Les agences de l’eau, clé de voûte de notre gestion de l’eau

Dossier : Les eaux continentalesMagazine N°698 Octobre 2014
Par Martin GUESPEREAU (94)
Par Christophe CORBEL (06)

Garantir l’accès à l’eau

La ges­tion de l’eau a pour but de garan­tir à cha­cun l’accès à une eau de qua­li­té, potable pour le par­ti­cu­lier ou en quan­ti­té suf­fi­sante pour l’industrie et l’agriculture. La navi­ga­tion flu­viale, les inon­da­tions, la pré­ven­tion des pol­lu­tions et, à défaut, la dépol­lu­tion font éga­le­ment par­tie des missions.

“ Les politiques de l’eau sont décidées et coordonnées au niveau européen ”

Pour cela, il faut déve­lop­per, entre­te­nir et gérer les réseaux de cap­ta­tion, dis­tri­bu­tion et trai­te­ment des eaux. L’eau est, avec l’énergie et les trans­ports, un des grands domaines de l’équipement public du pays.

Ce sont les com­munes-inter­com­mu­na­li­tés les pre­mières res­pon­sables, et la loi « métro­poles » de jan­vier 2014 vient de leur confier en plus la ges­tion des cours d’eau.

L’agence de l’eau fait une péréqua­tion finan­cière pour jugu­ler les écarts sur le prix de l’eau dans chaque bas­sin hydro­gra­phique tan­dis que l’État (les Direc­tions dépar­te­men­tales des ter­ri­toires) exerce une police de l’eau. Les conseils géné­raux sont des finan­ceurs publics de l’eau his­to­riques mais réduisent leur participation.

Les prio­ri­tés actuelles sont la pré­ven­tion et la lutte contre le gas­pillage, les pol­lu­tions aux pes­ti­cides, aux nitrates, et autres « nou­veaux » pol­luants indus­triels et urbains.

REPÈRES

L’eau potable et l’assainissement en France, c’est un chiffre d’affaires de 27 milliards d’euros annuellement, une moitié dédiée aux investissements et l’autre aux dépenses de fonctionnement. Les agences de l’eau pèsent pour 2,1 milliards d’euros par an et représentent près de 60 000 emplois directs. Les agences de l’eau se rémunèrent à environ 80 % sur les factures d’eau, auprès des consommateurs donc, et à 20 % grâce au principe du pollueur-payeur. Il n’y a pas de prix national unique sur l’eau, à l’inverse de l’électricité.

Une organisation cinquantenaire

Nous fêtons, en 2014, les cin­quante ans de cette orga­ni­sa­tion de l’eau. La fier­té fran­çaise c’est d’avoir inven­té la « ges­tion par bas­sin ver­sant », une inno­va­tion admi­nis­tra­tive qui a fait le tour du monde. L’organisation géné­rale a peu évo­lué depuis la créa­tion des agences de l’eau (ini­tia­le­ment appe­lées agences finan­cières de bas­sin) par la loi sur l’eau de 1964 (pré­ci­sée en 1992).

Une telle dura­bi­li­té admi­nis­tra­tive est à la fois une force, garan­tis­sant péren­ni­té et vision à long terme, mais éga­le­ment une fai­blesse, car peu flexible en cas de réforme.

Pen­dant ces cin­quante années, les col­lec­ti­vi­tés et l’Europe ont connu un essor et pris les avant-postes de la ges­tion de l’eau. La Direc­tive-cadre sur l’eau (DCE) couvre une tren­taine d’autres direc­tives sur l’eau (nitrates, eaux usées, bai­gnade), toutes riches d’objectifs et sacra­li­sant le prin­cipe de gou­ver­nance locale.

Res­tau­ra­tion du Drac.  © AGENCE DE L’EAU RMC.

Les infra­struc­tures pour l’eau sont en France, tout comme pour l’énergie ou le trans­port, d’importance majeure. Leur ges­tion ne peut cepen­dant plus se faire au seul niveau national.

L’eau s’est faite le cham­pion du prin­cipe pol­lueur-payeur avec un mode de finan­ce­ment sur la pol­lu­tion (indus­trie, pes­ti­cides) et les pré­lè­ve­ments d’eau. Mais les taux pra­ti­qués sont encore loin d’inciter à la non-pollution.

Combattre la pollution et le gaspillage

La mise aux normes des sta­tions d’épuration a divi­sé par 10 les pol­lu­tions orga­niques dans les rivières. Les pol­lu­tions aux nitrates ont été divi­sées par 2. Plus de la moi­tié des cours d’eau sont main­te­nant propres, enfin presque tout le ter­ri­toire a accès à une eau potable.

Pour­tant la France ne fait figure que d’élève moyen à l’échelle euro­péenne quant à l’état de ses rivières. Le gas­pillage est tou­jours un pro­blème majeur avec, sou­vent, près d’un litre sur deux per­du avant d’arriver au robi­net, et une irri­ga­tion trop peu effi­cace, où le goutte-à-goutte est encore trop peu utilisé.

Le minis­tère de l’Environnement estime à 1,5 mil­liard d’euros par an le besoin en tra­vaux supplémentaires.

Une organisation collégiale

Les six agences de l'eau en France
Six agences de bas­sin, mais des mil­liers de décli­nai­sons locales.

Il existe 7 bas­sins hydro­gra­phiques, éga­le­ment appe­lé bas­sins ver­sants, en France métro­po­li­taine. On dénombre 6 Agences de l’eau : Adour-Garonne, Artois- Picar­die, Rhin-Meuse, Loire-Bre­tagne, Rhône-Médi­ter­ra­née-Corse et Seine- Normandie.

Une agence de l’eau est un éta­blis­se­ment public de l’État qui dis­pose du mono­pole fis­cal d’État sur l’eau et finance en retour ses pro­jets : assai­nis­se­ment, lutte contre pol­lu­tions, éco­no­mies d’eau, etc.

Elle suit la qua­li­té de tous nos cours d’eau et coor­donne les grands exer­cices de pla­ni­fi­ca­tion sur six ans, grâce aux Sché­mas direc­teurs d’a­mé­na­ge­ment et de ges­tion des eaux (SDAGE) au niveau du bassin.

Elle conclut des accords avec les res­pon­sables des sous-bas­sins dans des Sché­mas d’a­mé­na­ge­ment et de ges­tion des eaux (SAGE). Remar­quons qu’elle équi­libre tous ses exer­cices budgétaires.

Les bas­sins s’administrent par des comi­tés de bas­sin, par­le­ments locaux de l’eau, dotés d’un pou­voir qua­si régle­men­taire via les plans à six ans qu’ils élaborent.

C’est le seul exemple en France où les payeurs votent le mon­tant de l’impôt auquel ils seront sou­mis. L’État a fait confiance à la démo­cra­tie locale en ne se réser­vant que 20 % des voix, une mino­ri­té lui inter­di­sant le blo­cage. Les col­lec­ti­vi­tés locales s’arrogent 40 %, le reste se dis­per­sant sur un ensemble d’usagers (agri­cul­teurs, consom­ma­teurs, pêcheurs, indus­triels, etc.).

Cette orga­ni­sa­tion per­met une forte col­lé­gia­li­té, favo­ri­sant consen­sus et accep­ta­tion des déci­sions par les par­ties pre­nantes, dont celles ame­nées à payer. Mais cela favo­rise éga­le­ment le sta­tu quo.

Régler la question des frontières

Chaque fleuve inter­na­tio­nal est géré par une com­mis­sion ad hoc. Cepen­dant cette repré­sen­ta­tion est sou­vent très diplo­ma­tique et ne conduit pas tou­jours à une ges­tion opti­male des pro­blèmes ou des ressources.

DES MODÈLES VARIÉS

Nous ne sommes pas les seuls à avoir une organisation par bassin et agence. En 1964, l’Allemagne avait déjà expérimenté les Genossenschaften (syndicats coopératifs), l’Espagne les Confédérations hydrographiques et la Grande-Bretagne les Regional Water Authorities.
Depuis 1964, d’autres pays ont adopté des modèles similaires, tels que le Vietnam, le Laos ou les Pays-Bas.
Quant à la législation, les États-Unis étaient en avance par rapport à l’Europe et sa DCE, grâce à son Clean Water Act de 1972.

Par exemple, le Rhône n’a tou­jours pas d’accord trans­fron­ta­lier pour régler la ques­tion des volumes d’eau que les Suisses concèdent à la France, alors que notre filière nucléaire dépend de ces volumes.

Ces conflits d’intérêts ont été per­cep­tibles en mai 2011 où le débit du Rhône dimi­nua for­te­ment du côté fran­çais. Les accords conclus s’arrêtent aux pol­lu­tions du Léman, sur­tout le phosphore.

Mille-feuille administratif

Le mille-feuille admi­nis­tra­tif touche aus­si le monde de l’eau : 35 000 syn­di­cats d’eau potable et d’assainissement peuplent notre pays, sans comp­ter les syn­di­cats de rivières avec leurs 200 SAGE et leurs com­mis­sions locales de l’eau (CLE), et toutes les spé­ci­fi­ci­tés locales (com­mu­nau­té locale de l’eau, syn­di­cat mixte ou inter­com­mu­nal, éta­blis­se­ment public ter­ri­to­rial de bassin).

Le gou­ver­ne­ment hésite actuel­le­ment à impo­ser la reprise de la com­pé­tence eau et assai­nis­se­ment par les intercommunalités.

Cinq évolutions et deux sujets d’inquiètude

Le plus gros défi sera, comme sou­vent, le finan­ce­ment. Plu­sieurs effets se com­binent et ren­dront dif­fi­cile le main­tien des ser­vices actuels.

SET de Gap. Traitement biologique de l'eau
Ici, SET de Gap. Trai­te­ment bio­lo­gique. © MIRIAM SÉNÉQUIER

La consom­ma­tion d’eau dimi­nue (et c’est heu­reux) depuis des années, de 1 à 2 % par an, mais entraîne avec elle les recettes des col­lec­ti­vi­tés, sauf à rele­ver le prix de l’eau, car la fac­tu­ra­tion se fait au volume et que les coûts fixes dominent. De plus, le réseau s’étant beau­coup déve­lop­pé pen­dant les trente glo­rieuses, de nom­breuses infra­struc­tures sont ou seront bien­tôt à renouveler.

Par ailleurs, la baisse des dota­tions de l’État auprès des col­lec­ti­vi­tés ter­ri­to­riales se réper­cute sur les inves­tis­se­ments. Elle se conjugue, hélas, à une baisse des moyens des agences (l’État pré­le­vant dans le bud­get des agences de l’eau).

Enfin, de nou­velles mis­sions sont attri­buées à ces der­nières, telles que la réha­bi­li­ta­tion de la bio­di­ver­si­té. Par ailleurs, les pol­lu­tions aux pes­ti­cides et la raré­fac­tion de la res­source en eau sont deux sujets d’inquiétude pour les par­ties pre­nantes, et à juste titre.

Propos recueillis par Christophe CORBEL (06)

Les districts hydrologiques français

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