Les 50 ans de Kourou : une aventure française et européenne
Les premières fusées françaises sont lancées au Sahara. En 1962, il faut trouver un autre emplacement. Il a été décidé de construire ex nihilo un centre en Guyane, une folie devenue un pari réussi. Depuis l’Europe spatiale a adopté Kourou d’où décolle aujourd’hui une gamme complète de lanceurs.
De retour au pouvoir en 1958, tandis que les Russes viennent de lancer Spoutnik (1957) et que les Américains créent la Nasa, le général de Gaulle donne une impulsion nouvelle à la recherche scientifique : il faut que la France participe à la course à l’espace.
Il crée pour ce faire en 1959 un comité de recherches spatiales, présidé par le physicien Pierre Auger. Celui-ci prendra la tête, quelques années plus tard, du Centre national d’études spatiales.
Le Cnes naît en 1961, l’année où le premier homme, Youri Gagarine, s’envole pour l’espace.
REPÈRES
« Nous avons à réaliser, vous sur place et la France avec vous, une grande œuvre française en Guyane, et une grande œuvre dont on s’aperçoive dans toutes les régions du monde où se trouve le département. »
Ce sont les mots que prononce le général de Gaulle en voyage officiel en Guyane en mars 1964.
Une folie devenue un pari réussi
Lorsque les premiers ingénieurs du Centre national d’études spatiales (Cnes), tout juste fondé, posent le pied dans la terre rouge de la Guyane pour étudier la possibilité d’implanter une base de lancement à Kourou, ils débordent d’ambition et de rêves.
Quelle folie pensent certains à Paris d’engager un tel projet dans ce territoire lointain et quelque peu oublié. Aujourd’hui, les fous ont réussi leur pari. Le CSG, Centre spatial guyanais, devenu le port spatial de l’Europe, est un actif essentiel de l’Europe spatiale.
Si elle n’atteint que 113 km d’altitude en douze minutes de vol, la fusée Véronique est bien celle qui permettra à la France puis à l’Europe de prendre de la hauteur.
Il accompagne depuis cinquante ans l’aventure spatiale française et européenne engagée par les pionniers en 1964 sous l’impulsion du général de Gaulle, plaçant la France et l’Europe dans le premier cercle des puissances spatiales.
Du Sahara à la Guyane
À ses débuts, le Cnes utilise les champs de tirs militaires du Centre interarmées d’essais d’engins spéciaux (CIEES) implanté en Algérie, sur les ensembles Colomb-Béchar et Hammaguir.
En 1962, l’Algérie devient indépendante. Il faut trouver une nouvelle base de lancement pour poursuivre l’expérimentation des engins spatiaux français. Quatorze sites sont étudiés parmi lesquels Kourou, en Guyane.
Les pionniers du spatial français choisiront Kourou pour des raisons multiples :
- une large ouverture sur l’océan Atlantique et la possibilité de lancer des engins vers l’Est et le Nord avec un minimum de risque pour la population et les biens alentour ;
- la proximité de l’équateur (5,3° nord) qui permet de bénéficier au maximum de la vitesse de la rotation de la Terre (effet de fronde) et fait ainsi gagner au lanceur un précieux complément de performance ;
- la possibilité d’installer des radars et des antennes de télémesure permettant de poursuivre le lanceur grâce à la présence de collines ;
- une zone à l’abri des cyclones, enfin une vaste zone de savanes peu habitée.
Une décision qui remonte à 1964
Le choix est clair. La décision d’implanter un champ de tir en Guyane française est actée par arrêté ministériel en 1964. Mais tout reste à faire. S’il existe quelques infrastructures (aérodrome, port), il faudra développer des routes, des télécommunications, mais aussi des logements, des écoles, un centre de santé, des commerces pour accueillir ceux qui construiront la nouvelle base de lancement et qui vivront et travailleront dans la ville spatiale.
Tandis que le Centre spatial guyanais s’installe à Kourou, la France lance, en 1965, son premier satellite : Astérix s’élance à bord de la fusée Diamant‑A depuis l’Algérie. C’est ce lancement depuis l’ensemble au cœur du Sahara qui fait de la France la troisième puissance spatiale mondiale.
Une première fusée lancée le 9 avril 1968
Quatre ans à peine après la décision d’implanter le CSG en Guyane, alors que les travaux d’infrastructures sont en cours et que les installations de lancement sont encore en construction, la France lance sa première fusée-sonde depuis la Guyane. Pour la première fois, le 9 avril 1968, le CSG entre en opérations.
“C’est depuis la Guyane que le spatial européen fait face à la rude concurrence américaine”
La France confirme ses ambitions d’établir une politique spatiale propre aux côtés des grandes puissances, c’est-à-dire de disposer d’un accès autonome à l’espace sans lequel il n’y a pas de politique spatiale qui vaille, il faut donc développer un lanceur et un pas de tir.
De 1968 à 1982, 412 fusées et ballons s’élanceront depuis le tout premier site de lancement du Centre spatial guyanais. Si elle n’atteint que 113 km d’altitude en douze minutes de vol, la fusée Véronique est bien celle qui permettra à la France puis à l’Europe de prendre de la hauteur. Elle est la première pierre de cet édifice européen qu’est aujourd’hui le CSG.
Une ambition partagée par l’Europe
Centre technique 51.
Très tôt, l’ambition française devient européenne, le Centre européen pour la construction de lanceurs et d’engins spatiaux (Cecles) se laisse convaincre par la France de construire à Kourou un site de lancement pour Europa II : l’Europe spatiale adopte Kourou et le CSG.
L’explosion du lanceur Europa II en 1971 et l’échec du programme marquent non pas un renoncement mais le début d’une nouvelle ambition. C’est autour du programme Ariane, conçu pour un lancement depuis Kourou, que l’Europe va se ressouder. L’Agence spatiale européenne, l’ESA, naît en 1973. Le site Europa est reconverti en un nouvel ensemble de lancement : pour Ariane 1 cette fois.
Le CSG se met en sommeil au profit du développement de ce nouveau lanceur… et bien plus : une gamme complète, de Ariane 1 à 4. L’avenir commercial de l’Europe spatiale se dessine déjà : pendant que se construit ce nouvel ensemble de lancement, trois salles blanches verront également le jour, permettant la préparation des satellites qui monteront à bord d’Ariane. De quoi séduire les premiers clients, notamment l’américain Intelsat.
L’aventure Ariane
Après un premier tir avorté, quinze jours avant, ce 24 décembre 1979, Ariane 1 s’élance. En 1980, le Cnes crée Arianespace, le tout premier opérateur de lancements commerciaux. L’Europe innove et ouvre la voie.
Un atout économique pour la Guyane
Avec la saga Ariane et l’entrée de l’Europe sur la scène commerciale, le spatial devient davantage qu’une filière scientifique et technique en Guyane. Il devient un secteur économique porteur et le CSG un site industriel.
Aujourd’hui, le spatial représente 15 % de la création de richesses de la Guyane. Quarante entreprises sont implantées sur la base de lancement, que leur activité soit directement liée au secteur spatial ou aux services nécessaires à son développement et à son maintien en condition opérationnelle.
En Guyane, le spatial représente 4 600 emplois directs, indirects et induits.
Ariane 1 emportera notamment la sonde Giotto, qui rejoindra la comète Halley et terminera sa carrière en 1986 avec le lancement de Spot, tout premier satellite français d’observation de la Terre.
Ariane 2 et Ariane 3, versions plus puissantes, lui succèdent. Alors que les États-Unis connaissent des revers avec l’accident de la navette Challenger et suspendent leurs lancements commerciaux, Arianespace devient le leader mondial sur le marché ouvert des services de lancement, captant plus de 50 % du marché mondial.
L’Europe adopte une politique d’évolution des lanceurs pour s’adapter au marché, alors qu’Ariane 4 n’a pas encore décollé (premier lancement en 1988), l’ESA adopte le programme Ariane 5. Son premier vol depuis le CSG aura lieu en 1996.
Des lancements de tout type
Depuis le Centre spatial guyanais décolle aujourd’hui une gamme complète de lanceurs : Ariane 5, le lanceur lourd, Vega, le lanceur léger, et Soyouz le lanceur moyen. Ce dernier s’est élancé pour la première fois depuis la Guyane en 2011, alors qu’Ariane célébrait son 200e vol, rejoint par Vega un an plus tard.
DES INFRASTRUCTURES EN PLEIN DÉVELOPPEMENT
Aux alentours du CSG, la piste de l’aéroport de Cayenne est allongée ; le « port de Kourou » est devenu une véritable zone portuaire. Opérationnelle dès 1966, la zone de Pariacabo accueille toujours aujourd’hui les navires qui transportent les étages des lanceurs Ariane, Vega et Soyouz.
Le Centre médicochirurgical de Kourou s’achève. Le bourg de Kourou de quelques centaines d’habitants devient une ville de plusieurs milliers d’habitants. En 1968, lorsque Véronique s’élance, on construit déjà l’ensemble de lancement Diamant. Il devient opérationnel en 1970 avec le premier lancement de Diamant-B2.
De leur côté, les Américains viennent de poser le pied sur la Lune. D’Hammaguir à Kourou, Diamant connaîtra 12 lancements, dont 5 à partir du CSG. Avec lui, le Cnes se familiarise avec la technologie des lanceurs.
Au-delà de ses clients commerciaux internationaux qui viennent y lancer leurs satellites, le CSG accueille des missions cruciales pour l’Europe spatiale, de l’observation de la Terre à l’exploration planétaire. On se souvient de l’ATV, le cargo de ravitaillement de la Station spatiale internationale, de l’IXV, le véhicule de test de rentrée atmosphérique, ou encore de la sonde Rosetta, qui déposa en 2016 l’atterrisseur Philae sur la comète « Tchouri » il y a deux ans.
C’est aussi du CSG, port spatial de l’Europe, que sont envoyés sur leur orbite les satellites de la constellation Galileo, garante d’un accès autonome à la navigation par satellite, domaine autrefois exclusivement réservé aux grandes puissances spatiales avec le GPS américain et le Glonass russe.
C’est depuis la Guyane que le spatial européen fait face à la rude concurrence américaine : le CSG se prépare à accueillir les futurs lanceurs Vega‑C et Ariane 6, l’un pour mieux répondre au marché des plus petits satellites (en particulier les satellites d’observation de la Terre Copernicus), l’autre adapté aux satellites moyens (par exemple les satellites Galileo) et au marché commercial des satellites de télécommunications avec l’objectif de réduire les coûts tout en restant aussi fiables que leurs prédécesseurs.
Rendez-vous est donné en 2020, année de lancement d’Ariane 6, pour continuer d’écrire cette page d’une histoire entremêlée d’Europe et de Guyane. L’Europe spatiale et son avenir s’élancent de Kourou.
Par Hervé GILIBERT (84) Chief technical officer – ArianeGroup
DE ARIANE 5, LE LANCEUR PHARE DES ANNÉES 2000,
À ARIANE 6, VECTEUR EUROPÉEN DE 2020
Le lanceur européen Ariane 5 vivra son 100e lancement à l’automne 2018. Destiné initialement à emporter la navette Hermès, le lanceur Ariane 5 s’est focalisé dès 1992 vers des lancements plus classiques. L’objectif était de réduire les prix des lancements par rapport à Ariane 4, en emportant deux satellites au lieu d’un seul vers l’orbite de transfert géostationnaire (GTO). Malgré des débuts marqués par deux échecs, en juin 1996 et décembre 2002, Ariane 5 a repris la voie du succès tracée par Ariane 4 lors de la décennie précédente. Forte de sa capacité d’emport vers l’orbite GTO accrue peu à peu jusqu’à 10 tonnes, et captant l’essentiel des parts sur le marché des lancements commerciaux, elle a assuré plus de 80 succès d’affilée, dont quelques missions exceptionnelles : la sonde Rosetta, les télescopes Herschel et Planck, les cargos spatiaux autonomes ATV vers la Station spatiale internationale, et bien sûr les missions Galileo…
© CNES / ESA / Arianespace
© CNES / ESA / Arianespace
Dès 2020, Ariane prendra le relais avec des coûts en baisse de 40 %
La compétition sur le marché commercial ouvert est devenue féroce et de nouveaux types de missions apparaissent, avec notamment l’émergence de constellations de satellites lancés à « basse altitude ».
Ces changements rendent nécessaires l’arrivée d’un nouveau lanceur et une refonte complète du système de production Ariane : c’est ce que les agences spatiales et l’industrie européennes mettent en place depuis 2014 avec le développement d’Ariane 6.
Le lanceur Ariane 6 tirera profit des acquis d’Ariane 5 mais sera polyvalent en termes de missions, plus modulaire dans sa conception, et verra ses coûts de production réduits de 40 % grâce à une refonte complète du système industriel. Ariane 6 effectuera son premier vol en 2020 et les deux lanceurs seront opérés en parallèle jusqu’en 2022. Ariane 5 passera alors totalement le relais à Ariane 6.
Une triple rupture
Par rapport au programme Ariane 5 précédent, Ariane 6 s’inscrit en rupture dans trois domaines.
Tout d’abord, le regroupement des plus gros acteurs européens des lanceurs, Airbus, le maître d’œuvre intégrateur, et Safran, le motoriste au sein d’ArianeGroup permettra une rationalisation industrielle, source d’économies.
Ensuite, une nouvelle gouvernance a été créée à travers laquelle l’Agence spatiale européenne a confié l’Autorité de conception à l’industrie sous la maîtrise d’oeuvre d’ArianeGroup ; dans cette approche l’industrie assume plus de risques sur le marché commercial tandis que les Institutions et les États européens s’engagent à une préférence européenne dans le choix des services de lancement pour leurs propres satellites.
Enfin, la conception même du lanceur Ariane 6 est nouvelle : c’est un lanceur de forte capacité, de la gamme Ariane 5 dans sa version lourde, mais qui est rendu modulaire en jouant sur le nombre de ses boosters latéraux (deux pour Ariane 62 ou quatre pour Ariane 64). Ce lanceur pourra ainsi se substituer aux deux versions actuelles d’Ariane 5 et à Soyouz. Doté d’un moteur d’étage supérieur réallumable, il offrira une polyvalence totale dans l’espace, couvrant ainsi tous les types de missions vers toutes les orbites et répondant ainsi aux besoins émergents, tels que les déploiements de constellations.
Aujourd’hui le développement d’Ariane 6 bat son plein, les premiers équipements sortent des usines et entrent en essais. Rendez-vous en juillet 2020 pour le 1er lancement !