Les associations locales, acteurs majeurs dans les pays en développement
Le rôle des associations locales dans l’accès aux services essentiels constitue un sujet de première importance pour l’ensemble des acteurs du développement.
REPÈRES
Les « Objectifs du millénaire », adoptés en septembre 2000 par 189 nations, donnent à l’eau et à l’assainissement une place très particulière. Chacun des huit objectifs a des liens avec le secteur de l’eau et de l’assainissement. L’objectif portant sur la durabilité environnementale le concerne directement en visant à « réduire de moitié, d’ici à 2015, la proportion de la population n’ayant pas accès de manière durable à un approvisionnement en eau potable et à un système d’assainissement de base » (l’année de référence étant fixée en 1990). Cela concerne près de 40% de la population mondiale (environ 2,5 milliards de personnes).
Faciliter le dialogue
Les associations locales peuvent apporter, selon les ressources et compétences dont elles disposent, un appui important à toutes les étapes des projets.
Impliquer les populations bénéficiaires
Par exemple, faciliter le dialogue avec les communautés (médiation entre les différents acteurs impliqués, identification de relais locaux, etc.). Ou bien impliquer les populations bénéficiaires (mobilisation communautaire : participation à des travaux, etc.), créer des conditions favorables à une bonne acceptation de nouvelles infrastructures (concertation : choix des lieux d’installation, des modalités d’usage, etc.), renforcer l’efficacité des projets dans la durée (sensibilisation des populations, organisation d’activités de maintenance, formation d’opérateurs locaux, participation à des démarches d’évaluation des résultats, etc.). Ou encore, contribuer à la prévention des conflits d’usage.
Une dynamique vertueuse
Des exemples observés sur le terrain tendent à démontrer que, sous certaines conditions, de réelles dynamiques vertueuses peuvent s’instaurer entre les différentes familles d’acteurs, confiant un rôle important aux associations locales.
Dialoguer en Méditerranée
Le Water think tank Méditerranée, lancé lors du cinquième Forum mondial de l’eau à Istanbul en mars 2009, a pour objectif de créer un espace de dialogue entre les acteurs impliqués dans la gestion intégrée des ressources en eau pour les différentes catégories d’usagers en Méditerranée.
Les partenaires fondateurs incluent notamment la Fondation Prince-Albert-II-de- Monaco, l’Institut des Nations unies pour la formation et la recherche (UNITAR), le Plan Bleu, l’Office international de l’eau et Veolia Environnement.
Aux Philippines, quatrième étape du tour du monde « Aqua tu penses ? » (voir encadré ci-contre), on a pu observer de telles dynamiques, par exemple dans le cadre du programme « Bayan Tubig » (eau pour les communautés).
Ces projets, initialement destinés à installer des points d’accès communautaires à l’eau dans les bidonvilles de l’ouest de Manille, ont finalement été étendus pour permettre des branchements individuels. Au total, ce sont plus de 400 000 personnes qui ont bénéficié de ce programme.
Établir des passerelles
Les associations locales peuvent également contribuer à établir des « passerelles » entre projets et initiatives complémentaires menés à l’échelle d’un même territoire ou entre territoires proches, favorisant une approche transversale des enjeux du développement (eau et assainissement, sécurité alimentaire, accès à l’énergie, etc.). Les associations susceptibles de remplir cette fonction ont généralement déjà acquis une certaine dimension.
À Madagascar, on peut citer à titre d’exemple une association de droit malgache, disposant d’un siège à Antananarivo, mais s’appuyant sur un réseau de plusieurs antennes locales dans tout le pays pour mener à bien sa mission d’information et d’appui aux opérateurs économiques (artisans, agriculteurs, micro-entrepreneurs, PME) mais aussi aux collectivités territoriales (communes, régions) et plus généralement à la société civile.
De réelles dynamiques vertueuses peuvent s’instaurer entre les différentes familles d’acteurs. Ici, en Inde. © NOMADÉIS
Un maillon clé
Relier les projets complémentaires
Les associations locales doivent être prises en compte dans les efforts d’assemblage de compétences. Elles peuvent ainsi jouer un rôle de maillon clé dans les « chaînes de valeur » pour accompagner le développement d’un accès durable aux services essentiels, en particulier ceux de l’eau et l’assainissement. Dans une logique de bonne gouvernance territoriale et démocratique, leur implication permet de renforcer la participation des usagers citoyens, et plus largement de la société civile, aux efforts de réduction de la pauvreté.
Décentraliser
« Aqua tu penses ? »
Il y a dix ans, l’auteur a effectué un tour du monde de huit mois, avec trois camarades de l’Essec, sur le thème de l’eau et la pauvreté urbaine, avec le parrainage de Jacques Attali. Cette aventure les a conduits dans six pays, dix villes et vingt bidonvilles, avec le soutien d’un opérateur de services (Veolia Environnement), d’une institution internationale (l’Unesco) et d’une association française œuvrant pour l’accès à l’eau et à l’assainissement dans les pays en développement (le programme Solidarité-eau).
Ils ont créé une association dénommée « Aqua tu penses ? », dans le cadre de laquelle ont été menés près de 200 entretiens. Leur « rapport d’étonnement » soulignait la nécessité de mener des démarches collectives, respectueuses de chaque contexte socioculturel et laissant une place significative à la participation communautaire, pour faciliter une appropriation locale des actions menées.
L’implication des associations présentes sur place ressortait comme un facteur clé de succès pour les projets d’accès à l’eau et à l’assainissement, qu’ils soient menés à l’initiative d’ONG, d’opérateurs de services (publics ou privés) ou des pouvoirs publics eux-mêmes.
Le rôle des associations locales peut également être analysé à la lumière du renforcement des processus de décentralisation et de transfert des compétences en matière de gestion des services d’eau et d’assainissement vers les collectivités locales, que l’on peut observer depuis une dizaine d’années dans de nombreux pays en développement.
À ce titre, il n’est pas anodin que le programme des Nations unies pour les établissements humains (ONU-Habitat) ait fait le choix de regrouper ses lignes directrices internationales sur la décentralisation d’une part, et sur l’accès aux services de base pour tous d’autre part.
Au chapitre « Gouvernance et démocratie à l’échelon local », ce document, approuvé par les États membres des Nations unies, appelle à reconnaître les différentes composantes de la société civile et à « faire en sorte que toutes soient parties prenantes dans le développement progressif de leur communauté et de leur quartier », y compris les associations locales.
Réformer
Les réformes des cadres institutionnels entreprises dans certains pays au cours des cinq dernières années pour accompagner les mutations des secteurs de l’hydraulique ont pris en compte, à certaines étapes de leur développement, cette complémentarité des rôles entre autorités et associations locales.
Une maîtrise d’ouvrage locale en matière d’eau et d’assainissement
Au Mali, par exemple, pour clarifier le rôle des différents acteurs impliqués dans les projets relatifs à l’eau et à l’assainissement, les réformes ont prévu de formaliser le statut et le rôle des associations d’usagers, qui assumaient parfois un rôle opérationnel proche de celui des comités de gestion, sans pour autant avoir de reconnaissance explicite.
En Tunisie, les nouvelles politiques hydrauliques lancées au début des années 1990 visant une gestion plus participative de la ressource en eau ont, quant à elles, favorisé la création d’associations locales, pour encourager la responsabilisation des usagers.
En tout état de cause, des besoins significatifs se font ressentir en matière de renforcement des capacités, et l’implication des associations peut permettre de faciliter la capitalisation locale des enseignements pour contribuer à la pérennité des projets.
Nord et Sud
Les associations locales du Sud sont par ailleurs devenues des acteurs majeurs de nombreux programmes de coopération internationale, en lien avec leurs homologues des pays du Nord, parfois avec l’implication des diasporas (implication soutenue par les politiques publiques reliant migrations et développement, et favorisant la mobilisation de financements innovants pour le développement durable des pays du Sud).
Dans le cadre spécifique de la coopération décentralisée, les associations locales peuvent prendre une part active à des programmes pluriannuels de coopération « de territoire à territoire ». Le lien avec les associations locales, en particulier les comités de gestion, s’est révélé essentiel pour accompagner l’émergence d’une maîtrise d’ouvrage locale en matière d’eau et d’assainissement.
Une grande rigueur
Les attentes sont fortes concernant l’action des associations. Ici, au Niger. © NOMADÉIS
La diversité des contextes d’intervention et des profils des associations, déjà évoqués, appelle à la plus grande rigueur dans le choix des partenaires susceptibles d’être impliqués dans la durée. La participation des associations locales ne constitue pas une fin en soi, mais l’un des outils mobilisables pour progresser dans le sens des « Objectifs du millénaire ».
Leur mobilisation doit intervenir dans le cadre d’un jeu d’acteurs global, en lien avec l’ensemble des parties prenantes, au premier rang desquelles les autorités publiques responsables des services d’eau et d’assainissement.
Des objectifs concrets
Partenariat, pragmatisme, professionnalisme
L’étape de contractualisation, nécessaire pour définir clairement les rôles et les responsabilités des différents acteurs, est souvent délicate du fait des différences « culturelles » entre familles d’acteurs (pouvoirs publics, opérateurs, ONG internationales et associations locales, etc.).
L’un des principaux enjeux consiste, au fond, à s’accorder autour d’objectifs concrets en plaçant l’intérêt général au cœur de l’action, et en s’attachant à réconcilier des temporalités parfois fondamentalement différentes, selon les ressources et les horizons propres à chacun.
L’espoir des jeunes générations
BIBLIOGRAPHIE
► Développement durable et solidarité Nord-Sud : quels financements ? publié conjointement par l’Arène Île-de-France et la Fondation pour la nature et l’homme, sur la base d’une étude produite par Nomadéis (ISBN EAN : 978−2−911533− 04–4).
► « Loi du 7 décembre 2006 », permettant aux communes, établissements publics de coopération intercommunale, syndicats mixtes chargés de l’eau et de l’assainissement et aux services publics de distribution d’électricité et gaz de prélever jusqu’à 1 % du budget de ces services pour mener des actions de coopération avec les collectivités étrangères dans le cadre de la loi Thiollière (2007).
► « ScenaRio 2012 », enquête réalisée par Nomadéis et Fondapol, avec le soutien d’une communauté de partenaires réunissant des entreprises (Caisse des dépôts et consignations, EDF, Saint- Gobain, Veolia Environnement) et des institutions (Nations unies, Francophonie), avec le parrainage de S.A.S. le prince Albert II de Monaco et sa Fondation.
Les attentes sont fortes concernant l’action des associations, particulièrement parmi les jeunes générations, comme le démontre la récente enquête « ScenaRio 2012 », menée par Nomadéis et la Fondation pour l’innovation politique en préparation du Sommet des Nations unies « Rio + 20 » (30 000 jeunes âgés de 16 à 29 ans interrogés dans 30 pays).
Les ONG et les organisations de solidarité affichent ainsi les plus hauts niveaux de confiance pour faire face aux défis reliant environnement, développement et gouvernance, avec des scores supérieurs à 80% dans de nombreux pays, parmi lesquels l’Inde, le Sénégal ou encore le Kenya.
Partenariat et pragmatisme
Partenariat, pragmatisme, professionnalisme sont des enjeux clés pour renforcer demain l’efficacité de l’action des associations locales, dans un contexte de tension sur les ressources (naturelles, mais aussi financières).
Tout en conservant leur ancrage territorial et l’esprit de leur objet social, ces dernières doivent être impliquées à la mesure de leurs moyens, et apprendre à travailler en bonne intelligence avec l’ensemble des parties prenantes concernées selon les besoins et les priorités locales : collectivités et institutions publiques, opérateurs de services, PME, bailleurs et acteurs de la solidarité internationale