L’ère des grands désordres économiques et monétaires
Les mises en garde sur les risques financiers n’ont pas manqué avant l’été 2007, les mécanismes et les acteurs impliqués dans ce désastre sont bien identifiés.Les innovations financières, souvent mises en cause, sont pourtant des instruments très utiles : c’est un usage insuffisamment contrôlé qui les a dévoyées. Le retour à une situation assainie passe par une coopération étroite des États dans un cadre organisationnel dont le G20 est, jusqu’ici, une bonne préfiguration.
Contrairement à ce qui se dit fréquemment, assez nombreux sont ceux qui ont vu venir la crise financière. Les échanges et discussions qui se tenaient à Washington à partir de 2005 étaient déjà teintés d’inquiétude quant à l’avenir financier de l’Amérique et donc de la planète.
Nouriel Roubini, Cassandre de la crise
Le magazine Fortune rappelle qu’en 2005 Nouriel Roubini, professeur d’économie à la Stern School of Business, avait déclaré que : « Le prix des maisons surfait sur une vague spéculative qui aurait bientôt coulé l’économie. » En septembre 2006, il réitérait ses mises en garde devant un auditoire du FMI, en annonçant l’imminence d’une crise économique de grande ampleur : « Dans les mois et les années à venir, les États-Unis vont probablement vivre une dépréciation immobilière qui ne se voit qu’une fois dans une vie, un choc pétrolier, une diminution prononcée de la confiance des consommateurs et, ultimement, une grave récession. » Ses propos avaient alors suscité scepticisme et ironie !
Cette inquiétude était aussi manifestée par les experts, on cite notamment l’économiste Nouriel Roubini, mais il y en avait d’autres. Ils sont nombreux à avoir expliqué que les déséquilibres de balance des paiements ne seraient pas éternels et que les taux de change finiraient par subir le contrecoup d’un déficit extérieur sans cesse croissant.
L’industrie financière est devenue une économie de rente
Le paradoxe est que ces mises en garde répétées portaient comme on le voit sur des sujets variés mais n’identifiaient pas de manière assez précise le maillon faible, celui où le système financier s’est finalement fissuré. Quoi qu’il en soit, il y a bien eu aux États-Unis une » fuite en avant dans l’endettement « , une sorte d’aveuglement collectif de la part des dirigeants du secteur privé et des autorités politiques.
La responsabilité des banques d’investissement
Aveuglement américain
Les ministres européens des Finances, notamment français et allemand, ont régulièrement mis en garde le Secrétaire au Trésor américain sur les dangers de la voie dans laquelle l’Amérique était engagée, en particulier à propos des hedge funds ou de la comptabilité en fair value. Les banquiers centraux – Jean-Claude Trichet, bien sûr, mais aussi ses homologues – ont aussi alerté Alan Greenspan et la Réserve fédérale sur les dangers encourus, en signalant précocement la montée d’une bulle immobilière.
Les artisans de ce désastre peuvent être bien identifiés. On sait, pour ne citer qu’un exemple, comment a été obtenue en 2004 la baisse du ratio prudentiel (dette-capitaux propres) que devaient respecter les entités de Wall Street finançant l’immobilier. En simplifiant mais sans caricaturer, ce sont les banques d’investissement qui ont été les artisans méticuleux d’une dérégulation systématique constamment présentée comme au service de l’innovation et d’une meilleure allocation du capital.
On sait maintenant ce que valent ces arguments répétés à satiété, à peu près rien. Lord Turner, président de la FSA britannique, l’organe de supervision des activités financières, en convient aujourd’hui de la manière la plus éloquente qui soit, et cela ne lui fait pas que des amis à la City.
Vocabulaire
Michel Pébereau va jusqu’à dire que donner le nom de » banque » aux banques d’investissement est un contresens, c’est exact. Ces établissements ne sont pas des banques au sens où nous l’entendons, ils font un métier de marché.
Avec l’activité des banques d’investissement, nous traitons d’un sujet infiniment plus vaste que les subprimes auxquelles on réduit parfois tout à fait à tort les origines de la crise financière. Pour décrire simplement l’origine de cette gangrène financière on peut pointer le développement d’un système et de mécanismes dont le but était de capter des commissions sur des transactions de marché montées de manière artificielle.
L’innovation financière est utile, bien sûr, mais ce dont nous parlons à propos de la crise, c’est de leur utilisation en quelque sorte contrenature, la multiplication de transactions génératrices de commissions à chaque étape, même si l’utilité pour le client final était plus qu’obscure : c’est ainsi que l’industrie financière est devenue une économie de rente captant sans justification économique une part disproportionnée de la richesse créée.
L’innovation est la matière première de la croissance
Par conséquent, au moment où » le manège s’est arrêté de tourner « , tout le monde, méfiant sur ce que pouvaient receler les livres des institutions contreparties, s’est replié sur soi-même ce qui a abouti au blocage du crédit.
Innover, mais contrôler
Innovations utiles
Les innovations financières sont souvent décriées en raison de leur implication dans la crise. Attention, toutefois : à l’origine de l’innovation financière on trouve un besoin économique très réel, les couvertures de change ou de taux sont des instruments de financement indispensables aux entreprises de l’économie réelle ; et ces innovations financières ont évidemment de l’avenir.
À l’avenir, il faut évidemment avoir en tête, comme l’a enseigné Schumpeter, que l’innovation est la matière première de la croissance. C’est du manque de contrôle qu’a émergé le danger, non de l’innovation. Les autorités anglaises et américaines ont, avec naïveté, considéré qu’il était possible de faire fonctionner » les réacteurs nucléaires de la finance » sans superviseurs. Eh bien, maintenant, l’expérience a été faite, les marchés ont finalement démontré que l’autorégulation était un mythe ! D’où les propositions formulées en Europe par le rapport de Jacques de Larosière, suivies – car les temps changent même aux États-Unis – par celles de Tim Geithner, l’actuel secrétaire au Trésor.
Définir une stratégie de sortie
À l’automne 2009, des signaux plutôt positifs commencent à se manifester. On peut se réjouir de ce que la chute libre a été enrayée. Mais ce soulagement ne porte que sur le court terme. Car la crise financière a violemment éloigné l’économie réelle de son sentier de croissance si bien que les mécanismes d’ajustement cycliques traditionnels ne jouent pas bien. Les plans de relance, l’arrêt du déstockage, l’abondance de liquidités contribuent à un rétablissement, tant mieux. Mais, il serait imprudent de se réjouir trop vite, les discussions sur la forme de la reprise, en W plutôt qu’en V, en témoignent : à l’automne 2009, une embellie est là mais bien des nuages subsistent à l’horizon sans qu’on sache, par exemple, clairement s’il faut redouter surtout l’inflation – liée à l’abondance de liquidités mises en circulation depuis deux ans – ou la déflation – dans laquelle nous entraînerait un scénario » à la japonaise « .
C’est le cadre particulièrement difficile dans lequel définir les » stratégies de sortie » (exit strategy) qui permettront de remettre les déficits publics et les bilans des banques centrales sur des tendances soutenables à moyen terme… mais pas trop tôt car on risquerait de casser une reprise encore très timide.
De nouveaux équilibres monétaires
Quant aux changes, il y a à l’heure actuelle deux grands malades sur la planète, ce sont le dollar et la livre ; l’euro, clairement, est en meilleure forme. Certes, la presse financière britannique prétend parfois le contraire, ce serait évidemment une revanche ! Fin 2009, par exemple, l’euro a légèrement reculé par rapport à son maximum de l’année du fait des inquiétudes que fait naître la fragilité financière de la Grèce. Mais ces difficultés seront résolues, l’appartenance à une monnaie commune scelle la nécessité de trouver une issue et l’idée d’un éclatement de la zone euro est en tout cas une absurdité, le coût pour qui voudrait en sortir – en dehors de l’Allemagne qui n’y a pas intérêt non plus – serait exorbitant. Pour le dollar, en revanche, la politique monétaire et financière menée outre-Atlantique inquiète parce qu’elle semble apparemment déliée de toute contrainte.
Un dollar qui faiblit
De plus, depuis l’été, flotte à Washington cette idée que la stratégie américaine pour créer des emplois pourrait fort bien reposer sur la croissance des exportations. Et la monnaie américaine, chaque fois qu’elle faiblit, explore chaque fois un niveau plus bas : il y eut 1 euro pour 1,30 dollar, puis pour 1,45, puis pour 1,60 en juillet 2008, on peut craindre que la prochaine fois ce soit pour 1,75… Face à une telle évolution, la coopération au sein de l’eurozone pour définir une position appropriée serait absolument vitale et on ne peut, de ce point de vue, que se réjouir de l’amélioration du climat des relations franco-allemandes et de sa capacité retrouvée à faire des propositions communes comme on l’a vu en matière de régulation financière internationale.
Le G20 était à cet égard une excellente initiative et son premier mérite maintenant est d’exister. Depuis la crise de 1930, nous savons que c’est bien la volonté de faire face ensemble, de manière coopérative, qui permet d’éviter le pire. Là est la raison pour laquelle tout économiste est radicalement hostile à l’idée de protectionnisme, non pas parce que ce serait le moyen d’atteindre un hypothétique optimum mais tout simplement parce que toute action protectionniste appelle la riposte et qu’à l’issue de cette confrontation les deux partenaires qui s’y livrent se retrouvent dans une situation encore plus défavorable que leur point de départ, c’est l’enseignement le plus robuste de la théorie des jeux.
Les leçons de 1930
Parmi les leçons des crises des années 1930 on trouve en effet l’utilisation inadéquate des politiques budgétaire et monétaire, mais plus encore le défaut de coopération internationale.
Le brutal ralentissement économique entraîne des réactions protectionnistes d’abord aux USA puis dans les autres pays touchés à leur tour par la crise : la politique du chacun pour soi finit par amplifier les effets de la crise.
Vers une gouvernance mondiale de la finance ?
L’idée d’un éclatement de la zone euro est une absurdité
Il n’y a pas d’autre solution que d’affronter ensemble les problèmes difficiles auxquels nous sommes confrontés. Que les chefs d’État se réunissent pour le confirmer est une excellente chose.
Un » directoire » des affaires du monde organisé autour d’un G7 était devenu une idée anachronique, le G20 préfigure une forme d’organisation mieux adaptée à l’état d’un monde où des pays comme la Chine, l’Inde, le Brésil jouent un rôle de plus en plus important.