Les alternatives au pétrole dans le domaine des caoutchoucs
Avant le développement massif de la pétrochimie, les matières premières végétales et celles issues du recyclage étaient très développées pour produire des objets en caoutchouc. L’économie linéaire pourrait n’être finalement qu’une parenthèse : depuis 2010, de nombreux projets d’économie circulaire ont vu le jour, tant en amont avec la recherche de matières premières renouvelables qu’en aval avec le recyclage. Les premières concrétisations industrielles sont attendues vers 2025.
REPÈRES
Au début du XXe siècle, tous les articles en caoutchouc étaient fabriqués à partir d’une seule ressource naturelle : le latex d’hévéa, introduit en Europe par les premiers explorateurs de l’Amérique au XVIIIe siècle. Des tensions sur l’approvisionnement sont rapidement apparues et des recherches pour diversifier les sources de caoutchouc se sont mises en place. Quatre voies principales ont été explorées : autres plantes produisant du latex, synthèse chimique à partir de pétrole, synthèse chimique à partir d’alcool et toutes les méthodes de recyclage.
Ce n’est qu’à partir du milieu de la Seconde Guerre mondiale, face à la pénurie généralisée de caoutchouc, que des efforts considérables ont été réalisés pour industrialiser des voies alternatives.
Ainsi, aux États-Unis, en 1942, Roosevelt a lancé l’Emergency Rubber Program, similaire au projet Manhattan par son ampleur et son caractère stratégique. L’objectif était de rendre le pays rapidement autonome sur ses approvisionnements en caoutchouc. Des programmes similaires en Allemagne et en Russie ont été menés et ont conduit à des résultats très proches. En 1944, les États-Unis étaient ainsi devenus autonomes grâce à la maîtrise de la production et de la polymérisation du butadiène, molécule de base des caoutchoucs synthétiques. Deux tiers du butadiène, soit 600 000 tonnes, étaient alors issus d’alcool produit à partir de maïs, et un tiers provenait du raffinage du pétrole.
Après 1945 et le développement très rapide de la pétrochimie, toutes les unités industrielles de production de butadiène à partir d’alcool ont été démantelées et le caoutchouc synthétique est alors devenu 100 % pétrosourcé.
Aujourd’hui la production de caoutchouc synthétique est comparable en volume à celle du caoutchouc naturel issu de l’hévéa : s’il est possible de reproduire les propriétés de la gomme naturelle par synthèse chimique, le caoutchouc naturel a toujours présenté un équilibre coût-performance pertinent.
Un caoutchouc durable ?
Le caoutchouc naturel étant par essence renouvelable, une stratégie simpliste pour séquestrer du carbone pourrait être d’augmenter la proportion de gomme naturelle dans les pneumatiques. Naturel n’est pas nécessairement synonyme de durable, car il faut considérer l’ensemble du cycle de vie et tous les impacts comme la phase d’usage du pneumatique (consommation de carburant et durée de vie), ou la déforestation et les pratiques agricoles.
Pour promouvoir les pratiques les plus durables, plusieurs parties prenantes dans la chaîne de valeur du caoutchouc naturel – ONG, planteurs, manufacturiers – se sont coordonnés et ont créé la Global Platform for Sustainable Rubber. Pour aller plus loin, Continental et Michelin se sont alliés à l’éditeur de logiciels Smag pour développer Rubberway. Il s’agit d’une solution de cartographie et d’évaluation des pratiques et des risques tout au long de la filière. Enfin, à Bornéo, un programme de reforestation mené par Michelin et Barito en partenariat avec le WWF a pour objectif de démontrer qu’il est possible d’exploiter une plantation d’hévéas tout en préservant la biodiversité, et en fournissant des emplois durables.
Caoutchouc synthétique issu de ressources végétales
En raison des propriétés spécifiques rendues possibles grâce aux multiples structures chimiques accessibles, le caoutchouc synthétique restera incontournable. Les dernières générations de caoutchouc synthétique, toujours en développement, permettront de réduire encore davantage la consommation de carburant ou d’augmenter l’autonomie des véhicules électriques sans pénaliser l’usure. Comme déjà mentionné, le caoutchouc synthétique et le butadiène en particulier sont aujourd’hui intégralement issus du pétrole. Pour limiter l’empreinte environnementale et sécuriser les approvisionnements, il faut donc trouver des alternatives durables au pétrole.
Le butadiène, une des molécules clés pour la production de caoutchouc synthétique, devrait pouvoir être produit à l’horizon 2025 à partir de résidus végétaux non alimentaires. Plusieurs acteurs y travaillent et notamment un consortium entre Axens, l’IFPEN (Institut français du pétrole et des énergies nouvelles) et Michelin, avec le soutien de l’Ademe. Grâce à la mise au point de catalyseurs innovants et une optimisation poussée du procédé, il devrait être possible de produire du butadiène compétitif avec une empreinte environnementale réduite.
Les biotechnologies offrent de nouvelles possibilités
Depuis quelques années, la biologie de synthèse permet de réaliser des cascades de réactions chimiques complexes de manière très sélective et ainsi de produire des molécules peu accessibles par la chimie traditionnelle ou par extraction de composés naturels. Parmi les entreprises pionnières dans ce domaine, on peut citer Amyris qui produit à l’échelle industrielle un terpène complexe dont les débouchés se trouvent à la fois dans le domaine des vitamines, des cosmétiques ou des polymères améliorant la performance de pneus hivernaux. Global Bioenergies a aussi ouvert la voie pour la production d’isobutène biosourcé, molécule de base utilisée dans de nombreux domaines dont la synthèse de polyisobutylène, caoutchouc indispensable pour garantir l’étanchéité des pneus et ainsi se passer de chambres à air.
On peut se réjouir que, dans le domaine des biotechnologies, la France dispose d’un environnement attractif : on trouve à la fois des plateformes de R & D innovantes associant acteurs publics et privés telles que le Toulouse White Biotechnology, mais aussi de nombreuses start-up très dynamiques telles que Afyren, Metex ou encore Carbios. Ainsi, parmi les vingt meilleures entreprises européennes dans ce domaine, huit sont françaises et certaines très proches de la concrétisation dans des premières unités industrielles.
Ces collaborations multipartenariales combinées aux avancées scientifiques ouvriront à coup sûr de nouvelles opportunités pour allier performance et durabilité.