jusqu’au sein des familles ? De la vénalité des administrations civiles et judiciaires ? De l’improbité des seigneurs et de la manière dont ils remplissent leurs engagements avec les serfs ? De la corruption effrénée qui règne chez tous ? »
De 1844 à 1846, Léon Lalanne prit une part active à la construction de la ligne de chemin de fer de Paris à Sceaux. Son beau-père, Jean-Claude-Républicain Arnoux (X 1811), administrateur des Messageries générales et du Chemin de fer de Strasbourg, avait obtenu la concession de cette ligne ferroviaire, pour y faire circuler un système de son invention apte à franchir les courbes des plus petits rayons, dit « train articulé ».
Léon Lalanne s’occupa du tracé, des terrassements et des ouvrages d’art de la ligne, qui sera inaugurée le 6 juin 1846 et dont le terminus construit place Denfert- Rochereau est aujourd’hui la plus vieille gare de Paris.
Cette connaissance des techniques du chemin de fer justifiera de nombreux écrits ultérieurs sur le sujet. Il aura également l’occasion, sous le Second Empire, de construire des lignes importantes pour les frères Pereire, à l’étranger en Suisse et en Espagne.
En novembre 1843, il est nommé secrétaire de la puissante Section des chemins de fer au Conseil général des ponts et chaussées.
Lorsque arrive la révolution de février 1848, Léon Lalanne, par son expérience professionnelle, par ses réseaux et ses fonctions stratégiques au ministère des Travaux publics, va être conduit à s’engager en faveur de la jeune République.
LE MILITANT DE LA JEUNE RÉPUBLIQUE
Dès les premières semaines du nouveau régime, Léon Lalanne s’engage : il se déclare « républicain démocrate ». Il est proche de l’équipe du journal Le National, quotidien républicain modéré qui soutient le gouvernement provisoire.
Mais Léon Lalanne se préparait depuis un certain temps pour l’élection des députés à l’Assemblée nationale constituante d’avril 1848 (la première de notre histoire au suffrage universel). Le 17 mars, il avait adressé une demande de soutien à sa candidature dans le département de la Manche, au « Comité central des élections générales pour l’Assemblée constituante » dont il est membre du bureau, en invoquant l’ancienneté de son engagement républicain et sa connaissance de l’arrondissement de Mortain.
“Il s’exprime dans un langage aussi élevé que précis, avec une solidité de principes et une netteté de vues”
Le 9 avril, les membres du comité (parmi lesquels Jules Michelet) adressaient une lettre de recommandation de sa candidature au commissaire du gouvernement de la Manche, célébrant « la solidité de ses principes, l’élévation et l’énergie de son caractère…, son républicanisme sincère ».
Le 10 avril, Léon Lalanne avait quitté Paris en voiture à cheval pour Saint-Lô. Du 12 au 22 avril, il va parcourir en tous sens le département. Hébergé par des amis, il s’arrête successivement dans 16 localités « prenant la parole des heures entières » lors de meetings « sur des tribunes en plein vent ou à couvert » aux côtés de ses colistiers soutenus par « le Club démocratique de la Manche ».
Il diffuse une affiche exposant les grandes lignes de son programme. Ses amis locaux (comme le chirurgien Victor Morel-Lavallée, l’ingénieur des Ponts Jules Grillet de Serry) le recommandent à leurs relations. À Saint-Lô, le 13 avril, le journaliste du Patriote de la Manche salue son « allocution pleine de patriotisme qui a su captiver l’attention : il s’exprime dans un langage aussi élevé que précis, avec une solidité de principes et une netteté de vues ».
Il propose « l’éducation gratuite de tous les enfants du peuple, à tous les degrés ». À cette occasion, un membre du bureau signale opportunément que, avant 1848, Léon Lalanne avait payé à ses frais des études à un jeune paysan pauvre conduit jusqu’à l’École polytechnique.
À Cherbourg, le 15 avril devant le club démocratique, Léon Lalanne expose qu’il a pris une part active aux combats de Février. Il rappelle qu’il a toujours défendu les idées démocratiques et lutté contre la corruption.
Il souhaite un président de la République élu pour cinq ans au suffrage universel et une seule chambre élue pour trois ans. Il promet d’améliorer le sort des travailleurs en assurant du travail pour tous. Il milite en faveur de l’impôt progressif sur les revenus, propose la diminution du nombre trop nombreux des fonctionnaires. Il condamne les excès de la centralisation.
On connaît le célèbre récit dans lequel Alexis de Tocqueville raconte son élection dans le département de la Manche. Léon Lalanne, insuffisamment implanté, ne fut pas élu, à l’issue de sa très brève campagne électorale, arrivant seulement au 25e rang des candidats.
Mais lors de la proclamation des résultats, le 28 avril 1848, Léon Lalanne a déjà regagné Paris où un nouveau difficile chantier l’attend.
À suivre dans notre prochain numéro : Léon Lalanne, des Ateliers Nationaux à l’Académie