L’ère des alchimistes du digital : Quels défis pour l’ingénieur ?
Comment le métier de l’ingénieur s’adapte-t-il à cet environnement en perpétuel changement sous l’impulsion des nouvelles technologies ?
La société est rythmée par l’innovation et les nouveaux usages. Nous parlons beaucoup de digitalisation, gamification, robotisation, intelligence artificielle… La technologie a redessiné l’univers des possibles. Nous vivons dans un monde d’addictivité et d’immédiateté qui a aboli les frontières traditionnelles de l’espace et du temps. Cette tendance s’est manifestée d’un point de vue économique, en bousculant les industries traditionnelles, et sociétal, en modifiant nos façons de vivre et de travailler. L’ingénieur est évidemment un acteur de premier plan de ces transformations. Pour autant, contrairement à l’homme politique, au philosophe, au médecin, il s’exprime peu sur la société qu’il contribue à façonner. Pour reprendre le physicien Etienne Klein, « son silence est assourdissant ». Une coquetterie de l’ingénieur ?
Dans le cadre de votre périmètre d’action, comment appréhendez-vous cette réalité ?
Un volet de mon travail est lié à la conception des systèmes d’information et à l’exploitation de la donnée, qu’elle soit interne ou externe à l’entreprise. Le principal enjeu est d’incarner une orientation métier, un besoin, une intuition, par une réponse technique appropriée. En d’autres termes donner du sens à la technologie… Le rôle est ambivalent, idéalement entre visionnaire et gestionnaire. Il faut savoir repenser, combiner, expérimenter pour accompagner la transformation des métiers. L’autocensure n’est pas de mise puisque les voies sans issue font également progresser. Mais les solutions abouties ne font pas de concession en matière de fiabilité et de sécurité. On ne transige pas avec le nouvel or noir de la donnée. Et la réglementation sait le rappeler !
Dans le secteur de l’immobilier, l’ingénieur se trouve aujourd’hui au carrefour du monde physique et digital. Qu’est-ce que cela implique pour lui ?
L’immobilier est un secteur particulièrement stimulant qui mêle le visible et l’invisible. La tendance est aux univers « hyper-connectés » : ville intelligente, bâtiment connecté, Internet des objets (IoT)… De ce point de vue, l’exemple précurseur de Tesla est instructif. Le constructeur a choisi de créer une voiture autour d’un ordinateur là où la concurrence greffait artificiellement de l’informatique sur un existant… Demain, nous interagirons de manière naturelle avec l’immeuble pour découvrir et consommer ses services. Au-delà des données techniques, l’immeuble nous livrera les données d’usage… pour répondre au mêmes enjeux : analyser, comprendre et anticiper. L’immobilier devient l’art de conjuguer le physique et le virtuel en ramenant l’humain au coeur de ses préoccupations.
Comment voyez-vous le rôle de l’ingénieur évoluer ?
La signature de l’ingénieur est assez diffuse puisqu’elle entremêle spécialisation et pluridisciplinarité. La créativité, la curiosité, la capacité à assembler restent néanmoins des invariants. Les évolutions scientifiques et technologiques créent régulièrement de nouveaux métiers – le monde de la donnée en est un exemple avec son cortège de data architect, (big) data engineer, data scientist… Mais au-delà des segmentations, je crois en l’hybridation des compétences. L’alchimie est à trouver entre une maîtrise de la technologie, une compréhension profonde du métier et une bonne lecture de la société.
Ancien élève de l’école polytechnique et titulaire d’un diplôme d’ingénieur de Télécom ParisTech, Antoine Menu a occupé jusqu’en novembre dernier le poste de Directeur des Systèmes d’Information (DSI) au sein de BNP Paribas Real Estate, filiale de la banque BNP Paribas spécialisée dans les métiers de l’immobilier. Actuellement, il est responsable du département Technologie, Data et Services.