Leonard Bernstein
C’est seulement après avoir connu les fours crématoires d’Auschwitz, les jungles frénétiquement bombardées du Vietnam, après ce qui s’est passé avec la Hongrie (…), le Black Power, les Gardes rouges (…), le maccarthysme, l’absurde course aux armements – c’est seulement après tout cela qu’on peut enfin écouter la musique de Mahler et comprendre qu’elle le présageait.
Leonard Bernstein, « Mahler : His Time Has Come », 1967, High Fidelity, p. 51–59
When Lenny came, everyone sat up and played their hearts out for him.
Martin Gatt, premier basson du London ‑Symphony Orchestra
Cet être incroyable comprenait avec une telle clarté les compositeurs qu’on avait l’impression que c’était lui qui avait composé quelques jours auparavant.
Isaac Stern
Leonard Bernstein a‑t-il été « le plus grand chef d’orchestre du XXe siècle » comme l’a déclaré Yevgeny Mravinsky, le grand chef russe ? En réalité, ce personnage hors du commun, charismatique, enthousiaste, mais aussi rigoureux, exigeant et d’une immense culture musicale, aura été bien plus qu’un chef d’orchestre : un pianiste, un compositeur, un pédagogue hors pair, et aussi un intellectuel engagé dans les luttes de son temps.
Chef d’orchestre
Sous le titre Leonard Bernstein – An American in Paris, Warner publie l’intégrale des enregistrements (en studio et live) réalisés avec l’Orchestre national de France dans les années 70 : Berlioz (Symphonie fantastique, Harold en Italie), Milhaud (La Création du monde, Saudades do Brazil, Le Bœuf sur le toit), Ravel (Alborada del gracioso, Shéhérazade avec Marilyn Horne, le Concerto en sol avec lui-même au piano, Tzigane avec Boris Belkin, La Valse, Boléro), Schumann (Concerto pour violoncelle avec Rostropovitch), Bloch (Schelomo, Rapsodie hébraïque pour violoncelle avec Rostropovitch), Rachmaninov (Concerto pour piano n° 3 avec Alexis Weissenberg), Bernstein (On the Waterfront – suite symphonique, Danses symphoniques de West Side Story). S’y ajoutent des répétitions des mêmes pièces de Ravel.
Berlioz est interprété non avec excès mais avec une légèreté aérienne, les pièces de Milhaud ont les couleurs chatoyantes d’un tableau fauve. Dans Rachmaninov, l’orchestre n’est pas un accompagnateur neutre mais un partenaire à part entière et chaque mesure est ciselée comme s’il s’agissait d’une symphonie (on notera au passage le jeu éblouissant d’Alexis Weissenberg, pianiste d’exception que l’on peut préférer à bon droit aux jeunes pianistes russes de la nouvelle génération). Ravel, en revanche, est joué comme un romantique (à l’opposé de l’interprétation d’un Boulez, par exemple) ce qui surprend dans l’adagio du Concerto mais emporte l’enthousiasme dans La Valse. Dans tous les cas, Bernstein s’-implique totalement, comme si sa vie était en jeu ; il ne dirige pas simplement une œuvre, il est cette œuvre. Il domine la technique au service de la seule émotion. En ce sens, il est à l’opposé de l’académisme.
7 CD WARNER
Compositeur
Bernstein a réussi l’exploit d’écrire à la fois de la musique populaire (comédies musicales, musiques de film – par exemple pour On the Town de Stanley Donen et Gene Kelly) et de la musique symphonique destinée au concert, exploit qu’il partage avec le seul Gershwin. On the Waterfront est une suite symphonique qui reprend les thèmes du film Sur les quais d’Elia Kazan, de même que les Danses symphoniques sont extraites de West Side Story. Musique tonale à l’orchestration très travaillée.
Les trois symphonies sont une musique plus ambitieuse inscrite dans le siècle et autobiographique. Bernstein a écrit : « L’œuvre que j’ai écrite toute ma vie a pour sujet la lutte née de la crise de notre siècle, une crise de la foi. » La Symphonie n° 1 « Jérémie » est écrite en 1942, au cœur de la guerre mondiale, la Symphonie n° 2 « L’Âge de l’Anxiété » en 1949 en pleine guerre froide. Bernstein termine sa Troisième Symphonie « Kaddish » lors de l’assassinat de J.F. Kennedy. Les trois symphonies viennent d’être enregistrées à occasion du centenaire de la naissance de Bernstein par Antonio Pappano à la tête de l’orchestre et des chœurs de l’Académie Sainte-Cécile (dont Bernstein était président d’honneur), avec plusieurs solistes dont la pianiste Beatrice Rana. Il n’est évidemment pas question de résumer ici ces œuvres d’une grande richesse. Disons simplement que ces symphonies essentiellement tonales s’inscrivent, avec celles de Chostakovitch et Sibelius, et dans la filiation directe de celles de Mahler – dont Bernstein est l’héritier à plus d’un titre – parmi les grandes symphonies du XXe siècle et qu’il faut les ‑découvrir toutes affaires cessantes.
Le coffret comprend également une pièce écrite pour clarinette et orchestre de jazz Prélude, Fugue et Riffs.
Au total, par son éclectisme, sa passion de la transmission, son universalisme et son implication dans les luttes de son temps, Leonard Bernstein, chantre de la fraternité, aura été un homme de la Renaissance au XXe siècle.
2 CD WARNER