Les assureurs européens ont besoin de leur propre système de contrôle
L’industrie européenne de l’assurance s’adapte remarquablement à la nouvelle géographie du marché unique européen. Elle est demeurée largement étrangère à la crise financière qui vient de secouer violemment les marchés et les banques. Pourtant, elle est appelée à affronter dans les mois qui viennent le choc d’une véritable révolution réglementaire.
L’industrie de l’assurance s’est mobilisée de concert avec la Commission et les superviseurs, pour préparer une réforme en profondeur de son cadre prudentiel, bien que les défaillances d’entreprises d’assurance soient restées peu nombreuses et de taille modeste, en tout cas en Europe continentale.
C’est donc l’espoir de disposer d’un outil permettant de concilier la meilleure sécurité des assurés avec la performance économique, qui a permis d’emporter l’adhésion de l’industrie européenne.
REPÈRES
La préparation de la réforme trouve son inspiration dans le constat d’une montée générale des risques : marchés financiers plus volatils, catastrophes naturelles plus fréquentes et plus intenses, accroissement de la concurrence entre les acteurs, tendances lourdes sur la longévité, la dépendance, la maladie, etc. Elle répond également au besoin de reconfigurer le contrôle externe en fonction des progrès réalisés par les entreprises d’assurance, à l’exigence de standardisation de la réglementation européenne liée au besoin de créer un réel level playing field et au souci des grands acteurs d’optimiser leur gestion des fonds propres.
Pourtant plusieurs écueils apparaissent aujourd’hui de nature à compromettre ce premier succès.
Le premier écueil réside dans la conception même d’un régime prudentiel trop exclusivement axé sur une optique liquidative, à savoir : si on arrête l’activité à tout instant, y aura-t-il assez d’argent dans la caisse pour pouvoir régler toutes les indemnités dues aux assurés ?
La crise exacerbe les limites de la nouvelle réglementation financière des assurances
Or à la question : que peut-on récupérer lorsque l’avion explose en vol ? il vaudrait mieux substituer celle-ci : comment peut-on s’assurer que l’avion pourra atterrir sans encombre au terme de son trajet ? Le biais introduit par cette approche liquidative produit des effets ravageurs quant à la capacité des assureurs à jouer pleinement leur rôle dans l’économie ; il a également l’inconvénient d’être en total décalage avec le management de l’entreprise d’assurance calé sur la durée et la permanence de la mission, ce qui introduit une divergence structurelle entre contrôleur et contrôlé.
Paramétrer les risques
Le deuxième écueil se manifeste à l’occasion des travaux en cours pour fixer les paramétrages de risques sur lesquels seront établies les exigences de fonds propres. L’expérience de la crise financière que nous venons de traverser induit notamment chez les contrôleurs un réflexe de précaution tous azimuts qui tend à détruire l’équilibre raisonné du projet Solvency II.
La solvabilité
Solvency II est une réforme réglementaire européenne qui harmonise les procédures de gestion des risques et adapte les fonds propres exigés des compagnies d’assurances.
La tentation est forte de passer d’une mesure courante à une mesure extrême, de multiplier les marges de précaution, de négliger l’apport des moyens de couverture, de transposer des » solutions bancaires » pourtant inappropriées, de ménager le maximum d’occasions d’instiller un peu de jugement arbitraire du contrôleur.
Le troisième écueil résulte de l’amputation de la directive cadre des dispositions relatives au contrôle des groupes et de celles relatives à la prise en compte du support apporté par un groupe d’assurance à ses filiales.
Celles-ci ont été retranchées devant les réticences des superviseurs nationaux à abandonner une parcelle de leurs pouvoirs théoriques.
Une impasse sur la diversification géographique
Il en résulte notamment que la future régulation prudentielle européenne fera l’impasse sur une grande partie de l’effet de diversification géographique des risques, effet fondateur de l’assurance depuis son origine (!), et qu’elle rendra parfaitement aléatoire la résolution d’une crise affectant un groupe opérant dans plusieurs pays européens.
Assurances, banques et marchés
En France, on a de surcroît considéré que le contrôle de l’assurance devait reposer sur un haut niveau de compétence technique puisqu’on l’a confié à un corps de contrôle… recruté à l’École polytechnique.
Les organismes systémiques
Nous voyons aussi avec beaucoup de réserves l’inclusion de certains groupes d’assurance dans la catégorie dite des » organismes systémiques » qui devraient faire l’objet d’une surveillance particulière de la Banque centrale européenne, alors qu’aucune preuve n’a été apportée de la contribution du secteur de l’assurance à la récente crise financière.
L’assurance a longtemps bénéficié d’un dispositif de contrôle dédié qui permettait de mobiliser une expertise adéquate (actuariat) et de focaliser l’attention sur les points clés de la sécurité des assurés.
Mais, la mode lancée par le Royaume-Uni, avec l’installation d’un régulateur unique, la Financial Services Authority, a conduit à la généralisation d’un schéma de contrôle intégrant assurances, banques et marchés. En France c’est ce que propose le rapport Delettrez.
Une assimilation inadaptée du contrôle des assurances avec celui des banques
À l’origine de cette généralisation se trouve le rôle de la Banque centrale dont l’intervention est indispensable à un contrôle efficace de l’activité bancaire, comme l’a encore montré l’expérience de la crise aiguë de liquidité de la fin de l’année 2008.
Un tel schéma s’est souvent traduit par un affaiblissement du contrôle de l’assurance. On observe en effet que la culture de contrôle bancaire tend à l’emporter sur les compétences techniques des contrôleurs de l’activité d’assurance bien qu’elles répondent à des natures de risques différentes.
Mais il y a plus grave. Soumettre les compagnies d’assurances à l’autorité d’un gouverneur de Banque centrale dont la préoccupation première est de prévenir les crises de confiance bancaire et la course aux guichets pour le retrait d’argent liquide, c’est mettre à portée de sa main les réserves de liquidités les plus abondantes de tout le paysage financier, ce qui constituera en temps de crise un conflit d’intérêts majeur.
Promouvoir les groupes européens d’assurance
Ces tendances négatives se manifestent alors qu’il apparaît clairement que la réalisation du grand marché européen des services financiers et la meilleure répartition des risques passent par la promotion des groupes européens d’assurance.
Pour un contrôle dédié à chaque métier
Paradoxalement, cette réforme va intervenir dans notre pays au moment même où l’Union européenne, en se conformant aux recommandations du rapport de Larosière, se prononce clairement en faveur d’une approche séparée du contrôle de la banque, de l’assurance et des marchés financiers. Elle intervient alors que face aux grandes manœuvres de la finance domestique ou européenne qui combine les activités de banque de marché, de banque de dépôt et d’assurance, la réponse européenne repose sur le principe d’un contrôle primaire dédié à chaque métier.
Pour se développer et élargir le champ de leurs activités dans un climat de confiance garanti par le sentiment de sécurité de leurs clients, les assureurs européens ont besoin d’un système de contrôle qui combine de façon étroite le niveau national et le niveau européen.
Au niveau national doit pouvoir s’effectuer la synthèse des caractéristiques d’un marché qui demeure très largement particulier du fait des fortes interférences entre l’assurance et la législation locale de la responsabilité, de la prévention des risques, de la fiscalité de l’épargne, de la protection sociale publique ; à ce niveau également doit se pratiquer la relation de proximité entre contrôleur et contrôlé requise pour une meilleure connaissance de la réalité des situations et pour une plus grande réactivité ;
Au niveau européen doivent impérativement se situer l’appréhension complète des acteurs multinationaux et le règlement coordonné des situations de crise qu’ils peuvent rencontrer ; à ce niveau également doit s’exercer le pilotage de l’application homogène de la réglementation prudentielle pour éviter les distorsions de concurrence.
Risque de résistance
Or, si rien n’est fait pour corriger certaines des orientations prises par la réglementation et l’organisation de la supervision, on obtiendra une résistance accrue des entreprises d’assurance pour basculer dans le nouvel environnement réglementaire, un délaissement des branches d’activité considérées comme trop risquées (responsabilité civile professionnelle, risque industriel, etc.), une réduction de la pression concurrentielle par la difficulté de mobiliser un gros volume de capitaux en soutien de l’assurance européenne, et un renchérissement très significatif du coût de l’assurance pour les particuliers comme pour les entreprises.