Les Annales de l’École de Paris
La langue française est une langue mouvante, riche d’ambiguïtés, de faux amis, de contresens et de sens oubliés. Considérons par exemple l’expression “une boutique bien achalandée ”. On y entend aujourd’hui une boutique où il y a beaucoup de produits, alors qu’étymologiquement c’est un endroit où il y a beaucoup de chalands, c’est-à-dire beaucoup de clients, ce qui n’est en rien synonyme.
Ce n’est pas dans les débats de l’École de Paris que l’on trouverait de telles grossières erreurs : la langue y est belle, les débats y sont justes et précis, la sémantique y est osée mais appropriée et le verbe y est riche.
Rien que la lecture de la table des matières de ce IXe volume nous entraîne dans un tourbillon sémantique propre à notre culture française où, si l’action n’est pas forcément toujours valorisée, le verbe autour de l’action reste un constant plaisir.
Les mathématiques sont “ élégantes ”, les réussites “un peu folles ”, la richesse est “ un mirage ”, les NTIC sont “ une prothèse ”. Les recherches mutent, de belles histoires d’amour ont lieu entre les firmes et les territoires, les entrepreneurs sont opposés aux pompiers, les économies sont solidaires, les empires basés sur la bonne chère. On se promène avec bonheur de terroir en territoire, de Parthenay à Montmirail en passant par le pays picard, Namur et Hollywood. On bâtit des cathédrales pour changer le monde et réussir la mixité sociale. Finalement, on va faire une pause au cinéma le Balzac, histoire de se convaincre que le cinéma est bien un lieu de vie culturelle.
De la lecture de la table des matières à celle du contenu, lui-même, il n’y a qu’un petit pas pour l’homme. Se pose alors le grave débat pour le lecteur : par quoi commencer ? Bien sûr, il y a une structure pour nous aider à nous promener dans ce volume, mais nous sommes un peu comme devant le menu d’un très grand restaurant, ce ne sont pas les têtes de rubrique : “ entrée ”, “ viande ”, “ poisson ” et “ dessert ” qui nous aident à choisir avec facilité, car dans chaque chapitre de ce IXe volume tout nous attire, tout nous met l’eau à la bouche…
Que faire ? Utiliser une méthode mathématique rigoureuse, par exemple explorer le premier exposé, puis le deuxième, puis le troisième, jusqu’à la fin du livre ? Ou bien utiliser la méthode de Monte-Carlo : ouvrir le livre au hasard en espérant tomber pile sur une page entre deux exposés et recommencer la méthode en pariant de ne jamais tomber deux fois sur le même chapitre ? Ou bien, méthode plus marketing que mathématique, demander à un ami de vous guider ? Ou alors, méthode de management, envoyer un email ou même un SMS d’urgence à Michel Berry : “ Que dois-je lire dans le tome IX, réponse immédiate souhaitée, merci. ”
Mais quelle importance ? Quelle que soit la méthode d’entrée en matière, quel que soit l’article par lequel nous commençons, dès la première seconde de lecture de l’exposé, dès les premiers mots, la marque de fabrique de l’École de Paris nous saute aux yeux : nous y sommes physiquement !
Cette manière d’écrire les comptes rendus, tenant à la fois du langage écrit et du langage oral, nous replonge instantanément dans l’atmosphère physique de la réunion, et nous amène à recréer cet environnement unique, même si nous n’y étions pas présents, et nous fait encore plus apprécier la grande qualité de l’exposé.
Dès la première phrase, nous nous retrouvons dans la salle. Nous imaginons les participants, nous retraçons le rituel de présentation de chacun en une phrase directe et droite au but : “ Un tel, directeur des ressources humaines de l’entreprise tartempion ”, “ Un tel, consultant en management ”, “ Une telle, chercheuse en gestion ”, avec l’étape obligée qui marque la moitié du tour de table, quel que soit l’ordre d’icelui, dextrogyre ou lévogyre : “ Michel Berry, École de Paris ”. Un rituel de présentation qui n’est pas sans évoquer celui de l’accord des musiciens de l’orchestre avant le concert, prélude indispensable à l’attention de l’auditoire.
Mentalement, nous nous les recréons tous. Les habitués bien sûr, quasiment toujours à la même place, et parmi eux l’intemporel Professeur, dont le ton de voix si familier nous revient aussitôt en mémoire : “ Riveline, École des mines ”.
Nous nous surprenons presque à lire à haute voix le compte rendu. Nous imaginons les regards tendus, l’écoute sacrée de l’auditoire, la tension qui monte lorsque la fin de l’exposé approche, et que nous pourrons enfin lever le doigt vers un Michel Berry, imperturbable, notant sur une feuille de papier l’ordre des mains levées. Car s’il est un rituel sacré à l’École de Paris, c’est bien celui de la parole : elle est ordonnée, et gare à celui qui ne respecte pas cela, il est vite remis à sa place ; votre humble serviteur en parle en connaissance de cause, ayant parfois commis le péché de l’impatience…
C’est parce que nous sommes dans un monde où les échanges sont devenus la valeur fondamentale, que nous adorons tous ce moment magique des dialogues. Nous en retrouvons un écho écrit dans les Annales, où le mot “Exposé” bien encadré anticipe le mot “ Débat ”, entre les mêmes deux traits, prélude à la discussion qui introduit l’italique dans le texte, et qui, de structurée au début, devient foisonnante à la fin de la séance, parce que sur le fronton de l’École de Paris il y a écrit : “ Le management est une affaire sérieuse, il faut en débattre ”, et que nous sommes venus, et que nous lisons les Annales, sans aucun autre but.
Merci aux orateurs de grande qualité du IXe volume, à leurs riches exposés, de nous donner matière à prendre dans les débats qui s’ensuivent notre plaisir profond. Merci aux “ Intervenants ”, à tous ces “ Int. ”, personnages importants et variés des comptes rendus de l’École de Paris, de débattre si passionnément de ces choses sérieuses. Merci aux rapporteurs de si bien savoir nous faire recréer par l’écrit toute l’atmosphère des séances, comme si nous y avions participé.
Merci, Michel Berry, volume après volume, de continuer de nous offrir ce lieu avec de si beaux produits, cet endroit toujours si bien achalandé