Leonard Bernstein : West Side Story
On l’a déjà dit dans cette rubrique, Leonard Bernstein est l’un des artistes les plus marquants du XXe siècle, et un musicien complet. Comme compositeur, il est à la fois l’auteur de musicals célèbres de Broadway (West Side Story, Candide, On the Town…) et d’œuvres de musique « sérieuse » (symphonies, ballets…), que l’on conseille au plus haut point. Ses œuvres sont souvent engagées, vecteurs de sens et de messages, politiques ou religieux.
Mais Leonard Bernstein était aussi un grand pédagogue (ayant fait découvrir la musique classique à des millions de jeunes téléspectateurs américains), pianiste de niveau international, et surtout un des plus grands chefs d’orchestre du XXe siècle, dirigeant avec succès et authenticité trois siècles de musique depuis Haydn jusqu’aux contemporains américains.
Son musical West Side Story (1957), inspiré du Roméo et Juliette de Shakespeare, est son plus grand succès et le film de 1961 y est pour beaucoup. On le sait, Bernstein et son équipe (dont le jeune Sondheim, avant qu’il devienne le grand compositeur de Broadway que l’on connaît, qui vient de nous quitter à 90 ans) transposent la rivalité des familles de Vérone en une guerre de gangs à New York, les Capulet et les Montaigu devenant les Jets et les Sharks. Et montrent que le drame des amours contrariées reste parfaitement actuel.
Dans une œuvre où l’abattage des acteurs-chanteurs-danseurs a un impact si important, rien ne remplace le spectacle vivant, et voir West Side Story sur scène est souvent une expérience inoubliable. Pourtant trois films passionnants sont recommandés et brièvement décrits ci-après.
Tout d’abord, le célèbre film de Robert Wise de 1961, chef‑d’œuvre pour l’éternité, avec une Natalie Wood incandescente et ses chorégraphies qui nous hantent encore soixante ans après.
Ensuite, le remake sorti en fin d’année dernière, première incursion de Spielberg dans la comédie musicale. Ici les acteurs ne sont pas en play-back (ou doublés) comme en 1961. Naturellement, on le sait depuis les nombreuses collaborations de Spielberg avec John Williams, la part musicale est une composante importante de la création artistique des films de Spielberg.
Alors qu’en première approche ce film donne l’apparence d’une simple copie modernisée du film de 1961, on réalise que tout le Spielberg virtuose est là, longs plans-séquences, travellings au plus près, scènes de foule ou de violence… Spielberg rend hommage au film de Wise en y faisant apparaître Rita Moreno, qui interprétait magnifiquement Anita soixante ans plus tôt. La bande-son est dirigée par Gustavo Dudamel, le chef prodige vénézuélien, nouveau chef de l’Opéra de Paris et grand interprète de la musique de John Williams, le compositeur fétiche de Spielberg. La boucle est bouclée.
En 1983, Leonard Bernstein tenta une expérience surprenante mais passionnante, enregistrer West Side Story avec des chanteurs d’opéra, parmi les plus grands de l’époque. Évidemment le style est loin de celui de Broadway, mais la grande Kiri Te Kanawa en Maria crève l’écran, sa voix de Tosca, de comtesse Almaviva, est magnifique pour rendre l’émotion de la jeune Portoricaine. José Carreras, un des trois ténors de l’époque, nous transporte par sa voix au milieu du plus émouvant des Puccini. Ce jour-là, Tony est Mario Cavaradossi, il est Calaf, il est Rodolfo. Et l’air Somewhere par la mezzo Marilyn Horne est tout simplement sublime.
Un film a été fait du making of de cet enregistrement, décrié par certains, adoré par d’autres (dont nous). Formidable document sur un des enregistrements phares de Bernstein. Ne ratez pas dans ce DVD de répétitions Lenny tenter de faire swinguer deux des plus grands artistes de l’époque, Kiri Te Kanawa et José Carreras, avec un mélange savoureux d’autorité et de cool attitude.
Film de 1961 de Robert Wise
Film de 2021 de Steven Spielberg
Making of 1983 de l’enregistrement de Bernstein (Deutsche Grammophon)