Leonard Bernstein – An American in Paris

Leonard Bernstein

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°737 Septembre 2018Par : Rédacteur : Jean Salmona (56)

C’est seule­ment après avoir connu les fours cré­ma­toires d’Auschwitz, les jungles fré­né­ti­que­ment bom­bar­dées du Viet­nam, après ce qui s’est pas­sé avec la Hon­grie (…), le Black Power, les Gardes rouges (…), le mac­car­thysme, l’absurde course aux arme­ments – c’est seule­ment après tout cela qu’on peut enfin écou­ter la musique de Mah­ler et com­prendre qu’elle le présageait.

Leo­nard Bern­stein, « Mah­ler : His Time Has Come », 1967, High Fide­li­ty, p. 51–59

When Len­ny came, eve­ryone sat up and played their hearts out for him.

Mar­tin Gatt, pre­mier bas­son du Lon­don ‑Sym­pho­ny Orchestra

Cet être incroyable com­pre­nait avec une telle clar­té les com­po­si­teurs qu’on avait l’impression que c’était lui qui avait com­po­sé quelques jours auparavant.

Isaac Stern

Leo­nard Bern­stein a‑t-il été « le plus grand chef d’orchestre du XXe siècle » comme l’a décla­ré Yev­ge­ny Mra­vins­ky, le grand chef russe ? En réa­li­té, ce per­son­nage hors du com­mun, cha­ris­ma­tique, enthou­siaste, mais aus­si rigou­reux, exi­geant et d’une immense culture musi­cale, aura été bien plus qu’un chef d’orchestre : un pia­niste, un com­po­si­teur, un péda­gogue hors pair, et aus­si un intel­lec­tuel enga­gé dans les luttes de son temps. 

Chef d’orchestre

Sous le titre Leo­nard Bern­stein – An Ame­ri­can in Paris, War­ner publie l’intégrale des enre­gis­tre­ments (en stu­dio et live) réa­li­sés avec l’Orchestre natio­nal de France dans les années 70 : Ber­lioz (Sym­pho­nie fan­tas­tique, Harold en Ita­lie), Mil­haud (La Créa­tion du monde, Sau­dades do Bra­zilLe Bœuf sur le toit), Ravel (Albo­ra­da del gra­cio­so, Shé­hé­ra­zade avec Mari­lyn Horne, le Concer­to en sol avec lui-même au pia­no, Tzi­gane avec Boris Bel­kin, La Valse, Bolé­ro), Schu­mann (Concer­to pour vio­lon­celle avec Ros­tro­po­vitch), Bloch (Sche­lo­mo, Rap­so­die hébraïque pour vio­lon­celle avec Ros­tro­po­vitch), Rach­ma­ni­nov (Concer­to pour pia­no n° 3 avec Alexis Weis­sen­berg), Bern­stein (On the Water­front – suite sym­pho­nique, Danses sym­pho­niques de West Side Sto­ry). S’y ajoutent des répé­ti­tions des mêmes pièces de Ravel. 

Ber­lioz est inter­pré­té non avec excès mais avec une légè­re­té aérienne, les pièces de Mil­haud ont les cou­leurs cha­toyantes d’un tableau fauve. Dans Rach­ma­ni­nov, l’orchestre n’est pas un accom­pa­gna­teur neutre mais un par­te­naire à part entière et chaque mesure est cise­lée comme s’il s’agissait d’une sym­pho­nie (on note­ra au pas­sage le jeu éblouis­sant d’Alexis Weis­sen­berg, pia­niste d’exception que l’on peut pré­fé­rer à bon droit aux jeunes pia­nistes russes de la nou­velle géné­ra­tion). Ravel, en revanche, est joué comme un roman­tique (à l’opposé de l’interprétation d’un Bou­lez, par exemple) ce qui sur­prend dans l’adagio du Concer­to mais emporte l’enthousiasme dans La Valse. Dans tous les cas, Bern­stein s’-implique tota­le­ment, comme si sa vie était en jeu ; il ne dirige pas sim­ple­ment une œuvre, il est cette œuvre. Il domine la tech­nique au ser­vice de la seule émo­tion. En ce sens, il est à l’opposé de l’académisme. 

7 CD WARNER

Bernstein The 3 symphonies

Compositeur

Bern­stein a réus­si l’exploit d’écrire à la fois de la musique popu­laire (comé­dies musi­cales, musiques de film – par exemple pour On the Town de Stan­ley Donen et Gene Kel­ly) et de la musique sym­pho­nique des­ti­née au concert, exploit qu’il par­tage avec le seul Ger­sh­win. On the Water­front est une suite sym­pho­nique qui reprend les thèmes du film Sur les quais d’Elia Kazan, de même que les Danses sym­pho­niques sont extraites de West Side Sto­ry. Musique tonale à l’orchestration très travaillée. 

Les trois sym­pho­nies sont une musique plus ambi­tieuse ins­crite dans le siècle et auto­bio­gra­phique. Bern­stein a écrit : « L’œuvre que j’ai écrite toute ma vie a pour sujet la lutte née de la crise de notre siècle, une crise de la foi. » La Sym­pho­nie n° 1 « Jéré­mie » est écrite en 1942, au cœur de la guerre mon­diale, la Sym­pho­nie n° 2 « L’Âge de l’Anxiété » en 1949 en pleine guerre froide. Bern­stein ter­mine sa Troi­sième Sym­pho­nie « Kad­dish » lors de l’assassinat de J.F. Ken­ne­dy. Les trois sym­pho­nies viennent d’être enre­gis­trées à occa­sion du cen­te­naire de la nais­sance de Bern­stein par Anto­nio Pap­pa­no à la tête de l’orchestre et des chœurs de l’Académie Sainte-Cécile (dont Bern­stein était pré­sident d’honneur), avec plu­sieurs solistes dont la pia­niste Bea­trice Rana. Il n’est évi­dem­ment pas ques­tion de résu­mer ici ces œuvres d’une grande richesse. Disons sim­ple­ment que ces sym­pho­nies essen­tiel­le­ment tonales s’inscrivent, avec celles de Chos­ta­ko­vitch et Sibe­lius, et dans la filia­tion directe de celles de Mah­ler – dont Bern­stein est l’héritier à plus d’un titre – par­mi les grandes sym­pho­nies du XXe siècle et qu’il faut les ‑décou­vrir toutes affaires cessantes. 

Le cof­fret com­prend éga­le­ment une pièce écrite pour cla­ri­nette et orchestre de jazz Pré­lude, Fugue et Riffs. 

Au total, par son éclec­tisme, sa pas­sion de la trans­mis­sion, son uni­ver­sa­lisme et son impli­ca­tion dans les luttes de son temps, Leo­nard Bern­stein, chantre de la fra­ter­ni­té, aura été un homme de la Renais­sance au XXe siècle. 

2 CD WARNER

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